L’oreille tendue de… Pierre Roberge

Pierre Roberge, le Dernier Rayon sur la gauche, 2024, couverture

«La bibliothèque est à peu près vide en ce début d’après-midi. L’animation reprendra de plus belle à la fin des classes. C’est sans doute la raison pour laquelle, dans ce silence relatif, l’ouverture de la porte principale attire notre attention. Sa fermeture feutrée est suivie d’un bruit lancinant de roues mal huilées et d’un amas de ferraille qui s’approche. Winnie et Tigrou tendent immédiatement l’oreille. J’ai l’impression qu’ils blêmissent tous les deux.»

«Le conseiller Landry plisse les yeux et tend l’oreille pour tenter de capter au moins quelques mots, mais c’est peine perdue. J’essaie de faire cesser la prestation de l’harmonie, mais le maître de musique n’a manifestement pas l’intention de s’interrompre avant la fin de la pièce et, comme il reste encore plusieurs pages à la partition devant lui, j’en déduis que nous devrons passer à l’intérieur de la bibliothèque si nous voulons nous entendre. En revenant vers le conseiller, je remarque que son garde du corps et lui ont levé les yeux au ciel et semblent observer attentivement quelque chose. Le drone du directeur !»

Pierre Roberge, le Dernier Rayon sur la gauche, Lanoraie, Les Éditions de l’Apothéose, 2024, 196 p. Édition numérique.

 

On trouve un compte rendu du roman ici.

Maigret vu de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson

Georges Simenon, Maigret à New York, 1947, couverture

Il y a souvent, dans les romans de Georges Simenon, des allusions à la méthode bien peu orthodoxe de son personnage fétiche, le commissaire Jules Maigret.

Dans Maigret à New York, rédigé en 1946, Simenon ne se contente pas d’allusions; la méthode de Maigret est un des leitmotive du roman.

Désormais à la retraite, l’ex-commissaire s’est laissé embarquer dans une affaire familiale américano-française. Ne maîtrisant pas bien l’anglais, il a du mal à faire son travail, malgré l’aide de collègues états-uniens. Comment procède-t-il ?

Il n’a jamais d’idées (p. 37). Il flâne : «il avait toujours été un flâneur» (p. 67). Il ne sait pas «exactement» ce qu’il cherche (p. 87). Il ne s’intéresse pas particulièrement aux «faits» (p. 122) et aux «idées» précis (p. 143). Il se dit «pas intelligent» (p. 142) et il refuse de se «faire une idée sur une affaire avant qu’elle soit terminée» (p. 142). Il se laisse porter par ce qu’il voit, entend, ressent :

Je nage, lieutenant… Sans doute nageons-nous tous les deux. Seulement, vous, vous luttez contre le flot, vous prétendez aller dans une direction déterminée, alors que moi je me laisse aller avec le courant en me raccrochant par-ci par-là à une branche qui passe (p. 143).

Arrive pourtant un moment où les choses prennent forme dans son esprit : il entre alors «en transe» (p. 145), il se trouve «dans le bain» (p. 145).

Pendant des jours, parfois des semaines, il pataugeait dans une affaire, il faisait ce qu’il y avait à faire, sans plus, donnait des ordres, s’informait sur les uns et sur les autres, avec l’air de s’intéresser médiocrement à l’enquête et parfois de ne pas s’y intéresser du tout. […] Puis soudain, au moment où on s’y attendait le moins, où on pouvait le croire découragé par la complexité de sa tâche, le déclic se produisait. […] les personnages du drame venaient, pour lui, de cesser d’être des entités, ou des pions, ou des marionnettes, pour devenir des hommes. […] Tel individu, à un moment de sa vie, dans des circonstances déterminées, avait réagi, et il s’agissait, en somme, de faire jaillir du fond de soi-même, à force de se mettre à sa place, des réactions identiques (p. 145-147).

Rien de compliqué : «Il ne fallait pas courir après les vérités qu’on voulait découvrir, mais se laisser imprégner par la vérité pure et simple» (p. 149-150); «Se rendre compte, tout simplement» (p. 151); «Seulement, pour comprendre cette simplicité-là, il fallait aller tout au fond et non se contenter d’explorer la surface» (p. 152).

Ça ne marche pas trop mal.

P.-S.—Pourquoi Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson ? Le roman y a été rédigé.

 

Référence

Simenon, Georges, Maigret à New York, Paris, Presses de la Cité, coll. «Le livre de poche», 14242, 2019, 189 p. Édition originale : 1947.

Accouplement 238

Patricia Highsmith, The Talented Mr. Ripley, éd. de 2008, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Highsmith, Patricia, The Talented Mr. Ripley, New York et Londres, W.W. Norton & Company, 2008, 287 p. Édition originale : 1955.

«He described the second dinner at Mr. Greenleaf’s house, when Mr. Greenleaf had presented him with a wristwatch. He showed the wristwatch to Cleo, not a fabulously expensive wristwatch, but still an excellent one and just the style Tom might have chosen for himself—a plain white face with fine black Roman numerals in a simple gold setting with an alligator strap» (p. 30).

Chez l’Oreille tendue

Montre

Les zeugmes du dimanche matin et de Tristan Saule

Tristan Saule, Et puis on aura vu la mer, 2024, couverture

«Chacune part de son côté, Catherine et Marianne vers leurs voitures, Sabrina vers les tours de Sainte-Thérèse, la place carrée et un paquet de problèmes» (p. 42).

«De l’autre côté des voies, un adolescent, plié sous le poids de l’ennui et d’un énorme sac de sport, attend sans bouger devant les portières ouvertes du wagon» (p. 45).

«Puis, l’année dernière, il y a eu cette balle de .22 Long Rifle qui lui a a traversé le genou et qui a détruit ses ligaments croisés, en même temps que ses rêves de devenir pro» (p. 138).

«Les passants ont le nez sur leur portable ou dans leurs pensées» (p. 289).

Tristan Saule [pseudonyme de Grégoire Courtois], Et puis on aura vu la mer. Roman. Chroniques de la place carrée. IV, Montréal, Le Quartanier, coll. «Parallèle», 05, 2024, 341 p.

P.-S.—L’Oreille tendue apprécie fort le travail de cet auteur. Voir ceci, par exemple.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Belle, malgré

Tristan Saule, Et puis on aura vu la mer, 2024, couverture

«Olga est d’un blond surnaturel, presque blanc. Ses lèvres sont épaisses, gonflées par la chimie, peintes de vieux rose. Sa peau tirée et bronzée fait l’effet d’un cuir mal tendu, lâche par endroits. Malgré les agressions de la chirurgie, elle est belle, d’une beauté qu’on devine derrière les tentatives de la préserver.»

Tristan Saule [pseudonyme de Grégoire Courtois], Et puis on aura vu la mer. Roman. Chroniques de la place carrée. IV, Montréal, Le Quartanier, coll. «Parallèle», 05, 2024, 341 p., p. 10.

 

P.-S.—L’Oreille tendue apprécie fort le travail de cet auteur. Voir ceci, par exemple.