Un trou dans son élan

John Grisham, Calico Joe, 2012, couverture

«Baseball is only dull to dull minds» (Red Smith).

Comme tout un chacun, l’Oreille tendue consacre une partie de son temps de lecture, surtout estivale, aux livres sur le baseball.

Il y a les livres savants (The Meaning of Nolan Ryan, Double jeu), les livres de journalistes (Moneyball, Men at Work), les recueils d’articles (Triumph and Tragedy in Mudville), les romans (You Know Me Al, The Art of Fielding ou, sommet indépassé, The Great American Novel).

Voilà pourquoi l’Oreille vient de lire Calico Joe de John Grisham. Elle avait déjà lu des romans policiers de cet auteur — aucun ne lui laissant de profonds souvenirs, ni en bien ni en mal — et son roman sur le football, Playing for Pizza — aucun souvenir non plus. De Calico Joe, elle se souviendra, car c’est un texte particulièrement mauvais.

Un père va mourir. Cela ne touche personne, car c’est une ordure : violent, alcoolique, égocentrique. Lanceur pour les Mets de New York, Warren Tracey n’existe plus, dans la mémoire populaire inventée par le romancier, que comme celui qui a mis un terme à la carrière d’un joueur phénoménal, Joe Castle (Calico Joe). Comment ? En lui lançant volontairement une balle rapide à la tête. Ce geste, en langage de baseball, est appelé beaning. (Sur un sujet semblable, il vaut mieux lire Rat Palms de David Homel.) Le fils de Warren raconte la rencontre improbable, en 2003, trente ans après les faits, de son père et de Joe Castle. C’est lacrymal, inécrit, sans aucun intérêt.

En lisant, l’Oreille est cependant retombée sur une de ces étranges expressions propres au baseball : «Every rookie’s got a hole in his swing» (p. 57). Dans l’élan (swing) de toute recrue (rookie), il y aurait un trou (hole). Qu’est-ce à dire ? Qu’un joueur n’arriverait pas à frapper la balle si elle était placée à un endroit bien précis, qui n’est pas le même pour tous, et que les lanceurs essaieraient d’exploiter cette faiblesse. Voilà qui vous épargnera la lecture de Calico Joe.

P.-S. — Et il y a bien sûr les livres sur Jackie Robinson.

 

Références

Gould, Stephen Jay, Triumph and Tragedy in Mudville. A Lifelong Passion for Baseball, New York et Londres, W.W. Norton, 2003, 342 p. Ill. Foreword by David Halberstam.

Grisham, John, Calico Joe. A Novel, New York, Dell, 2013, 262 p. Édition originale : 2012.

Grisham, John, Playing for Pizza. A Novel, New York, Doubleday, 2007, 262 p.

Harbach, Chad, The Art of Fielding. A Novel, New York, Boston et Londres, Little, Brown and Company, 2012. Édition numérique. Édition originale : 2011.

Homel, David, Rat Palms, Toronto, HarperCollins, coll. «HarperPerennial», 1993, 276 p. Édition originale : 1992.

Lardner, Ring, You Know Me Al, Kessinger Publishing, [s.d.], 119 p. Reprint. Édition originale : 1916.

Lewis, Michael, Moneyball. The Art of Winning an Unfair Game, New York et Londres, W.W. Norton, 2003, xv/288 p.

Nareau, Michel, Double jeu. Baseball et littératures américaines, Montréal, Le Quartanier, coll. «Erres Essais», 2012, 395 p.

Roth, Philip, The Great American Novel, New York, Farrar, Straus & Giroux, 1980, 382 p. Édition originale : 1973.

Trujillo, Nick, The Meaning of Nolan Ryan, College Station (TX), Texas A & M University Press, 1994, x/163 p. Ill.

Will, George F., Men at Work. The Craft of Baseball, New York, HarperPerennial, 1991, ix/353 p. Ill. Édition originale : 1990.

Dictionnaire des séries 28

Zamboni, Atlanta

Zamboni : surfaceuse.

Exemples

La glace est grafignée
Quand il se met à rouler
Les traces sont effacées
Mon père, il conduit une Zamboni
(Les Petites Tounes, «La surfaceuse», chanson, 2006).

De coupe Stanley en dynastie
Le fantôme a bien su jouer son rôle
Le cœur gros comme la Zamboni
Il transportait l’équipe sur ses épaules
(Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», chanson, 2008).

Cela va soi : le groupe américain The Zambonis chante le hockey.

 

Illustration : surfaceuse Zamboni sur la glace des Trashers d’Atlanta, 2007, photo déposée sur Wikimedia Commons

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

Dictionnaire des séries 27

Vous déjouez un joueur adverse ? Vous lui faites prendre une tasse de café.

Vous empêchez l’autre équipe de quitter sa zone ? Vous l’y embouteillez.

Vous patinez avec grâce ? Votre coup de patin est fluide.

Vous avez rassemblé les meilleurs joueurs et on vous promet les plus grands honneurs ? Votre club est paqueté.

Le hockey a beau se jouer sur la glace, c’est un sport qui a une évidente dimension liquide.

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

Dictionnaire des séries 26

Quand sonne l’heure de la retraite, que fait un joueur de hockey ? Il n’accroche ni son bâton ni ses gants, mais ses patins.

les dieux sont rentrés dans leur temple
au clou de la renommée
ils ont accroché leurs patins
et le peuple fidèle vient admirer les reliques suspendues
(Bernard Pozier, «Postérité», p. 70)

J’ai débarqué, j’les ai accrochés
(Pierre Bertrand, «Hockey», chanson, 1978)

Accrocher ses patins pour n’être plus rien
Qu’un vendeur de bière ou un vendeur de char
(Robert Charlebois, «Champion», chanson, 1987)

C’pas à matin non qu’on accroche nos patins
(Loco Locass, «Le but», chanson, 2009)

Bon, c’est le temps de le rendre officiel ! On passe à la prochaine carrière. http://t.co/I2ox9Evc (@matdarche52)

Il y a un équivalent au football :

Brian Urlacher accroche ses crampons (le Devoir, 23 mai 2013, p. B6).

P.-S. — Dans un registre plus cru, John Burdett, parlant de prostituées «retraitées», écrit : «They hung up their tits […]

 

[Complément du 2 juin 2013]

Cela se pratique aussi en politique :

La députée libérale Lucienne Robillard a annoncé hier qu’elle accrochait ses patins politiques (le Devoir, 5 avril 2007).

Après Bill Graham, c’était au tour de l’ex-ministre libéral ontarien Jim Peterson d’accrocher ses patins politiques hier après-midi (le Devoir, 21 juin 2007).

 

[Complément du 6 décembre 2014]

Le ministre de la Santé du Québec, Gaétan Barrette, propose de modifier en profondeur les conditions de travail des médecins de la province. Réaction d’un de ceux-ci, dans le Devoir du 3 décembre : «Je songe à accrocher mes patins.»

 

[Complément du 12 mars 2018]

Selon Serge Bouchard, que fait un camionneur qui prend sa retraite ? «Le routier arrive un jour ou l’autre à ses derniers kilomètres, il doit “accrocher ses clés”, le pouvoir de la route lui échappe, l’envergure des voyages aussi» (les Yeux tristes de mon camion, p. 10).

 

[Complément du 31 octobre 2018]

Dans le cadre du concours Délie ta langue ! du Bureau de valorisation de la langue française et de la Francophonie de l’Université de Montréal, l’Oreille tendue dit quelques mots de cette expression.

 

[Complément du 15 septembre 2024]

Dans la police ? «Le commandant Patrice Vilcéus accroche son képi après 30 ans au sein de la police montréalaise» (la Presse+, 25 septembre 2024).

 

[Complément du 26 mai 2025]

Attestation dramatique (et religieuse) dans la pièce Ben-Ur de Jean Barbeau (1971) :

Ben — Passez-moi l’expression : j’pense que j’vas défroquer…
Le curé, ne saisissant pas — Défroquer…
Ben — Autrement dit : j’vas accrocher mes patins…
Le curé, ne comprenant pas plus — Tes patins ? Quels patins ?
Ben — Servir la messe, j’vas canceller ça… (p. 24)

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Références

Barbeau, Jean, Ben-Ur, Montréal, Leméac, coll. «Répertoire québécois», no 11-12, 1971, 108 p. Ill. Présentation d’Albert Millaire.

Bouchard, Serge, les Yeux tristes de mon camion. Essai, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 303, 2017, 212 p. Édition originale : 2016.

Burdett, John, Vulture Peak. A Bangkok Novel, New York, Alfred A. Knopf, 2012. Édition numérique.

Pozier, Bernard, Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p. Ill. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.

Dictionnaire des séries 25

Le Devoir, 23 mai 2013

«She knows ev’ry blooming sub that plays on the bench»
(Eugene Platzman, «Hockey», chanson, 1929)

«They rioted in the streets of Montreal
when they benched Rocket Richard»
(Jane Siberry, «Hockey», chanson, 1989)

 

Quand l’entraîneur, celui qui officie derrière le banc, décide, en plein match, de ne plus utiliser certains joueurs, on dit qu’il coupe son banc (voir ici).

Les joueurs alors laissés de côté sont réputés jouer sur le banc ou réchauffer le banc. Pire : ils sont cloués au banc. (Qui s’inspire de la langue de Don Cherry préférera le verbe, du 1er groupe, bencher.)

Tu v’nais m’voir jouer presque tout l’temps
Mais j’jouais pas souvent, j’réchauffais le banc
(Pierre Bertrand, «Hockey», chanson, dans Beau dommage, Passagers, 1978)

Quand, inversement, il y a trop de joueurs en même temps sur la glace, l’équipe fautive reçoit une punition de banc. (Ce n’est pas le seul cas où une punition de banc peut être décernée. Passons.)

L’entraîneur de l’équipe punie désigne alors un joueur qui ira s’asseoir au banc des punitions, même s’il n’a rien fait de répréhensible.

Tout joueur puni est d’ailleurs envoyé au cachot pour au moins deux minutes. Dans ce cachot, il y a donc un banc.

Quand j’entends parler de salaires de joueurs professionnels,
je me souviens que je n’ai jamais compris comment Maurice Richard avait pu marcher dans la publicité de Gracian Formula où, lui-même arbitre, il se fait donner un «deux minutes au banc» par un autre arbitre […] (Je suis né en 53…, p. 121).

On aura compris qu’il ne faut pas confondre banc et banc.

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Référence

Lefebvre, Michel, Je suis né en 53… Je me souviens, Montréal, Hurtubise HMH, coll. «amÉrica», 2005, 132 p.