Récolte à saveur printanière

Roy MacGregor, l’Enfant du cimetière, 2009, couverture

En 2009, en 2010 et en 2011, l’Oreille tendue a fait un peu de tri sélectif dans son panier à à saveur. Rebelote aujourd’hui.

Le à saveur sévit dans tous les domaines, de la politique — «une campagne électorale à saveur de rentrée scolaire» (radio de Radio-Canada, 8 août 2012) — à l’économie — «Une rentrée à saveur économique» (la Presse, 3 juin 2011, p. A14). On le trouve dans des formulations bien étranges : «Un dossier à saveur raciste» (la Presse, 2 mars 2012, p. A20).

Contentons-nous pour l’heure de deux domaines.

Le sport :

«Combat à saveur locale» (rds.ca, 5 février 2013).

«Pour un dimanche rétro ! RT @MuseeMcCord “Des sports d’hiver à saveur rétro: http://ow.ly/gqTaC” #sports #hiver #nostalgie» (@macarignan).

«Gain à saveur japonaise» (site mobile de RDS, 20 août 2012).

Victoire à saveur canadienne

La culture :

«fictions à saveur historique» (le Devoir, 6 mars 2012, p. B7).

«roman à saveur historique» (le Devoir, 27-28 août 2011, p. F3).

«roman à saveur familiale» (le Devoir, 25-26 août 2012, p. F3).

«roman à saveur politique» (le Devoir, 25-26 août 2012, p. F3).

«romans à saveur scout» (Fides. 75 ans, p. 30).

Les Anciens Canadiens est un «roman historique à saveur autobiographique» (le Roman québécois, p. 23).

«histoire à saveur locale» (l’Enfant du cimetière, p. 88).

«chansons à saveur religieuse et patriotique» (le Diable en ville, p. 146).

«chansons à saveur éditoriale» (le Diable en ville, p. 185).

«Philippe Fehmiu vous invite à danser au son de ses cocktails musicaux à saveur internationale» (publicité de Radio-Canada, la Presse, 2 septembre 2011, cahier Arts et spectacles, p. 1).

«Une rentrée à saveur techno» (la Presse, 9 juin 2011, cahier Arts et spectacles, p. 7).

«divertissements à saveur visuelle» (le Devoir, 9 novembre 2012, p. B2).

«tournées estivales à saveur nostalgique» (la Presse, 5 novembre 2012, cahier Arts, p. 2).

«cette série à saveur nostalgique» (le Devoir, 6 juillet 2011, p. B7).

«documentaire à saveur autobiographique» (le Devoir, 11 décembre 2012, p. B7).

«cette comédie à saveur rétro» (la Presse, 26 janvier 2013, cahier Cinéma, p. 1).

«http://Tou.tv propose trois webséries à saveur fantastique ce printemps http://www.radio-canada.ca/nouvelles/arts_et_spectacles/2012/03/20/002-tou-tv-webseries-mars.shtml Cool» (@CCAuteur).

 

Références

Biron, Michel, le Roman québécois, Montréal, Boréal, coll. «Boréal express», 2012, 126 p.

Lacasse, Germain, Johanne Massé et Bethsabée Poirier, le Diable en ville. Alexandre Silvio et l’émergence de la modernité populaire au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2012, 299 p. Ill.

Lamontagne, Marie-Andrée (édit.), Fides. 75 ans, Montréal, Fides, 2012, 79 p. Ill. Hors commerce.

MacGregor, Roy, l’Enfant du cimetière, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 13, 2009, 164 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2001.

Proses de la puck

Simon Grondin, le Hockey vu du divan, 2012, couverture

Il y a toutes sortes de façons d’écrire sur le hockey.

Les (auto)biographies de joueurs et d’entraîneurs ne manquent pas, par exemple celles de Guy Lafleur ou de Jacques Demers. Nombre de romanciers ont mis en scène un des deux sports nationaux du Canada (l’autre étant, bien sûr, la crosse). Des journalistes regroupent leurs textes. L’Oreille tendue elle-même a pratiqué l’«histoire culturelle», celle d’un joueur mythique des Canadiens de Montréal, Maurice Richard.

Simon Grondin a une approche différente de celles-là.

Le Hockey vu du divan, qu’il faisait paraître l’an dernier, présente quelques-uns de ses souvenirs de joueur dans une «ligue de garage» et d’«amateur de mauvaise foi» (p. 66) — il aime encore et toujours Jean Béliveau, «le meilleur» (p. 181) —, mais, surtout, il témoigne à la fois d’un devoir de mémoire et d’une ouverture sur l’avenir du sport.

Le devoir de mémoire s’incarne dans une époustouflante érudition hockeyistique. L’auteur, psychologue de son état, aligne sans désarmer statistiques sur statistiques, records sur anecdotes. S’il est vrai qu’il parvient à bien mettre en lumière ce que révèlent (et masquent) les chiffres, le lecteur ne peut qu’avoir le tournis devant pareille accumulation. Certaines figures ressortent de la masse, Eric Lindros (Simon Grondin enseigne à l’Université Laval…) et Wayne Gretzky (par le caractère exceptionnel de ses exploits sur la glace), mais non sans mal.

Cette érudition est essentiellement sportive, on le notera. Qui s’intéresse à la dimension culturelle ou sociopolitique du sport aura intérêt à regarder ailleurs.

L’ouverture sur l’avenir, elle, passe par une série de propositions pour modifier la façon actuelle de pratiquer le hockey. Pourquoi ne pas changer les règles actuelles de la prolongation ? Du format des séries éliminatoires ? Des punitions ? Comment se débarrasser de la violence, notamment des bagarres ? Sur cette question, une citation est à goûter :

[Le fait de tolérer les bagarres] permettrait […], au besoin, «de changer l’allure du match». Pourquoi cette stratégie serait-elle réservée au seul hockey sur glace ? Et puisque les bagarres ne sont apparemment pas dangereuses, elles devraient aussi être permises lors des débats sur le hockey, à la télévision ou dans la cour d’école. Cela permettrait de «changer l’allure des débats»… (p. 68)

Ce ne sont pas les pistes de réflexion qui manquent, certaines étant beaucoup plus improbables que d’autres, ce que l’auteur est le premier à reconnaître.

Simon Grondin fait clairement la preuve qu’on peut être féru de la tradition, tout en étant ouvert à l’évolution. Les puristes hurleront.

Son livre aurait été plus facile à apprécier si langue en avait été plus soignée. Il compte nombre d’anglicismes : «assumer» (p. 12, p. 37), «focaliser» (p. 18), «psychoanalytique» (p. 59), «prendre» un tir de pénalité (p. 104), «appeler» des infractions (passim). Au football, on ne parle pas de «toucher», mais de «touché» (p. 32). Que veut dire «indisposant» (p. 63) ? L’emploi de «soi-disant» avec un inanimé est parfois critiqué; c’est pire quand on écrit «soit disant» (p. 107). Que l’auteur ne soit pas un styliste, passe encore; pas l’absence de correction.

P.-S. — L’ouvrage est découpé en trois périodes, précédées d’un «Échauffement» et suivies d’une «Prolongation» et d’un «Après-match». L’Oreille tendue propose d’imposer un moratoire sur les livres de hockey découpés en périodes.

 

Référence

Grondin, Simon, le Hockey vu du divan, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, 2012, xvi/214 p. Ill.

Ordre et structure

«Merci de garder cet endroit propre et en ordre», affichette

Autant le reconnaître : l’Oreille tendue est une créature ordonnée. Elle aime que les choses soient à leur place, plutôt que pas.

Dès lors, on aurait pu s’attendre à ce qu’elle soit sensible à ce qui est clairement structuré, voire structurant, d’autant que son propre frère érige des structures d’acier. C’est plus compliqué que cela.

Quand elle entend parler les commentateurs sportifs télévisuels, par exemple Marc Denis, à RDS, elle n’est pas bien sûre de comprendre ce que serait du «hockey structuré».

Du mot «structurant», elle sait, d’instinct, qu’elle doit se méfier. C’est le cas ici : «Le transport collectif doit être structurant» (le Devoir, 14-15 avril 2012, p. G3).

Inversement, en quelque sorte, il est des situations où elle se rend compte que l’absence de structure est connotée positivement : «Bernie les attendait, très élégant, très droit dans un ensemble noir et chic déstructuré, rien à voir avec les tenues que lui avait connues Max» (Au piano, p. 204).

Sa compagne, de même, aime les repas «déstructurés», comme cela se pratique beaucoup en Thaïlande.

Il est un peu difficile, pour l’Oreille, de mettre de l’ordre dans tout ça.

 

Référence

Echenoz, Jean, Au piano. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2003, 222 p.

Dans son livre à lui

Sébastien Raymond, Bâton élevé, mises en échec verbales et slapshots philosophiques, 2012, couverture

«On a tous notre heure de gloire
On a tous écrit une page
Du grand livre d’histoire
D’une ligue de garage»
Éric Lapointe, «Rocket (On est tous des Maurice Richard)», 1998

 

Bâton élevé, mises en échec verbales et slapshots philosophiques, qu’a publié récemment Sébastien Raymond, fait se rejoindre deux façons de concevoir le hockey de plus en plus visibles dans la société québécoise.

Depuis quelques années, on a étudié le «sport national» à partir de la théologie (Bauer et Barrot, 2008; Bauer, 2011), de l’histoire culturelle (l’Oreille tendue, 2006), de la psychologie (Grondin, 2012), des sciences humaines en général (Laurin-Lamothe et Moreau, 2011) — et de la philosophie (Baillargeon et Boissinot, 2009).

Dans le même temps, il a été beaucoup question, notamment dans la culture populaire, des ligues de garage. Le meilleur exemple de cela est la série de films, puis d’émissions de télévision, les Boys.

Qu’est-ce qu’une ligue de garage ? La définition suivante est proposée par un des ailiers droits du Patriote de la Vieille Capitale, par ailleurs fidèle lecteur de l’Oreille tendue :

une organisation dont les équipes sont formées de mécaniciens (d’où vient son nom, je suppose), de travailleurs de la construction, de couvreurs, d’électriciens, de commis bancaires, de profs de français ou de philo. Trois particularités dans ce genre d’organisation : les noms d’équipes anglais y sont légion (c’est plus sérieux… encore que Angry Beavers), les matchs ont lieu à des heures impossibles et il faut payer pour y jouer (les lock-out sont peu probables).

Il n’est dès lors pas très étonnant de voir aujourd’hui paraître un ouvrage cherchant, dans ce type de hockey, des «slapshots philosophiques». (Slap Shot n’est seulement un titre de film; c’est aussi un type de lancer, le «lancer frappé».)

En quatrième de couverture, on dit de l’ouvrage qu’il «s’intéresse à l’un des aspects les plus emblématiques de la société québécoise» et qu’il est constitué «de citations glanées dans les chambres de joueurs» et de «photographies originales». Il s’agirait de poser «un regard artistique et plein d’humour sur l’univers des ligues de garage», de montrer comment «la testostérone et la philosophie font bon ménage».

L’entreprise est cependant bien décevante. Sauf exception («Moi, je me considère en bonne forme, malgré que je sois petit pour mon âge»), les «textes» restent au ras des pâquerettes et beaucoup de photos souffrent de leur composition sur deux pages (le lecteur n’arrive pas à voir le centre de l’image). D’autres sont sous-éclairées ou floues.

Les joueurs cités ou photographiés seront peut-être contents du livre. Les autres, pas. L’analyse philosophique des ligues de garage reste à faire. (Il est vrai que ce n’était pas le but de Sébastien Raymond.)

P.-S. — Interrogation linguistique. Dans la phrase «À 5’9” et 175 livres mouillées, tu rentres pas trop fort dans le lard d’un gars qui pèse 50 livres de plus que toi et à qui tu passes en dessous des épaules…», l’accord de «mouillées» attire le regard. Des «livres mouillées» ? L’Oreille tendue aurait préféré le masculin singulier : c’est le joueur dont il est question implicitement qui est «mouillé», pas les livres qu’il pèse.

 

Références

Baillargeon, Normand et Christian Boissinot (édit.), la Vraie Dureté du mental. Hockey et philosophie, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, coll. «Quand la philosophie fait pop !», 2009, xiii/262 p. Ill. Préface de Jean Dion.

Bauer, Olivier et Jean-Marc Barreau (édit.), la Religion du Canadien de Montréal, Montréal, Fides, 2008, 182 p. Ill.

Bauer, Olivier, Une théologie du Canadien de Montréal, Montréal, Bayard Canada, coll. «Religions et société», 2011, 214 p. Ill.

Grondin, Simon, le Hockey vu du divan, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, 2012, 214 p. Ill.

Laurin-Lamothe, Audrey et Nicolas Moreau (édit.), le Canadien de Montréal. Une légende repensée, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2011, 144 p.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Raymond, Sébastien, Bâton élevé, mises en échec verbales et slapshots philosophiques, Montréal, Les 400 coups, 2012, [n. p.]. Ill.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Phénoménologie de l’objet

Objet. Terme de sport. Balle, rondelle, ballon. Exemple : «si les autres n’ont pas l’objet, ils ne peuvent pas compter» (Montréal football, p. 190).

 

Référence

Lemay, Daniel, Montréal football. Un siècle et des poussières…, Montréal, Éditions La Presse, 2006, 240 p. Ill.