Hommage à Normand Chaurette

Normand Chaurette, Comment tuer Shakespeare, 2011, couverture

 

L’écrivain Normand Chaurette est mort cette semaine.

À une époque, l’Oreille tendue le croisait dans les corridors de ce qui s’appelait encore le Département d’études françaises de l’Université de Montréal.

Leurs chemins se sont de nouveau croisés au moment où le jury du prix de la revue Études françaises l’a sollicité pour un ouvrage encore à naître, Comment tuer Shakespeare.

Le livre a reçu plusieurs prix, dont le prix du Gouverneur général du Canada, catégorie études et essais de langue française. Le 28 novembre 2012, à Rideau Hall, c’est l’Oreille qui représentait les Presses de l’Université de Montréal et qui avait l’honneur de présenter le lauréat.

Les Presses de l’Université de Montréal sont fières d’avoir édité Normand Chaurette.

On connaissait déjà le dramaturge de Rêve d’une nuit d’hôpital ou de Ce qui meurt. On connaissait aussi le prosateur de Scène d’enfants ou du Poids des choses. On connaissait encore l’adaptateur de Schiller ou d’Ibsen. Avant aujourd’hui, ses œuvres avaient valu à Normand Chaurette trois prix du Gouverneur général du Canada et une reconnaissance internationale.

Comment tuer Shakespeare est un livre différent de ceux-là. Le jury du prix de la revue Études françaises l’a en effet commandé à Normand Chaurette, car ses membres savaient que celui-ci se passionnait depuis de nombreuses années pour la traduction dramatique, et particulièrement pour celle des œuvres de Shakespeare. Nous voulions, au sein de ce jury et aux Presses de l’Université de Montréal, lire un essai de Normand Chaurette sur cette expérience de la traduction par quelqu’un qui est lui-même dramaturge.

Nous avons été comblés au-delà de toutes nos attentes. Comment tuer Shakespeare est un essai au sens fort du terme. On y voit s’élaborer un vrai travail intellectuel et littéraire, on y suit un créateur dans les affres — le mot n’est pas trop fort — de la création, on y rencontre des personnages dont on ne sait trop s’ils sont réels ou imaginaires, on y découvre un nouveau Shakespeare — et un nouveau Chaurette.

Lui remettant le prix Spirale-Éva-Le-Grand, Gilbert David a résumé les choses d’un mot : «Chef-d’œuvre.»

Dix ans plus tard, il n’y a rien à changer à cet éloge.

 

Référence

Chaurette, Normand, Comment tuer Shakespeare, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2011, 220 p. Prix de la revue Études françaises.

Traduire Shakespeare au XVIIIe siècle

Portrait de Shakespeare attribué à John Taylor

À compter de ce soir, le Théâtre du Nouveau Monde présente à Montréal sa production de Hamlet. L’occasion est belle de se rappeler combien il a été difficile, au XVIIIe siècle, de traduire la pièce en français.

L’original (~1601)

To be, or not to be—that is the question :
Whether ‘tis nobler in the mind to suffer
The slings and arrows of outrageous fortune
Or to take arms against a sea of troubles,
And by opposing end them
(éd. de 1980, p. 57).

Chez le Voltaire des Lettres philosophiques (1734)

Demeure; il faut choisir, et passer à l’instant
De la vie à la mort, ou de l’être au néant
(lettre XVIII, éd. de 1964, p. 122).

Pour Pierre-Antoine de La Place (1745)

Être, ou n’être plus ? arrête, il faut choisir !… Est-il plus digne d’une grande âme, de supporter l’inconstance, & les outrages de la fortune, que de se révolter contre les coups ?… Mourir… Dormir… Voilà tout (vol. II, p. 333).

Selon Jean-François Ducis (1769)

Je ne sais que résoudre… immobile et troublé…
C’est rester trop longtemps de mon doute accablé;
C’est trop souffrir la vie et le poids qui me tue.
Hé ! qu’offre donc la mort à mon âme abattue ?
(cité par Michel Delon et Pierre Malandain, p. 422).

Enfin, Pierre Le Tourneur (1776-1783)

Être ou ne pas être ! c’est là la question….. S’il est plus noble à l’âme de souffrir les traits poignants de l’injuste fortune, ou, se révoltant contre cette multitude de maux, de s’opposer au torrent, et les finir ? (éd. de 1881, p. 154-155)

Tant d’années pour arriver à se sortir du carcan classique.

 

Illustration : Portrait de William Shakespeare, dit «Portrait de Chandos», attribué à John Taylor, photo déposée sur Wikimedia Commons

 

Références

Delon, Michel et Pierre Malandain, Littérature française du XVIIIe siècle, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Premier cycle», 1996, x/521 p.

Shakespeare, William, le Théâtre anglois, Paris [Londres], 1745-1746, 4 vol. in-12. Vol. II : Richard III. Hamlet. Macbeth, 1745.

Shakespeare, William, Œuvres choisies de Shakespeare traduites par M. Le Tourneur et augmentées d’une préface par M. Dupontacq, prof. Jules César, Hamlet et Macbeth, Paris, Berche et Tralin, éditeurs, coll. «Bibliothèque des chefs-d’œuvre», 1881, 304 p.

Shakespeare, William, Shakespeare. Seven Plays. The Songs. The Sonnets. Selections from the Other Plays, Penguin Books, coll. «The Viking Portable Library», 1980, viii/792 p.

Voltaire, Lettres philosophiques, Paris, GF-Flammarion, coll. «GF», 15, 1964, 188 p. Chronologie et préface par René Pomeau. Édition originale : 1734.