Portrait simenonien

Georges Simenon, Maigret en meublé, couverture

«Elle était comme un énorme bébé, la chair rose, les formes indécises, avec de gros yeux bleus, des cheveux très blonds, une robe couleur de bonbon. À la voir, on aurait dit qu’il ne s’était rien passé de tragique, que tout était pour le mieux dans le meilleurs des mondes. […] Elle devait avoir dans les quarante ou quarante-cinq ans, mais, en apparence, elle n’avait pas d’âge. Tout comme, malgré son volume impressionnant, elle n’avait pas de poids. Et il y avait tant d’exubérance en elle qu’on s’attendait, en dépit des circonstances, à la voir éclater d’un rire enjoué.»

Georges Simenon, Maigret en meublé, dans les Essentiels de Maigret, présentation de Benoît Denis, Paris, Omnibus, coll. «Tout Simenon», 2011, p. 507-617, p. 517 et p. 518. Édition originale : 1951.

Portrait de professeur en tombe

Russell Banks, Lost Memory of Skin, 2011, couverture

«It sounds like the Professor will do most of the talking anyhow. He’s a professor, after all. It’s possible the guy can help the Kid find a job at the university on the grounds crew or something and a more or less permanent place to live. You never know. The Kid has never met a real professor before but they’re supposed to be smart and people respect them and they don’t work for the cops or the state. Besides they’re like priests and shrinks, right ? Everything you tell them is strictly confidential.»

Russell Banks, Lost Memory of Skin. A Novel, Toronto, Alfred A. Knopf Canada, 2011, 416 p., p. 80.

L’art du portrait, et un de plus

Jean Echenoz, Des éclairs, 2010, couverture

«Le siège de la Western Union : après un hall suivi de plusieurs autres halls kilométriques — lustres, marbres, tapis, statues, tableaux, tentures — ponctué d’huissiers, déjà fort longs à traverser, c’est en très lent travelling avant qu’apparaît enfin George Westinghouse en personne, installé derrière un bureau gothique au fond d’une pièce aux dimensions de stade. Homme à bajoues, haut et massif, tout en volume, dépourvu de transition entre tête et épaules, bardé de chaînes de montre et de moustaches de morse, économe de ses mots. Regard bleu froid plongeant n’ayant pas de temps à perdre, il désigne à Gregor un fauteuil de sa grosse main soignée, lestée d’une chevalière en fonte.»

Jean Echenoz, Des éclairs. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2010, 174 p., p. 34.

N.B.—On peut voir et entendre Jean Echenoz ici.

L’art du portrait : ça n’arrête pas

Laurent Mauvignier, Seuls, 2004, couverture«Il n’aimait pas son visage ni sa petite taille, ses cheveux et les épis qui déformaient la tête dans le miroir, tous les jours, avec l’obligation de les couvrir de gel pour les rabattre derrière les oreilles. Il n’aimait pas sa voix. Il n’aimait pas ses lunettes aux contours épais ni le menton qu’il avait, qu’il trouvait trop petit sous le sourire qu’il tenait fermé, histoire de cacher les dents jaunes et mal placées — on aurait dit une bataille avec des lances dans tous les coins, qui volent et vont chahuter l’espace. Alors il ne disait rien et trouvait normal que Pauline n’ait pas songé à être amoureuse de lui.»

Laurent Mauvignier, Seuls. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2004, 171 p., p. 10-11.

L’art du portrait : ça continue

«Dans le salon de thé encalminé dans la pénombre brune des ambiances surannées où des vieilles rombières tannées comme des peaux de bête ayant connu les alternances éprouvantes des hivers rudes et des étés caniculaires font goûter à leur kiki le thé au lait qu’elles ont commandé et que ledit kiki lape avec une indifférence qui fait peine à voir, estompant dans un nuage blanc les contours de sa gueule stupide d’être sans esprit ni conscience, Kate Moss feuillette un magazine de mode.»

Bruce Bégout, «L’après-midi d’une terroriste», 2009, 11 p., p. 4-5.