La filature immobile

Georges Simenon, Monsieur La Souris, 1938, couverture

Les occasions de sourire sont bien rares dans l’œuvre de Simenon. Signalons néanmoins ce passage, tiré de Monsieur La Souris :

Est-ce que le commissaire Lucas prenait les mots à la lettre quand il avait dit à l’inspecteur [Lognon] :

— Il y a peut-être quelque chose… Mettez vous sur le bonhomme [le clochard surnommé Monsieur La Souris]…

Le fait est que Lognon était presque dessus, au sens littéral du terme. […] Dès le matin, il avait suivi le vieux à moins de trois mètres et il n’avait pas bronché quand La Souris s’était arrêté.

— Dites donc, monsieur l’inspecteur… Vous ne croyez pas que nous avons l’air bête à nous suivre ainsi sans un mot ?… Sii vous voulez, on pourrait marcher ensemble… Sans compter que ce serait plus gai…

Lognon s’était contenté de tourner la tête de l’autre côté et de rester debout au milieu du trottoir, comme si on ne lui eût pas adressé la parole.

— Bon !… C’est comme vous voudrez !… Ce que j’en disais, c’était autant pour vous que pour moi… Paraît-il que, dans le temps, les grands seigneurs se faisaient suivre dans la rue par un larbin…

La Souris enrageait ! Il ne savait où aller, ni que faire et il essaya d’écœurer l’inspecteur par les allées et venues les plus fantaisistes, se mettant soudain à courir, s’arrêtant un quart d’heure au même endroit, repartant au ralenti pour entrer soudain dans une boutique (p. 427-428).

On n’a plus les filatures policières qu’on avait.

 

Référence

Simenon, Monsieur La Souris, dans Tout Simenon 21, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, 383-481. Édition originale : 1938.

Souvenirs livresques de 2024

Cactus du Collège Notre-Dame, trophée Baquet, 2014

En 2024, l’Oreille tendue a lu environ 110 livres. Ci-dessous, en lieu et place d’un véritable palmarès, quelques excellents souvenirs, dans le désordre.

Catégorie «Romans»

Les Sentiers de neige, de Kev Lambert.

Catégorie «Premiers romans»

D’abord et avant tout C’est ton carnage, Simone, de Chloë Rolland.

Puis, un peu plus loin, Amiante, de Sébastien Dulude.

(Ce que je sais de toi, d’Éric Chacour, n’a même pas rasé être sélectionné.)

Catégorie «Romans américains»

Crook Manifesto, de Colson Whitehead.

In the Distance, d’Hernan Diaz.

Catégorie «Essais»

Les Têtes réduites, de Jean-François Nadeau (transparence totale, comme on dit à la Presse+ : l’Oreille tendue est citée et remerciée dans le livre).

Cécile et Marx, de Michel Lacroix, devant un autre récit de transfuge de classe, Rue Duplessis, de Jean-Philippe Pleau (nouveau cas de transparence totale : Michel Lacroix et l’Oreille se connaissent depuis des lustres, et le premier cause de la seconde dans son livre).

Insécurité linguistique dans la francophonie, d’Annette Boudreau (compte rendu).

Eloge du bug, de Marcello Vitali-Rosati (troisième cas de transparence totale : l’Oreille et Marcello sont potes) (compte rendu).

Hors Jeu, de Florence-Agathe Dubé-Moreau.

Les Filles de Jeanne, d’Andrée Lévesque.

Marie-Louise et les petits Chinois d’Afrique, de Catherine Larochelle (compte rendu).

Catégorie «Curiosités érudites»

L’Œil de l’ermite, de Claude La Charité (vous verriez un quatrième cas de transparence totale que vous ne seriez pas loin de la vérité).

Catégorie «Relectures»

Notre Rabelais, d’André Belleau.

L’An deux mille quatre cent quarante, de Louis Sébastien Mercier (d’où ceci).

Catégorie «Glauque de chez glauque»

Toutes les œuvres rassemblées dans Pedigree et autres romans, de Georges Simenon.

P.-S.—Peu de catastrophes dans les lectures de cette année, sauf Can’t We Be Friends, de Denny S. Bryce et Eliza Knight.

 

Références

Belleau, André, Notre Rabelais, Montréal, Boréal, 1990, 177 p. «Présentation» de Diane Desrosiers et François Ricard.

Boudreau, Annette, Insécurité linguistique dans la francophonie, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, coll. «101», 2023, vii/76 p.

Bryce, Denny S. et Eliza Knight, Can’t We Be Friends. A Novel of Ella Fitzgerald and Marilyn Monroe, New York, William Morrow, 2024, 374 p.

Chacour, Éric, Ce que je sais de toi, Québec, Alto, 2023, 296 p.

Diaz, Hernan, In the Distance, Riverhead Books, 2024, 256 p.

Dubé-Moreau, Florence-Agathe, Hors Jeu. Chronique culturelle et féministe sur l’industrie du sport professionnel, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2023, 235 p. Ill.

Dulude, Sébastien, Amiante, Saguenay, La Peuplade, 2024, 209 p. Ill.

La Charité, Claude, l’Œil de l’ermite. Fiction en pièces détachées, Longueuil, L’instant même, 2023, 237 p. Ill.

Lacroix, Michel, Cécile et Marx. Héritages de liens et de luttes, Montréal, Varia, coll. «Proses de combat», 2024, 239 p.

Lambert, Kev, les Sentiers de neige. Conte d’hiver, Montréal, Héliotrope, 2024, 412 p.

Larochelle, Catherine, Marie-Louise et les petits Chinois d’Afrique, Montréal, Mémoire d’encrier, coll. «Cadastres», 2024, 144 p.

Lévesque, Andrée, les Filles de Jeanne. Histoires de vies anonymes, 1658-1915, Montréal, Édition du remue-ménage, 2024, 246 p. Ill.

Mercier, Louis Sébastien, l’An deux mille quatre cent quarante. Rêve s’il en fut jamais, Bordeaux, Ducros, 1971, 426 p. Édition, introduction et notes par Raymond Trousson. Édition originale : 1770-1771.

Nadeau, Jean-François, les Têtes réduites. Essai sur la distinction sociale dans un demi-pays, Montréal, Lux éditeur, 2024, 236 p.

Pleau, Jean-Philippe, Rue Duplessis. Ma petite noirceur. Roman (mettons), Montréal, Lux éditeur, 2024, 323 p. Ill.

Rolland, Chloë, C’est ton carnage, Simone. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 181 p.

Simenon, Georges, Pedigree et autres romans, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 553, 2009, xl/1699 p. Édition établie par Jacques Dubois et Benoît Denis.

Vitali-Rosati, Marcello, Éloge du bug. Être libre à l’époque du numérique, Paris, Éditions Zones, 2024, 208 p. PapierHTMLPDF

Whitehead, Colson, Crook Manifesto. A Novel, New York, Doubleday, 2023, 319 p.

L’oreille tendue de… Simenon

Georges Simenon, la Chambre bleue, éd. de 1964, couverture

«Dans l’escalier aux marches usées, l’ombre était plus fraîche et Tony, ses vêtements sur le bras, montait un étage, trouvait, au fond du couloir, une porte entrouverte, Françoise, en robe noire et tablier blanc, qui changeait les draps d’un lit. Elle le regarda de la tête aux pieds et commença par rire.

“Vous, alors, monsieur Tony !… Vous vous êtes disputés ?…

— Chut…

— Que se passe-t-il ?…

— Son mari…

— Il vous a surpris ?

— Pas encore… Il se dirige vers l’hôtel…”

Il se rhabillait fébrilement, l’oreille tendue, s’attendant à reconnaître le pas mou de Nicolas dans l’escalier.»

Georges Simenon, la Chambre bleue, dans Pedigree et autres romans, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 553, 2009, p. 1329-1438 et 1664-1674, p. 1337. Édition originale : 1964. Édition établie par Jacques Dubois et Benoît Denis.