Cachez cet adverbe que je ne saurais voir

C’est vous le blogueur ? — Effectivement.

«Acheter au Canada ? Absolument !» (la Presse, 1er novembre 2012 , p. A16, publicité)

Dans 99 mots et expressions à foutre à la poubelle, Jean-Loup Chiflet parle-t-il de l’adverbe d’affirmation ? — Tout à fait (p. 115).

René a envoyé promener Céline ? — J’espère !

Au retour du lock-out, les joueurs donneront-ils leur 110 % ? — Définitivement.

T’es sûr ? — Certain.

Tu penses qu’il y a des collusionnaires à Montréal ? — Mets-en.

En forme ? — Le faut.

«Tout le goût du Coca-Cola, zéro calorie.» — «Sérieux».

Il a déjà quitté ? — Exact.

«Si c’est bon de gagner de cette façon ? Yessssss ! Yessssss !» (la Presse, 3 juillet 2001)

Bref, toujours dire non à oui.

 

[Complément du 27 mars 2015]

Bel exemple de l’utilisation de certain par la traductrice des Retrouvailles des Carcajous (2015) :

— Alors tu m’appelles si tu changes d’idée ?
— Certain (p. 67).

 

[Complément du 24 juin 2015]

Deux autres cas, tirés de la pièce J’ai perdu mon mari de Catherine Léger (2015).

«[Mélissa] J’ai-tu le droit ? [William] Complètement» (p. 57).

«[Le pusher] On vit pas assez, man. [Évelyne] C’est clair» (p. 71).

 

Références

Chiflet, Jean-Loup, 99 mots et expressions à foutre à la poubelle, Paris, Seuil, coll. «Points. Le goût des mots», Hors série, inédit, P 2268, 2009, 122 p. Dessins de Pascal Le Brun.

Léger, Catherine, J’ai perdu mon mari, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 04, 2015, 101 p. Ill.

MacGregor, Roy, les Retrouvailles des Carcajous, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 19, 2015, 174 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2004.

Seizième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Diaphore

Définition

«On répète un mot déjà employé en lui donnant une nouvelle nuance de signification» (Gradus, éd. de 1980, p. 155; voir aussi la Clé. Répertoire de procédés littéraires).

Exemples

«Sur l’Europe, si rapidement que l’on ne vit rien venir de cette vague de terreur, et ce ne fut pas une vague terreur qui déferla comme une vague, mais bien une vague de terreur, qui déferla sur l’Europe et qui allait tout emporter avec elle» (l’ABC du gothique, p. 15).

«Fou d’un livre, fou à cause d’un livre. Fou d’un genre, à cause d’un genre, et même si ce n’est pas vraiment son genre, en tomber fou» (l’ABC du gothique, p. 67).

«Le temps n’en fait qu’à sa tête et le chauffeur scrute la mienne avec un drôle d’air» (Voyage léger, p. 11).

«Les escargots me sont complètement sortis de la cervelle, et pourtant, certains jours, il fallait se la creuser pour trouver un menu qui satisfasse les clients…» (la Respiration du monde, p. 161).

«Pour élucider le mystère de ceux qui tournent la page, il n’est pas inutile de feuilleter celles signées par Stéphane Ledien» (la Presse, 18 mai 2012, cahier Arts, p. 4).

Remarque

Dans les trois derniers exemples, le mot est repris («la mienne», «la», «celles»), mais pas répété.

Interrogation

Le gouvernement du Québec a voulu augmenter les droits de scolarité universitaires de 1625 $. Des associations étudiantes lui ont répondu par la grève. Dans certaines de leurs manifestations, les participants étaient peu vêtus. C’est le cas de cette manufestante, qui trouve que l’augmentation prévue la frappe trop fort («ça fesse»). Comme ce message se trouve juste au-dessus de «Chacune des deux parties charnues (musculo-adipeuses) de la région postérieure du bassin, dans l’espèce humaine et chez certains mammifères» (le Petit Robert, édition numérique de 2010), ne peut-on pas considérer ce voisinage comme une forme scripto-visuelle de diaphore, de fesser à la fesse ?

Une hausse qui fesse (littéralement)

Source : la Presse, 4 mai 2012, p. A5

 

[Complément du 28 avril 2014]

Après les fesses, les bourses : «Joel Quenneville s’est pris la bourse… et maintenant les Hawks délient les cordons de la leur. 25 000 $ d’amende pour geste obscène» (@MAGodin)

 

[Complément du 2 juillet 2014]

Peut-on parler de diaphore par homonymie ? C’est ce que donne à penser la une du Canard enchaîné du jour : «Les bleus en quart et Sarko en car de police.» (Titre repéré sur Twitter.)

 

[Complément du 28 octobre 2014]

Dans l’entrée «J comme Jesus Price» de la série «ABC de la religion du #Canadien» de son collègue Olivier Bauer, l’Oreille tendue tombe sur cette diaphore biblique : «Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église» (Matthieu 16, 18). Olivier, lui, parle plutôt de «mauvais jeu de mot». En cela, il est d’accord avec Voltaire.

 

[Complément du 12 novembre 2014]

«On ne se réchauffe qu’au feu de bois, au fioul, à l’électricité ou au gaz et ce n’est pas elle, qui ne m’a jamais payé le mien, qui va me dire de quel bois je me chauffe» (Autour du monde, p. 262).

 

[Complément du 11 décembre 2014]

«Quequ’un qui a pas passé ses maths de secondaire 3 faque c’est la moppe qu’y passe dans un IGA jusqu’à 19 ans» («Monde (le vrai)», p. 63).

 

[Complément du 12 décembre 2014]

Deux diaphores pour le prix d’une : l’une en français (bien / biens), l’autre en anglais (good / goods).

Deux diaphores en vitrine

 

[Complément du 22 décembre 2014]

Diaphore animale, chez Daniel Canty, repérée par @SimonBrousseau : «Une chienne amputée d’une patte joue entre celles de la table.»

 

[Complément du 9 février 2015]

Exemple tiré de Parlez-vous franglais ? d’Étiemble : «Beaucoup de ces notions, vous le constaterez sans peine, mais avec peine, sont maintenant devenues “bien françaises”» (éd. de 1991, p. 290).

 

[Complément du 27 mars 2015]

Entendu l’autre jour, vers la quinzième minute de l’émission Des Papous dans la tête du 15 mars 2015, un extrait de la chanson «Hay dit oh» de Bourvil et Pierrette Bruno :

[Elle] Le panorama te plaira
Là haut tu feras
Avec ta nouvelle caméra
Une bobine comme ça

[Lui] T’as pensé à celle que je f’rais
Si jamais on tombait
Dans le piège
De l’abominable homme des neiges

 

[Complément du 10 août 2015]

Le comte Medroso «était familier de l’Inquisition; milord Boldmind n’était familier que dans la conversation» (Voltaire, article «Liberté de penser», Dictionnaire philosophique, cité dans Tolérance, p. 51).

 

[Complément du 9 septembre 2015]

Ce matin, Stéfanie Trudeau, l’ex-Matricule 728, était à la radio de Radio-Canada, au micro d’Alain Gravel. Elle y a notamment dit ceci : «Moé j’veux r’venir chez nous avec tout’ mes membres, pis j’veux qu’mes membres de mon escouade fassent la même chose.»

 

[Complément du 9 juin 2016]

Un autre exemple tiré d’un polar, Mardi-gris (1978), d’Hervé Prudon : «Nos trois mauvais sujets en trouvèrent donc un quatrième, de satisfaction celui-là, il n’y aurait pas foule dans les rues et sur les routes et ils pourraient opérer en souplesse» (p. 113).

 

[Complément du 10 juin 2016]

L’Oreille tendue, ces jours-ci, fait du ménage dans ses polars. Elle y retrouve la Position du tireur couché (1981) de Jean-Patrick Manchette : «Terrier lui donna vingt-six ans. Elle lui donna une clé» (p. 36); «En sortant d’une charcuterie une maman flanqua une claque à un bambin qui la flanquait, il se mit à hurler» (p. 92).

 

[Complément du 30 juillet 2016]

«— Ma femme, ça fait longtemps qu’elle a pris son paquetage elle aussi.
— Elle s’est tirée ?
— Oui. Une balle dans la tête après la mort de notre fils» (Ian Manook, les Temps Sauvages, p. 268).

 

[Complément du 7 décembre 2016]

Ceci, lu dans Comment j’ai fait mon dictionnaire de la langue française (1880) d’Émile Littré : «Dans cette inerte attente, et pour tuer le temps qui me tuait, je mis à contribution la bibliothèque de M. le docteur Formorel […]» (éd. de 1897, p. 40).

 

[Complément du 30 janvier 2017]

Chez Éric Chevillard : «J’ai froissé ma serviette dessus pour que le monsieur ne le soit pas lui-même s’il revenait, en voyant que j’ai fait la fine bouche avec son dessert» (Ronce-Rose, p. 22).

 

[Complément du 29 février 2018]

Encore chez Éric Chevillard : «Leurs grimaces ont tant souillé les vitrines des librairies du quartier que celles-ci ont préféré fermer. Se vendent à présent dans ces boutiques des costards étriqués pareils à ceux qu’ils taillent aux écrivains véritables et des plastrons avantageux pour leurs torses creux» (Défense de Prosper Brouillon, p. 8).

 

[Complément du 12 novembre 2018]

Message à Érik Vigneault : oui, ça intéresse l’Oreille tendue.

vous avez une pièce célèbre non seulement pour ses qualités esthétiques, ses qualités intrinsèques, mais pour les événements, la suite d’événements qui s’y sont déroulés, les gens qui y sont passés, c’est notre pièce de résistance si vous me passez le jeu de mots (deux fois le mot pièce dans deux sens différents : cela s’appelle une diaphore pour ceux que ça intéresse) (Tout savoir sur Juliette, p. 35).

 

[Complément du 23 décembre 2020]

Exemple juridicoromanesque : «Joanna s’est déplacée au siège de Valdeo à Philadelphie avec un jeune avocat associé qui suit les dossiers et d’ailleurs les porte» (l’Anomalie, p. 69-70).

 

[Complément du 7 avril 2021]

«Laisse-toi au gré du courant
Porter dans le lit du torrent
Et dans le mien
Si tu veux bien»

«L’eau à la bouche», paroles de Serge Gainsbourg, musique de Serge Gainsbourg et Alain Goraguer, 1965.

 

[Complément du 28 novembre 2021]

Soit le tweet suivant :

https://twitter.com/MarcCassivi/status/1464616492658483209

La première Céline chante. Pas le deuxième.

 

[Complément du 16 janvier 2024]

Dans l’Employé (1958), de Jacques Sternberg, ceci, qui n’est pas tout à fait une diaphore, mais c’est tout comme : «Orphelin, je fus recueilli par un oncle mélomane qui fit de moi un petit orphéon. Malheureusement, ce philanthrope était tellement pieux qu’on dut finalement le planter dans un terrain vague, où il servit à rafistoler une vieille clôture. Demeuré seul, je décidai d’entrer à l’orphéonat» (p. 9-10).

 

Références

Chevillard, Éric, Ronce-Rose. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2017, 139 p.

Chevillard, Éric, Défense de Prosper Brouillon, Paris, Éditions Noir sur blanc, coll. «Notabilia», 2017, 101 p. Illustrations de Jean-François Martin.

Cloutier, Fabien, «Monde (le vrai)», dans Olivier Choinière (édit.), 26 lettres. Abécédaire des mots en perte de sens, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 02, 2014, p. 60-64.

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Étiemble, Parlez-vous franglais ? Fol en France. Mad in France. La belle France. Label France, Paris, Gallimard, coll. «Folio actuel», 22, 1991, 436 p. Troisième édition. Édition originale : 1964.

Huglo, Marie-Pascale, la Respiration du monde. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 165 p.

Le Tellier, Hervé, l’Anomalie. Roman, Paris, Gallimard, 2020, 327 p.

Littré, Émile, Comment j’ai fait mon dictionnaire de la langue française, Paris, Librairie Ch. Delagrave, 1897, viii/47 p. Nouvelle édition, précédée d’un avant-propos par Michel Bréal.

Manchette, Jean-Patrick, la Position du tireur couché, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 1856, 1981, 181 p.

Manook, Ian, les Temps sauvages. Roman, Paris, Albin Michel, coll. «Le livre de poche. Policier», 34208, 2016, 573 p. Édition originale : 2015.

Mauvignier, Laurent, Autour du monde. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2014, 371 p. Ill.

Prudon, Hervé, Mardi-gris, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 1724, 1978, 185 p.

Régniez, Emmanuel, l’ABC du gothique. Fiction, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 50, 2012, 184 p.

Sternberg, Jacques, l’Employé. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1958, 216 p.

Tolérance. Le combat des Lumières, Société française d’étude du dix-huitième siècle, 2015, 96 p. Préface de Catriona Seth.

Verreault, Mélissa, Voyage léger. Roman, Chicoutimi, La Peuplade, 2011, 219 p.

Vigneault, Érik, Tout savoir sur Juliette. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2018, 177 p.

Érudition religieuse, ou pas

Nuage de jurons, Francis Desharnais et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, 2012, case

Dans la Presse du 21 janvier, le chroniqueur sportif François Gagnon consacre un article aux effets des nouvelles technologies sur son métier. Il y fait notamment remarquer que ses lecteurs exigent maintenant d’être informés en temps réel. Sa réaction ? «Simonac ! Il y a cinq ans à peine, ces réponses étaient offertes dans la Presse du lendemain matin» (cahier Sports, p. 2).

Simonac, donc. Il s’agit d’un de ces sacres d’inspiration religieuse dont le Québec est si friand. Pour Léandre Bergeron, en 1981, qui retient la graphie simonaque, ce serait toutefois un juron «inoffensif» (p. 151).

Simonac / simonaque pose un intéressant problème d’exégèse sacrée.

D’une part, il semble témoigner d’une solide érudition ecclésiastique. Selon toute vraisemblance, il viendrait de l’adjectif simoniaque : «Coupable ou entaché de simonie», explique le Petit Robert, la simonie étant la «Volonté réfléchie d’acheter ou de vendre à prix temporel une chose spirituelle (ou assimilable à une chose spirituelle)» (édition numérique de 2010).

D’autre part, on entend parfois saint-simonac, par exemple dans le Matou d’Yves Beauchemin (éd. de 2007, p. 143). Un saint qui pratiquerait la simonie ? Ça ferait désordre, non ?

 

[Complément du 9 janvier 2018]

Comme dans la bande dessinée Motel Galactic, le dessinateur Côté, dans la Presse+ du 7 janvier dernier, propose la graphie simonak. Ça se défend.

 

[Complément du 4 mars 2019]

La romancière Sylvie Drapeau propose une autre graphie : «C’est de l’amour, cimonaque !» (l’Enfer, p. 90)

 

[Complément du 8 août 2019]

En 1976, dans la pièce Un pays dont la devise est je m’oublie, Jean-Claude Germain écrivait «simonacque» (p. 104).

 

Illustration : Francis Desharnais et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, Montréal, Éditions Pow Pow, 2012, 101 p., p. 86.

 

Références

Beauchemin, Yves, le Matou. Édition définitive, Montréal, Fides, 2007, 669 p. Édition originale : 1981.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Drapeau, Sylvie, l’Enfer. Roman, Montréal, Leméac, 2018, 94 p.

Germain, Jean-Claude, Un pays dont la devise est je m’oublie. Théâtre, Montréal, VLB éditeur, 1976, 138 p.

Conseil vestimentaire du jour

Sandra Gordon, les Corpuscules de Krause, 2010, couverture

Soit la phrase suivante, tirée des Corpuscules de Krause de Sandra Gordon (2010) : «Du point de vue de l’automobiliste, ça devait être quelque chose de faire pleins feux sur une flâneuse livide fringuée comme la chienne à Jacques, pince-monseigneur à la main, à dix heures du soir» (p. 202).

Fringuée comme la chienne à Jacques ? On y peut voir un exemple d’alternance codique entre variétés du français, du plus hexagonal («fringuée») au moins hexagonal («la chienne à Jacques»). Il faut surtout y entendre un conseil : qui que soit Jacques, il ne faut pas s’habiller comme sa chienne. Qui s’habille comme elle n’est jamais à son avantage.

On ne l’oubliera pas.

 

[Complément du 24 novembre 2017]

Deux exemples théâtraux, tirés de J’aime Hydro de Christine Beaulieu (2017) :

«Il y avait à peu près juste 25 personnes, 90 % d’hommes, tous habillés chez Moores. Quand je suis entrée, ils m’ont tous regardée comme si j’étais la chienne à Jacques» (p. 62);

«je me suis dit “Moores, ç’a beau avoir un bon prix, une bonne coupe et une bonne réputation, c’est pas nécessairement imperméable, tandis que la chienne à Jacques, elle, au moins, elle est en phase avec la nature !”» (p. 67)

P.-S.—Oui : s’agissant de «Moores», l’auteure fait directement allusion à une publicité télévisée.

 

Références

Beaulieu, Christine, J’aime Hydro, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 13, 2017, 253 p. Illustrations de Mathilde Corbeil.

Gordon, Sandra, les Corpuscules de Krause. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 237 p.

Restons religieux

«J’men câlice», t-shirt, Montréal, octobre 2016

L’Oreille tendue, au cours des dernières semaines, a consacré quelques textes au sacre québécois d’inspiration religieuse et à ses richesses, d’hostie à crisse, en passant par tabarnak, son favori.

À cet herbier lexical, il manquait calice et ses variantes.

Ce mot pose la même question que ciboire, celle de sa prononciation.

Il y a ceux qui défendent calisse.

«Calice d’hostie de tabernacle !», «Calice de ciboire d’hostie !» et «Christ de calice de tabernacle !» (Roch Carrier, la Guerre, yes sir !, p. 18, p. 77 et p. 108).

«Nom de Dieu ! ils feraient mieux de chier dans leur potage ! Maudit calice ! On va leur vomir dans la gueule, leur clouer le bec et les faire dégueuler par les trous de nez, ces enculés !» (John Farrow, la Dague de Cartier, p. 252).

«Criss de tabarnak d’hostie de calice de ciboire d’étole de viarge, oussé kié le sacramant de calice de morceau de casse-tête du tabarnak !» (François Blais, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, p. 124).

«Han ? Tu m’prends-tu pour un cave, des fois ? Qu’ess’ tu veux ? Jus’ m’donner ton cash pis ta mont’, ou ben tu veux-tu qu’on t’en calisse une en plus ?» (le Tueur, p. 40).

Il y a ceux qui préfèrent un a postérieur, pour faire câlisse, voire colisse.

«le règne d’Alice-ma-câlisse était bel et bien terminé» (Sophie Létourneau, Polaroïds, p. 33).

«Aujourd’hui Maurice s’en câlisse» (Arseniq33, «Boîte à malle»).

«Dans l’intervalle, y a douze crisses de Tamouls qui ont hijacké des avions pour les câlicer un peu partout sur la gueule de l’oncle Sam» (Samuel Archibald, Arvida, p. 84).

«C’est mon ostie d’job d’être la tabarnaque de chef-cook, câlisse» (Simon Boudreault, Sauce brune, p. 81).

L’Oreille tendue, qui est de cette seconde école, irait même jusqu’à proposer la graphie cââlisse, mais c’est affaire de goût personnel.

Au-delà de ce débat ouvert, on notera que le mot est une interjection (Câlisse !) et un nom (Viens ici, mon câlisse). Il apparaît dans plusieurs expressions superlatives : Il vente en câlisse, C’est un câlisse de malade, Câlisse que c’est beau, Un bruit du câlisse (Léandre Bergeron, Dictionnaire de la langue québécoise, p. 108). Il se transforme aisément en verbe : Je vais lui câlisser une volée, Il s’est fait câlisser dehors.

L’adverbe câlissement est attesté, par exemple chez Ephrem Desjardins (Petit lexique, p. 62).

On entend aussi décâlisser. Le verbe est synonyme de partir, en version moins polie : «Ouais, chus sûre, décâlisse, vieux puant» (Sophie Bienvenu, Et au pire, on se mariera, p. 28). Il a alors le même sens que câlisser son camp. Son participe évoque la décrépitude, physique aussi bien que morale (Il est pas mal décâlissé). On peut l’utiliser pour des personnes comme pour des choses (Mon aide maritale est décâlissée).

Il ne faut jamais perdre de vue cet axiome, que l’Oreille tendue emprunte (c’est le cas de le dire) à Chantal Bouchard : en matière de langue, on n’emprunte qu’aux riches.

 

[Complément du 12 juillet 2012]

Le blogue OffQc | Quebec French Guide, dans son entrée du 11 juillet, «M’as te câlisser mon poing su’a yeule! (#493)», renvoie à une vidéo tout à fait instructive.

 

[Complément du 20 février 2014]

Tout, en effet, est affaire de circonflexe. Martin Robitaille, dans les Déliaisons (2008), l’a bien vu : «Gregory nous a regardés : “C’est plate en calice, ici.” Il prononçait “câlisse” avec son accent parisien, sans circonflexion du “a”» (p. 112).

 

[Complément du 9 mars 2021]

Depuis quelques années, les automobilistes québécois peuvent obtenir une plaque d’immatriculation personnalisée. Certains en profitent.

[Complément du 8 février 2025]

Deux graphies dans le même texte du Devoir des 1er et 2 février 2025 : «Décolisser de Spotify» (en titre); «je m’en câlissse sérieusement» (dans le texte). Ça fait désordre.

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p.

Arseniq33, «Boîte à malle», Courtepointes, 2005, étiquette Indica Records.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bienvenu, Sophie, Et au pire, on se mariera. Récit, Montréal, La mèche, 2011, 151 p.

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Bouchard, Chantal, On n’emprunte qu’aux riches. La valeur sociolinguistique et symbolique des emprunts, Montréal, Fides, coll. «Les grandes conférences», 1999, 40 p.

Boudreault, Simon, Sauce brune, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2010, 137 p.

Carrier, Roch, la Guerre, yes sir ! Roman, Montréal, Éditions du Jour, coll. «Les romanciers du Jour», R-28, 1970, 124 p. Rééditions : Montréal, Stanké, coll. «10/10», 33, 1981, 137 p.; Montréal, Stanké, 1996, 141 p.; dans Presque tout Roch Carrier, Montréal, Stanké, 1996, 431 p.; Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, coll. «10/10», 2008, 112 p. Édition originale : 1968.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Farrow, John, la Dague de Cartier, Paris, Grasset, coll. «Grand format», 2009, 619 p. Pseudonyme de Trevor Ferguson. Traduction de Jean Rosenthal. L’original anglais a paru deux ans après sa traduction : River City. A Novel, Toronto, HarperCollins, 2011, 845 p.

Létourneau, Sophie, Polaroïds. Récits, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2006, 166 p.

Robitaille, Martin, les Déliaisons. Roman, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2008, 240 p.

Le Tueur. Volume 8. L’ordre naturel des choses, Casterman, coll. «Ligne rouge», 2010, 56 p. Dessins de Luc Jacamon. Scénario de Matz.