Proses de la puck

Simon Grondin, le Hockey vu du divan, 2012, couverture

Il y a toutes sortes de façons d’écrire sur le hockey.

Les (auto)biographies de joueurs et d’entraîneurs ne manquent pas, par exemple celles de Guy Lafleur ou de Jacques Demers. Nombre de romanciers ont mis en scène un des deux sports nationaux du Canada (l’autre étant, bien sûr, la crosse). Des journalistes regroupent leurs textes. L’Oreille tendue elle-même a pratiqué l’«histoire culturelle», celle d’un joueur mythique des Canadiens de Montréal, Maurice Richard.

Simon Grondin a une approche différente de celles-là.

Le Hockey vu du divan, qu’il faisait paraître l’an dernier, présente quelques-uns de ses souvenirs de joueur dans une «ligue de garage» et d’«amateur de mauvaise foi» (p. 66) — il aime encore et toujours Jean Béliveau, «le meilleur» (p. 181) —, mais, surtout, il témoigne à la fois d’un devoir de mémoire et d’une ouverture sur l’avenir du sport.

Le devoir de mémoire s’incarne dans une époustouflante érudition hockeyistique. L’auteur, psychologue de son état, aligne sans désarmer statistiques sur statistiques, records sur anecdotes. S’il est vrai qu’il parvient à bien mettre en lumière ce que révèlent (et masquent) les chiffres, le lecteur ne peut qu’avoir le tournis devant pareille accumulation. Certaines figures ressortent de la masse, Eric Lindros (Simon Grondin enseigne à l’Université Laval…) et Wayne Gretzky (par le caractère exceptionnel de ses exploits sur la glace), mais non sans mal.

Cette érudition est essentiellement sportive, on le notera. Qui s’intéresse à la dimension culturelle ou sociopolitique du sport aura intérêt à regarder ailleurs.

L’ouverture sur l’avenir, elle, passe par une série de propositions pour modifier la façon actuelle de pratiquer le hockey. Pourquoi ne pas changer les règles actuelles de la prolongation ? Du format des séries éliminatoires ? Des punitions ? Comment se débarrasser de la violence, notamment des bagarres ? Sur cette question, une citation est à goûter :

[Le fait de tolérer les bagarres] permettrait […], au besoin, «de changer l’allure du match». Pourquoi cette stratégie serait-elle réservée au seul hockey sur glace ? Et puisque les bagarres ne sont apparemment pas dangereuses, elles devraient aussi être permises lors des débats sur le hockey, à la télévision ou dans la cour d’école. Cela permettrait de «changer l’allure des débats»… (p. 68)

Ce ne sont pas les pistes de réflexion qui manquent, certaines étant beaucoup plus improbables que d’autres, ce que l’auteur est le premier à reconnaître.

Simon Grondin fait clairement la preuve qu’on peut être féru de la tradition, tout en étant ouvert à l’évolution. Les puristes hurleront.

Son livre aurait été plus facile à apprécier si langue en avait été plus soignée. Il compte nombre d’anglicismes : «assumer» (p. 12, p. 37), «focaliser» (p. 18), «psychoanalytique» (p. 59), «prendre» un tir de pénalité (p. 104), «appeler» des infractions (passim). Au football, on ne parle pas de «toucher», mais de «touché» (p. 32). Que veut dire «indisposant» (p. 63) ? L’emploi de «soi-disant» avec un inanimé est parfois critiqué; c’est pire quand on écrit «soit disant» (p. 107). Que l’auteur ne soit pas un styliste, passe encore; pas l’absence de correction.

P.-S. — L’ouvrage est découpé en trois périodes, précédées d’un «Échauffement» et suivies d’une «Prolongation» et d’un «Après-match». L’Oreille tendue propose d’imposer un moratoire sur les livres de hockey découpés en périodes.

 

Référence

Grondin, Simon, le Hockey vu du divan, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, 2012, xvi/214 p. Ill.

Ordre et structure

«Merci de garder cet endroit propre et en ordre», affichette

Autant le reconnaître : l’Oreille tendue est une créature ordonnée. Elle aime que les choses soient à leur place, plutôt que pas.

Dès lors, on aurait pu s’attendre à ce qu’elle soit sensible à ce qui est clairement structuré, voire structurant, d’autant que son propre frère érige des structures d’acier. C’est plus compliqué que cela.

Quand elle entend parler les commentateurs sportifs télévisuels, par exemple Marc Denis, à RDS, elle n’est pas bien sûre de comprendre ce que serait du «hockey structuré».

Du mot «structurant», elle sait, d’instinct, qu’elle doit se méfier. C’est le cas ici : «Le transport collectif doit être structurant» (le Devoir, 14-15 avril 2012, p. G3).

Inversement, en quelque sorte, il est des situations où elle se rend compte que l’absence de structure est connotée positivement : «Bernie les attendait, très élégant, très droit dans un ensemble noir et chic déstructuré, rien à voir avec les tenues que lui avait connues Max» (Au piano, p. 204).

Sa compagne, de même, aime les repas «déstructurés», comme cela se pratique beaucoup en Thaïlande.

Il est un peu difficile, pour l’Oreille, de mettre de l’ordre dans tout ça.

 

Référence

Echenoz, Jean, Au piano. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2003, 222 p.

Dans son livre à lui

Sébastien Raymond, Bâton élevé, mises en échec verbales et slapshots philosophiques, 2012, couverture

«On a tous notre heure de gloire
On a tous écrit une page
Du grand livre d’histoire
D’une ligue de garage»
Éric Lapointe, «Rocket (On est tous des Maurice Richard)», 1998

 

Bâton élevé, mises en échec verbales et slapshots philosophiques, qu’a publié récemment Sébastien Raymond, fait se rejoindre deux façons de concevoir le hockey de plus en plus visibles dans la société québécoise.

Depuis quelques années, on a étudié le «sport national» à partir de la théologie (Bauer et Barrot, 2009; Bauer, 2011), de l’histoire culturelle (l’Oreille tendue, 2006), de la psychologie (Grondin, 2012), des sciences humaines en général (Laurin-Lamothe et Moreau, 2011) — et de la philosophie (Baillargeon et Boissinot, 2009).

Dans le même temps, il a été beaucoup question, notamment dans la culture populaire, des ligues de garage. Le meilleur exemple de cela est la série de films, puis d’émissions de télévision, les Boys.

Qu’est-ce qu’une ligue de garage ? La définition suivante est proposée par un des ailiers droits du Patriote de la Vieille Capitale, par ailleurs fidèle lecteur de l’Oreille tendue :

une organisation dont les équipes sont formées de mécaniciens (d’où vient son nom, je suppose), de travailleurs de la construction, de couvreurs, d’électriciens, de commis bancaires, de profs de français ou de philo. Trois particularités dans ce genre d’organisation : les noms d’équipes anglais y sont légion (c’est plus sérieux… encore que Angry Beavers), les matchs ont lieu à des heures impossibles et il faut payer pour y jouer (les lock-out sont peu probables).

Il n’est dès lors pas très étonnant de voir aujourd’hui paraître un ouvrage cherchant, dans ce type de hockey, des «slapshots philosophiques». (Slap Shot n’est seulement un titre de film; c’est aussi un type de lancer, le «lancer frappé».)

En quatrième de couverture, on dit de l’ouvrage qu’il «s’intéresse à l’un des aspects les plus emblématiques de la société québécoise» et qu’il est constitué «de citations glanées dans les chambres de joueurs» et de «photographies originales». Il s’agirait de poser «un regard artistique et plein d’humour sur l’univers des ligues de garage», de montrer comment «la testostérone et la philosophie font bon ménage».

L’entreprise est cependant bien décevante. Sauf exception («Moi, je me considère en bonne forme, malgré que je sois petit pour mon âge»), les «textes» restent au ras des pâquerettes et beaucoup de photos souffrent de leur composition sur deux pages (le lecteur n’arrive pas à voir le centre de l’image). D’autres sont sous-éclairées ou floues.

Les joueurs cités ou photographiés seront peut-être contents du livre. Les autres, pas. L’analyse philosophique des ligues de garage reste à faire. (Il est vrai que ce n’était pas le but de Sébastien Raymond.)

P.-S. — Interrogation linguistique. Dans la phrase «À 5’9” et 175 livres mouillées, tu rentres pas trop fort dans le lard d’un gars qui pèse 50 livres de plus que toi et à qui tu passes en dessous des épaules…», l’accord de «mouillées» attire le regard. Des «livres mouillées» ? L’Oreille tendue aurait préféré le masculin singulier : c’est le joueur dont il est question implicitement qui est «mouillé», pas les livres qu’il pèse.

 

Références

Baillargeon, Normand et Christian Boissinot (édit.), la Vraie Dureté du mental. Hockey et philosophie, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, coll. «Quand la philosophie fait pop !», 2009, xiii/262 p. Ill. Préface de Jean Dion.

Bauer, Olivier et Jean-Marc Barreau (édit.), la Religion du Canadien de Montréal, Montréal, Fides, 2009, 182 p. Ill.

Bauer, Olivier, Une théologie du Canadien de Montréal, Montréal, Bayard Canada, coll. «Religions et société», 2011, 214 p. Ill.

Grondin, Simon, le Hockey vu du divan, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, 2012, 214 p. Ill.

Laurin-Lamothe, Audrey et Nicolas Moreau (édit.), le Canadien de Montréal. Une légende repensée, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2011, 144 p.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Raymond, Sébastien, Bâton élevé, mises en échec verbales et slapshots philosophiques, Montréal, Les 400 coups, 2012, [n. p.]. Ill.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Phénoménologie de l’objet

Objet. Terme de sport. Balle, rondelle, ballon. Exemple : «si les autres n’ont pas l’objet, ils ne peuvent pas compter» (Montréal football, p. 190).

 

Référence

Lemay, Daniel, Montréal football. Un siècle et des poussières…, Montréal, Éditions La Presse, 2006, 240 p. Ill.

Grave erreur anthume

David Turgeon, les Bases secrètes, 2012, couverture

Vous avez merdé grave ? Au Québec, vous n’êtes pas mieux que mort.

Exemples

«Si Max t’attrape, t’es pas mieux que morte, dit Sim» (Meurtres sur la côte, p. 106).

«On est pas mieux que morts ! siffla Sim» (l’Enfant du cimetière, p. 103).

«Il y avait ce cauchemar qu’il faisait, petit : poursuivi par je ne sais quelle menace, il voulait fuir, courir à toute vitesse mais ses jambes refusaient de le suivre, elles se traînaient sous lui, pas mieux que mortes» (les Bases secrètes, p. 10).

On ne souhaite cela à personne.

 

[Complément du 29 décembre 2012]

L’expression n’est pas récente. On la trouve dans la bande dessinée Onésime d’Albert Chartier dès 1955 (p. 37; voir aussi p. 8).

 

Références

Chartier, Albert, Onésime. Les meilleures pages, Montréal, Les 400 coups, 2011, 262 p. Publié sous la direction de Michel Viau. Préface de Rosaire Fontaine.

MacGregor, Roy, l’Enfant du cimetière, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 13, 2009, 164 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2001.

MacGregor, Roy, Meurtres sur la côte, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 12, 2008, 162 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2000.

Turgeon, David, les Bases secrètes. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 59, 2012, 189 p.