Le fils de son père ?

Il y a actuellement des élections fédérales au Canada.

Le chef du Parti libéral, Justin Trudeau, est le fils d’un ancien chef du même parti et premier ministre du pays, Pierre Elliott Trudeau.

On reproche souvent au fils de mal parler français, de moins bien maîtriser cette langue que son père.

Les difficultés linguistiques de Justin Trudeau sont incontestables; n’y insistons pas (pour l’instant). Mais est-il vrai que Pierre Elliott Trudeau ait si bien maîtrisé le français ?

Ce n’est pas ce que pensait André Belleau, lui qui écrivait ceci en 1974 :

C’est que la prononciation (dont l’accent), plus sans doute que le choix des mots, est un phénomène de classe. L’exemple le plus éclairant en est le fameux «lousy French» lancé dédaigneusement naguère par Pierre Elliott Trudeau. La langue de Trudeau abonde pourtant en incorrections grossières : «matières agricoles» (i.e. produits…), «gouverner pour un petit passage» (i.e. un court laps de temps), «faire introduire une loi», «on a été élu sur un programme fédératif», «si ces conditions seraient remplies»… (ces exemples notés à l’occasion de quelques interviews à la télé). Mais Trudeau, voilà l’essentiel, n’a pas la prononciation du peuple, notamment des paysans. Cela suffit à inspirer un sentiment de supériorité. […] La vérité, c’est que Trudeau, ô scandale, parle moins bien français que ne le faisait [Maurice] Duplessis qui, lui, avait l’accent paysan (éd. de 1974, p. 36-37).

Puis de nouveau en 1980 :

Prenons l’exemple fort instructif du français de Pierre Elliott Trudeau, fréquemment erroné tant du point de vue de la syntaxe que du lexique. Ce caractère n’est curieusement pas perçu dans les situations concrètes de parole où l’on entend Trudeau : ce qui opère réellement alors, c’est l’absence de la prononciation paysanne (que la grande majorité des Québécois a gardée de ses ancêtres). Cette simple «non-présence» d’une marque énonciative suffit, dans la situation socio-linguistique qui est la nôtre, à créer l’impression que Trudeau parle bien, mieux en tout cas qu’un autre Québécois dont le français serait, lui, correct mais grevé de l’accent paysan (éd. de 1980, p. 3-4).

«Incorrections grossières», syntaxe et lexique fautifs, jeu sur l’accent : il y a une chroniqueuse du quotidien la Presse qui a dû être triste en lisant ces lignes, elle qui idolâtrait (et idolâtre toujours) celui qui a donné son nom à l’aéroport international de Montréal.

P.-S. — L’Oreille tendue a déjà cité d’autres passages du texte de Belleau paru en 1980, «L’effet Derome ou Comment Radio-Canada colonise et aliène son public», s’agissant de la prononciation des noms étrangers dans les médias.

 

Publicité du Parti libéral du Canada, août 2015

 

Références

Belleau, André, «La langue de la Sagouine», avant-propos à Antonine Maillet, la Sagouine, Montréal, Leméac, coll. «Théâtre acadien», 2, 1974, p. 35-38; repris, sous le titre «Quelle langue parle la Sagouine ?», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 68-69.

Belleau, André, «L’effet Derome ou Comment Radio-Canada colonise et aliène son public», Liberté, 129 (22, 3), mai-juin 1980, p. 3-8; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 82-85; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 107-114; repris dans Laurent Mailhot (édit.), l’Essai québécois depuis 1845. Étude et anthologie, Montréal, Hurtubise HMH, coll. «Cahiers du Québec. Littérature», 2005, p. 187-193; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 105-112. https://id.erudit.org/iderudit/29869ac

De retour après la pause

Depuis quelques heures, les réseaux sociaux répètent en boucle que Gilles Duceppe reprendrait du service en vue des prochaines élections fédérales, histoire d’appuyer Mario Beaulieu à la tête du Bloc québécois.

L’Oreille tendue a eu l’occasion de parler de Gilles Duceppe en trois occasions : quand il a voulu inventer un mot; quand il a participé à un débat télévisé; surtout, quand il a tâté du rap (cela ne s’invente pas).

Fin de la promenade

«Les Québécois ont fait le tour du Bloc», titrait joliment le Devoir du 18 mars 2015 (p. A7).

Ce Bloc, c’est un parti politique, le Bloc québécois. Comment peut-on en «faire le tour» ?

Le bloc au Québec désigne le pâté de maisons. Qui en fait le tour est en promenade (généralement brève).

Celle des Québécois autour du Bloc québécois serait donc terminée.

Dont acte.

Langue de campagne (24)

Deux référendums

L’Oreille tendue tente d’être bonne citoyenne. En 2004, avec la collaboration de Pierre Popovic, elle proposait, dans le Dictionnaire québécois instantané, des «Modèles pour une éventuelle question référendaire» (p. 48-49).

Comme le Québec est en campagne électorale et qu’il est de nouveau question d’un référendum sur la souveraineté / l’indépendance / le non-fédéralisme (rayez la ou les mentions inutiles), elle reprend ces modèles, histoire de nourrir le débat, à sa modeste mesure. Ne la remerciez pas.

Question claire

Oui ou non ?

Question claire perdante

Voulez-vous que le Québec quitte ?

Question claire gagnante

Ne voulez-vous pas que le Québec quitte ?

Question claire et jeune

Yo, tu veux-tu que le Québec quitte, genre ?

Question gradualiste dure

Le cas advenant que vous deviez répondre oui ou non, accepteriez-vous de donner un mandat au gouvernement de la province de Québec pour qu’il organise un carrefour dont les résultats seront promus dans un forum qui précédera la mise sur pied d’une Commission spéciale sur l’avenir de la nation, laquelle réunira les de souche, les pures laines, les partenaires et intervenant(e)s sociau(e)x, les ethnies, les communautés culturelles et les communautés non culturelles, les allophones et les premières nations, afin d’accoucher d’un consensus affirmatif qui sera entériné à l’unanimité par l’Assemblée nationale et, dès lors, enchâssé dans une incontournable Constitution du Québec souverain assortie d’une solennelle Déclaration d’indépendance qui, à l’occasion des premiers États généraux de la Nouvelle confédération, sera soumise au ROC pour ratification obligatoire ?

Question gradualiste molle

Le cas advenant que vous deviez répondre peut-être ou non, accepteriez-vous, éventuellement, de donner un mandat au gouvernement de la province de Québec pour qu’il prépare un carrefour dont les idées seront discutées dans un forum qui servira de base préliminaire à la mise sur pied d’une Commission spéciale sur l’avenir de la Belle Province canadienne-française, laquelle réunira les de souche, les pures laines, les partenaires et intervenant(e)s sociau(e)x, les ethnies, les communautés culturelles et les communautés non culturelles, les allophones et les premières nations, afin de susciter un consensus transitoire qui sera voté à la majorité moins une voix par l’Assemblée nationale et, dès lors, enchâssé dans une provisoire Constitution du Québec associé assortie d’une brève mais solennelle Déclaration d’affirmation nationale qui, à l’occasion des premiers États généraux de la possible Nouvelle confédération, sera mise sur la table avec tout le reste ?

Question à la manière de Pierre Falardeau

Bande de colonisés, allez-vous dire yessssss, stie ?

Question étapiste

Acceptez-vous que le Québec s’assise à la table avec le ROC ?

Question très étapiste

Acceptez-vous que le Québec s’assise à la table pour négocier le suivi d’un accord d’association-partenariat avec le ROC ?

Question très très étapiste

Acceptez-vous que le Québec s’assise à la table pour négocier le suivi d’un accord de concertation-partenariat avec le ROC dans le contexte de son cheminement vers l’association-souveraineté ?

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture