Tombeau d’Ella (12) : jouer

Ella Fitzgerald, timbre-poste, États-Unis, 2007

[Ce texte s’inscrit dans la série Tombeau d’Ella. On en trouvera la table des matières ici.]

Depuis 2007, février est officiellement, au Québec, le Mois de l’histoire des Noirs. Cette année, février est aussi un mois olympique. Or, en 1968, Ella Fitzgerald assistait, à Grenoble, aux jeux Olympiques d’hiver. Ella Fitzgerald et le sport ? L’association ne va peut-être pas de soi, mais elle existe. Allons-y jeter une oreille.

La chanteuse évoque divers sports dans ses chansons : la boxe («I’m Beginning to See the Light», «The Lady Is a Tramp»), les courses hippiques («You’re the Top»), le ski («Moonlight in Vermont»), la course à pied («Get Out of Town»).

Elle s’intéressait, à la télévision, au boxeur Muhammad Ali ou aux activités des Lakers de Los Angeles — c’est du basket. On l’entend chanter dans Raging Bull, le grand film de Martin Scorcese sur la boxe (1980). En 1972, elle a participé au spectacle de la mi-temps du Super Bowl, le VIe du nom, à la Nouvelle-Orléans.

Bing Crosby, voulant lui rendre hommage au cours de l’émission télévisée The Hollywood Palace (ABC, 18 février 1969), la présente en la comparant à deux grands baseballeurs : «The Sandy Koufax of Song, the Brooks Robinson of Rhythm, the All-Star of Timing — the Peerless One» (cité par Geoffrey Mark Fidelman, p. 178). Ce n’est que justice : Ella Fitzgerald était fan de baseball.

Ce sport est évoqué dans la chanson «The Lady Is a Tramp». À la télévision, on l’a vue avec le gérant des Dodgers de Los Angeles, Tommy Lasorda, l’équipe qu’elle suivait au petit écran. Elle aurait fréquenté Jackie Robinson et Willie Mays. Ainsi que l’a rappelé Marissa Del Toro en 2006, le Smithsonian Institution possède des artefacts liés au baseball ayant appartenu à Ella Fitzgerald, elle qui était souvent invitée à chanter l’hymne national états-unien au début des matchs.

L’Oreille tendue aurait aimé être là.

 

[Complément du 17 mai 2018]

L’histoire du timbre reproduit ci-dessus est racontée dans cette vidéo :

 

[Complément du 20 juin 2021]

Steven Jezo-Vannier a publié récemment Ella Fitzgerald. Il était une voix en Amérique. À la page 30, il est question d’Ella jeune, à Yonkers, dans «la cour de recréation» avec des garçons «dont elle partage le goût pour le baseball et le hockey.» Pour le baseball, on ne s’étonnera pas. Pour le hockey, l’Oreille, grande fan d’Ella et de hockey, est un peu plus sceptique, mais elle ne demande qu’à être convaincue.

 

[Complément du 2 mai 2022]

Kostya Kennedy a publié récemment une nouvelle biographie du baseballeur Jackie Robinson. On y apprend qu’Ella Fitzgerald a chanté dans un des concerts-bénéfice qu’il organisait chez lui, à Stamford au Connecticut («The Afternoon of Jazz Concerts»), pour aider des organismes de défense des droits des Noirs, la Southern Christian Leadership Conference et la National Association for the Advancement of Colored People (p. 213-214).

Une fois encore, l’Oreille tendue aurait aimé être là.

 

Références

Del Toro, Marissa, «The Queen of Jazz and Her Love of Baseball», blogue O Say Can You See ? Stories from the National Museum of American History, 4 avril 2016.

Fidelman, Geoffrey Mark, First Lady of Song. Ella Fitzgerald. For the Record, New York, A Citadel Press Book, Carol Publishing Group, 1996, xx/379 p. Ill. Édition originale : 1994.

Jezo-Vannier, Steven, Ella Fitzgerald. Il était une voix en Amérique, Marseille, Le mot et le reste, 2021, 367 p. Ill.

Kennedy, Kostya, True. The Four Seasons of Jackie Robinson, New York, St. Martin’s Press, 2022, viii/278 p. Ill.

Autopromotion 347

Les Indians de Cleveland — c’est du baseball — viennent d’annoncer que le logo de l’équipe, jugé offensant voire raciste par plusieurs, sera remplacé par un nouveau à compter de 2019.

L’Oreille tendue, dans le Devoir du jour, répond aux questions de Stéphane Baillargeon à ce sujet.

Autopromotion 345

Collection «Paragraphes», 29, 2010, couverture

Les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — affrontent ce soir les Capitals de Washington et leur formidable numéro 8, Alexander Ovechkin.

En 2010, l’Oreille tendue, alors qu’elle rendait hommage à son collègue et ami Pierre Nepveu, a écrit quelques lignes sur le pied (gauche) d’Ovechkin. (On peut les lire ici, en PDF.) Plus largement, le texte porte sur le sport et l’imaginaire du pied.

 

Référence

Melançon, Benoît, «Hendécasyllabe sportif», dans Marie-Andrée Beaudet et Karim Larose (édit.), le Marcheur des Amériques. Mélanges offerts à Pierre Nepveu, Montréal, Université de Montréal, Département des littératures de langue française, coll. «Paragraphes», 29, 2010, p. 173-180. https://doi.org/1866/19742

Les langues du hockey

Olivier Niquet, Dans mon livre à moi, 2017, couverture

«Lorsqu’il est question de tout ce qui se passe sur une patinoire,
la syntaxe mange souvent une claque.»

L’Oreille tendue et Olivier Niquet aiment entendre parler de hockey. La première a consacré un livre aux mots du hockey, Langue de puck (2014). Le second a rassemblé, sous le titre Dans mon livre à moi, 436 citations, de 122 commentateurs, citations véridiques toutes plus boiteuses les unes que les autres. Elles sont datées (de 2004 à 2017), regroupées thématiquement et indexées. Parmi les «commentateurs», il y a beaucoup de joueurnalistes, mais on entend aussi des joueurs, des entraîneurs et des administrateurs; quelques-uns ont droit à leur carte, avec photo, présentation et statistiques. Le hockey domine, mais d’autres sports sont convoqués à l’occasion. Des quiz permettent au lecteur de vérifier ses connaissances.

Chacun choisira sa citation favorite. Voici quelques-unes de celles que chérit l’Oreille : «Il en a vu des roses et des pas mûres» (Benoît Brunet, p. 35); «On ne peut pas jouer à la chaise roulante continuellement» (Michel Bergeron, p. 41); «Pis je trouve que Shaw, c’t’un gars qui a beaucoup plus de chien» (Vincent Damphousse, p. 61); «Les partisans du Canadien, ils veulent le beurre et le pain du beurre» (Michel Villeneuve, p. 174); «Quand t’as un jeune défenseur là, ta lèche est courte» (Marc Bergevin, p. 196); «Les drapeaux viennent d’érecter d’eux-mêmes» (Jean-Charles Lajoie, p. 214); «La rondelle est restée coincée dans les airs» (Pierre Houde, p. 255).

Toute la section «Le sixième sens des experts sportifs» (p. 144-155) est une merveille. Un exemple ? «Je pense qu’il faut le voir du bon pied» (Guillaume Latendresse, p. 152).

Morale de cette histoire ? «Souvent on parle pour absolument rien, mais ça fait partie du sujet» (Rodger Brulotte, p. 11).

Des heures de plaisir.

P.-S.—Les amateurs de l’émission de radio La soirée est encore jeune, à laquelle participe Olivier Niquet, apprécieront un des choix de réponse proposé à la p. 266 : «C’était un Mongol de Québec.»

P.-P.-S.—La section finale, «Un peu d’inspiration» (p. 268-273), rassemble des citations édifiantes. Que vient-elle faire là ?

P.-P.-P.-S.—Gabriel Grégoire n’a pas été «défenseur» pour les Alouettes de Montréal — c’est du football —, mais joueur de ligne défensive (p. 183).

P.-P.-P.-P.-S.—Si les réviseurs de l’ouvrage ne connaissent pas une meilleure saison en 2018, ils risquent de se retrouver dans les mineures : ils ont laissé plusieurs fois «parlé» au lieu de «parler» (p. 4-6); ils n’ont pas relevé des constructions fautives (deux à la p. 9, une à la p. 176); ils ne semblent pas toujours savoir quand utiliser l’italique (p. 5, p. 185, p. 186); des coquilles leur ont échappé (p. 17, p. 111, p. 129, p. 183, p. 193, p. 195, p. 216, p. 219, p. 221, p. 223, p. 226, p. 263, p. 267, p. 270, p. 271, p. 272, p. 277, p. 279, p. 281). Peut-être n’ont-ils pas donné leur 110 %.

 

Références

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Niquet, Olivier, Dans mon livre à moi, Montréal, Duchesne et du Rêve, 2017, 295 p. Ill. Mot de l’éditeur (Patrice Duchesne). Préface de Jean-René Dufort.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

 

 

Histoires de famille

Réjean Ducharme, l’Hiver de force, éd. de 1984, couverture

C’est dans l’Hiver de force, de Réjean Ducharme. Il est question des Canadiens de Montréal — c’est du hockey.

D’abord, page 51 :

Tout à l’heure (c’est encore chaud), on s’est fait battre 6 à 2 à New York. Les Rangers, profitant d’une zone de basse pression de nos frères Mahovlich, ont écrasé, défoncé, déclassé nos Canadiens; (ils n’en ont fait qu’une poignée, qu’une bouchée, qu’une pincée). Hé Frank ! Hé Pete ! Wake up ! C’est les éliminatoires mondiales de hockey ! C’est pas la Pavane pour une infante défunte !

— Cesse, cher ! Les joueurs qu’on aime c’est pour qu’on leur soit fidèles. Quand ils font des erreurs c’est pour qu’on les aime plus, sinon davantage !

Puis, page 59 :

Les Canadiens se sont fait éliminer comme des grands veaux. Seuls [Henri] Richard et [Jacques] Lemaire n’ont pas joué comme des cochons. Nos frères Mahovlich ont traîné la patte tout le long de la série comme s’ils se l’étaient laissé graisser. On s’est fait arranger correct. Ça nous a mis le moral à terre. 3 à 2 pour New York; dernière période, dernières dix secondes; mise au jeu à la droite de leur gardien : Richard l’emporte, passe à Frank dans le coin; [Brad] Park guette Frank et Lemaire bataille pour rester en position devant le filet; Frank lance vers Lemaire à travers les jambes de Park, la rondelle vole par-dessus le bâton de Lemaire, Lemaire frappe de l’air. La sirène crie, en plein dans nos cœurs. C’est fini, c’est effrayant, Nicole pleure.

Réjean Ducharme est mort le 21 août 2017, et Maurice Ravel le 28 décembre 1937. Frank Mahovlich est né le 10 janvier 1938.

Joyeux anniversaire.

 

Référence

Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.