De Guy Lafleur

[Entrée mise à jour. 28 décembre 2010 : ajout de la vidéo de l’album de Guy Lafleur datant de 1979. 29 décembre 2011 : ajout de l’excellent portrait de Lafleur par Roy MacGregor en 1978. 22 avril 2013 : Guy Lafleur entre au musée. 2 janvier 2014 : deux livres publiés à la fin de 2013. 1er avril 2015 : Lafleur au théâtre. 18 novembre 2018 : un tatouage. 1er octobre 2020 : un alcool. 28 octobre 2021 : trois statues et deux livres de plus, une statue de moins. 24 avril 2022 : Guy Lafleur est mort. 30 mai 2023 : une autoroute a pris son nom.]

Le Devoir de ce matin publie un texte de l’Oreille tendue sur un joueur de hockey qui est aussi une icône culturelle, «De Guy Lafleur considéré comme un des beaux-arts» (p. E1). Le texte est disponible ici.

Un complément filmo-vidéo-icono-musico-bibliographique, même partiel, s’impose bien évidemment. Les non-fans peuvent passer leur chemin.

Filmo

Baillargeon, Paule et Frédérique Collin, la Cuisine rouge, long métrage de fiction, 1979. On peut voir un extrait du film, consacré à Lafleur, sur le site de Télé-Québec.

Vidéo

On peut (ré)entendre Robert Charlebois chanter «Champion» (1987), sur des paroles de Luc Plamondon et une musique de Jean Roussel, grâce (?) à YouTube.

On y trouve aussi «Bleu, blanc, rouge» (1981) de Michel Como, avec la participation de Tierry Dubé-Bédard et Éric Dubrofsky.

L’album de 1979 de Guy Lafleur y est aussi audible.

Icono

Le tableau «Le démon blond» de Benoît Desfossés est visible sur le site Web de l’artiste.

Les œuvres de Serge Lemoyne sont reproduites dans plusieurs ouvrages, par exemple le catalogue d’exposition rédigé par Marcel Saint-Pierre, Serge Lemoyne, Québec, Musée du Québec, 1988, 236 p. Ill. Préface d’Andrée Laliberté-Bourque. Prologue de Normand Thériault.

En avril 2013, le musée Grévin de Montréal ouvre ses portes. Guy Lafleur y est. [En 2021, le musée a fermé ses portes.]

Guy Lafleur entre au musée Grévin de Montréal

Source : The Gazette, 17 avril 2013

Voici ce qui s’appelle avoir Guy Lafleur dans la peau (et Jean Béliveau et Doug Harvey et Larry Robinson et Patrick Roy).

Tatouages d’un partisan des Canadiens, Twitter, 15 novembre 2018

Le 27 octobre 2021, une statue de Guy Lafleur a été inaugurée au Centre Vidéotron de Québec. Intitulée «Trop fort pour la ligue», elle est l’œuvre de Guillaume Tardif. La ville de Thurso en avait accueilli une dès 2013, de Jean-Raymond Goyer, et le Centre Bell, cinq ans plus tôt.

Musico (par ordre chronologique)

Thiffault, Oscar, «La toune à Ti-Guy Lafleur», 1978

Lafleur, Guy, Lafleur !, 1979

Michel, Dominique, «Hiver maudit : j’hais l’hiver», 1979

Bouchard, Pierre Pinceau, «Tou toune», 1979

École Saint-François d’Assise, 4e année, «Le hockey, c’est la santé», 1979

Como, Michel, avec la participation de Tierry Dubé-Bédard et Éric Dubrofsky, «Bleu, blanc, rouge», 1981. La version anglaise s’intitule «Red, White, Blue».

Charlebois, Robert, «Champion», 1987

Boucher, Daniel, «Boules à mites», 1999

Wry Eel, «The Flower», 2000

Pullfinger, «One Timer», 2000

Les Mecs comiques, «Le hockey est malade», 2001

Les Cowboys fringants, «Le plombier», 2001

Brazeau, André, «Ti-Guy», 2002

Alain-François, «C’est pour quand la coupe Stanley ?», 2007

Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», 2008

Khan, Steve, Anthony Jackson et Dennis Chambers, «Guy Lafleur», 2008

Dompierre, François, «Les Glorieux», 2008

Loco Locass, «Le but», 2009

Biblio

April, Jean-Pierre, «Le fantôme du Forum», Imagine…, 7 (vol. 2, no 3), mars 1981, p. 29-47. Repris dans les Années-lumière. Dix nouvelles de science-fiction réunies et présentées par Jean-Marc Gouanvic, Montréal, VLB éditeur, 1983, p. 31-53 et dans Jean-Pierre April, Chocs baroques. Anthologie de nouvelles de science-fiction, Montréal, BQ, coll. «Littérature», 1991, p. 161-184. Introduction de Michel Lord.

Bazzo, Marie-France, «Marc Tardif, ailier gauche et pédagogue», dans Marc Robitaille (édit.), Une enfance bleu-blanc-rouge, Montréal, Les 400 coups, 2000, p. 77-81.

Beaulieu, Victor-Lévy, «Un gars ordinaire, qui vise le sommet», Perspectives, 14 octobre 1972, p. 22, 24 et 27. Supplément au quotidien la Presse.

Brown, Kenneth, Life After Hockey, Toronto, Playwrights Union of Canada, 1985, 36 p. Texte polycopié.

Brown, Kenneth, «Alma’s Night Out», dans David Gowdey (édit.), Riding on the Roar of the Crowd. A Hockey Anthology, Toronto, Macmillan, 1989, p. 303-318.

Brunet, Mathieu, Raconte-moi Guy Lafleur, Montréal, Éditions Petit homme, coll. «Raconte-moi», 43, 2020, 144 p.

Bujold, Michel-Wilbrod, les Hockeyeurs assassinés. Essai sur l’histoire du hockey 1870-2002, Montréal, Guérin, 1997, vi/150 p. Ill.

Durand, Marc, Guy Lafleur. La naissance d’une idole, Québec, Sylvain Harvey, 2021, 96 p. Ill. Préface de Guy Lafleur.

Germain, Georges-Hébert, Guy Lafleur. L’ombre et la lumière, Montréal, Art global / Libre Expression, 1990, 406 p. Ill. Traduction anglaise : Overtime. The Legend of Guy Lafleur, Markham, Viking, 1990, et Toronto, Penguin Books, 1992, 455 p.

Hébert, François, «La Bible de Thurso», Liberté, 152 (26, 2), avril 1984, p. 14-23. Repris dans Jean-Pierre Augustin et Claude Sorbets (édit.), la Culture du sport au Québec, Talence, Éditions de la Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine et Centre d’études canadiennes, coll. «Publications de la MSHA», 220, 1996, p. 207-213. https://id.erudit.org/iderudit/30741ac

Kemeid, Olivier, Moi, dans les ruines rouges du siècle. Théâtre, Montréal, Leméac, coll. «Théâtre», 2013, 109 p. Idée originale : Sasha Samar et Olivier Kemeid. Voir la scène intitulée «11. Le démon blond» (p. 49-54).

Kinsella, William Patrick, «Truth», dans The Fencepost Chronicles, Don Mills, Totem Press, 1986, p. 1-12. Repris dans Doug Beardsley (édit.), The Rocket, the Flower, the Hammer and Me, Winlaw, Polestar Book Publishers, 1988, p. 25-37 et dans Doug Beardsley (édit.), Our Game. An All-Star Collection of Hockey Fiction, Victoria, Polestar Book Publishers, 1997, p. 153-160.

MacGregor, Roy, «A Flower for all Seasons : Guy Lafleur», Maclean’s, 16 octobre 1978. Repris dans Wayne Gretzky’s Ghost and Other Tales from a Lifetime in Hockey, Toronto, Random House Canada, 2011, p. 53-63.

MacGregor, Roy, Une dangereuse patinoire, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 7, 2002, 151 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 1998.

Norris, Ken, «Guy Lafleur and Me», dans In the House of No, Kingston, Quarry Press, 1991. Repris dans Kevin Brooks et Sean Brooks (édit.), Thru the Smoky End Boards. Canadian Poetry about Sports and Games, Vancouver, Polestar Book Publishers, 1996, p. 55.

Ouin, Christine et Louise Pratte, Guy Lafleur, Saint-Bruno-de-Montarville, Éditions Goélette, Minibios, 2010, 71 p. Ill. Voir les remarques de l’Oreille tendue sur cette courte biographie .

Pelletier, Pierre-Yvon, Guy Lafleur, la légende. L’album photo du démon blond, Montréal, Editions de l’Homme, 2013, 206 p. Ill.

Pozier, Bernard, «Génétique I» et «Postérité», dans Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p., p. 30 et p. 70. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.

Richler, Mordecai, «The Fall of the Montreal Canadiens», dans Home Sweet Home. My Canadian Album, New York, Alfred A. Knopf, 1984, p. 182-209. Repris dans Dispatches from the Sporting Life, Toronto, Vintage Canada, 2003, p. 241-274. Foreword by Noah Richler. Édition originale : 2002.

Tremblay, Yves, Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions, Brossard, Un monde différent, 2013, 208 p. Ill. Préface de Guy Lafleur. L’Oreille tendue a parlé de ce livre ici.

Divers

La Société des alcools du Québec commercialise depuis 2020 un gin Guy Lafleur 10.

Société des alcools du Québec, gin Guy Lafleur 10, 2020

 

[Complément du 24 avril 2022]

Guy Lafleur est mort le 22 avril. L’Oreille tendue a beaucoup commenté son importance, surtout médiatique et culturelle, dans la culture québécoise.

En écrivant un texte pour la Presse+.

En répondant aux questions de Simon Chabot pour le même journal, à celles de Jean-François Nadeau pour le Devoir et à celles d’Antoine Robitaille pour le Journal de Montréal et le Journal de Québec.

En répondant aux invitations de Radio-Canada, tant pour la radio (le 15-18) que pour la télévision (le Téléjournal 22 h).

En tournant une vidéo pour le Devoir.

 

 

[Complément du 25 avril 2022]

Il a aussi été question de Guy Lafleur et de sa place dans la culture populaire avec Jean-Christophe Laurence et avec André Duchesne, les deux de la Presse+.

 

[Complément du 28 avril 2022]

Pourquoi s’arrêter en aussi bon chemin ? Passons par la radio de Radio-Canada et par le 91,9 Sports.

 

[Complément du 5 mai 2022]

Encore un coup, à la télévision, pour répondre aux questions d’Anne-Marie Dussault.

 

[Complément du 30 mai 2023]

Il existe dorénavant une autoroute Guy-Lafleur au Québec. Explication, de la Commission de toponymie du Québec, ici : cette autoroute, ci-devant l’autoroute 50, «traverse notamment la municipalité de Thurso, d’où était natif l’exceptionnel joueur de hockey».

Tabarnak et tabarnaque

Simon Boudreault, Sauce brune, 2010, couverture

[Attention, Lecteur : entrée inhabituellement longue.]

L’Oreille tendue a aperçu avant-hier quelques ex-étudiants de son cours d’histoire de la littérature au théâtre Espace libre. Elle n’a pas eu l’occasion de leur demander ce qu’ils ont pensé de la conférence et de la pièce auxquelles nous venions d’assister. Elle se demande s’ils partagent une partie de son scepticisme.

Portrait d’Artiom Koulakov, Voir, 26 août 2010

Artiom Koulakov a 24 ans. Il a commencé à apprendre le français à l’âge de six ans. Il enseigne cette langue à l’Université d’État de Saratov, à 723 km au sud-est de Moscou. Et il s’intéresse aux jurons québécois, les sacres. (Sacres québécois est pléonastique, précise-t-il, ce qui est bien vu.)

Pourquoi ? Pour deux raisons. On se penche régulièrement dans son université, autour de Vassili Klokov, sur les variations régionales du français, dont le «français canadien». Depuis la chute de l’empire soviétique, on travaille beaucoup en Russie sur le juron : c’est le signe tangible d’un vent de libéralisation, langagière, mais pas seulement. Koulakov raconte cela sourire en coin, ponctuant son propos de icitte et de tabarouette (juron euphémisé), autour desquels on entend toujours des guillemets, malgré une bonne volonté évidente d’adaptation à son public local.

Quelles sont les particularités des jurons québécois suivant Koulakov, dont l’ampleur du répertoire mérite l’admiration ?

La première n’étonne pas : le gros des jurons, au Québec, provient du catholicisme (noms de personnes, objets du culte, etc.). L’identité nationale québécoise serait doublement religieuse : le catholicisme a marqué le développement de la nation (pratiques religieuses, institutions, etc.); il lui a donné ses sacres.

La seconde est que le sacre, qui est toujours, du moins à l’origine, une interjection, est, au Québec, l’objet d’une proliférante relexicalisation. Koulakov démontre cela avec le juron crisse (Christ); l’Oreille préfère tabarnak (tabernacle). On peut l’utiliser à plusieurs sauces : tabarnak, mon tabarnak, tabarnak de x, tabarnaker quelque chose, s’en tabarnaker, s’en contre-tabarnaker, s’en contre-saint-tabarnaker, etc. Cette relexicalisation est non seulement largement répandue au Québec, mais elle fonctionne aussi de façon particulière : à sa base, il y a l’interjection (câlice donne câlicer), alors qu’ailleurs c’est plutôt le substantif (emmerdement vient de merde substantif, pas de l’interjection).

Voilà des exemples de la «jurologie» qu’il expose ces jours-ci au théâtre Espace libre de Montréal, ainsi que dans plusieurs médias québécois — de Radio-Canada à Voir et à la Presse —, qui raffolent du sujet et de l’exotisme du chercheur. Un souhait nourrit sa position : puisque la société québécoise a un inventaire de jurons beaucoup plus étendu que d’autres, il est du devoir de chacun, au Québec, de maintenir vivant l’intérêt pour les sacres et de les utiliser. C’est un bien national. Au Mexique, ne surnomme-t-on pas les Québécois Los Tabarnacos (et non Los Poutinistas, en l’honneur de la poutine, plat quasi national) ?

Simon Boudreault, Sauce Brune, 2010, affiche

 

À Espace libre, on a organisé la visite de Koulakov pour qu’elle coïncide avec la reprise de Sauce brune (2009), une pièce écrite, mise en scène et produite par Simon Boudreault.

L’argument dramatique tient en quelques mots. Dans les cuisines d’une cantine scolaire, quatre femmes discutent en préparant les repas, en douze scènes, du lundi au vendredi, puis de nouveau le lundi. Armande, la plus vieille, est la «chef-cook» et tient à le rester. Sarah médit. Martine, l’ingénue, se fait violenter par son Charlot. Cindy raconte ses prouesses sexuelles. Le décor — tables métalliques, néons, ustensiles de cuisine — et les costumes — tabliers, filets pour les cheveux — sont réalistes. Et les quatre femmes sacrent à n’en plus finir. Ouvrons le texte de la pièce au hasard. C’est Armande qui parle :

Y aiment crissement ça, tabarnak. Si j’fais pas ça, stie d’tabarnak, quessé m’as faire, crisse ? C’est mon ostie d’job d’être la tabarnaque de chef-cook, câlisse. On sert à d’quoi, icitte, crisse de tabarnak. On pourrait pas m’laisser tranquille une crisse de fois d’estie d’tabarnak ? Ça s’pourrait tu ça, câlisse de crisse ? (p. 81)

C’est comme ça à toutes les pages — à toutes les répliques. (On notera que la graphie des jurons n’est pas fixée : tabarnak / tabarnaque.)

On aurait pourtant tort de lire (d’entendre) le texte de Boudreault comme une œuvre naturaliste. De la même façon que les comédiennes triturent d’un bout à l’autre de la pièce une curieuse matière brune (comme la sauce du titre) d’origine manifestement artificielle, elles parlent une langue inventée, où chacune a un registre clairement délimité (p. 6). Pareille accumulation de jurons n’a plus rien à voir avec une quelconque hiérarchie sociale des niveaux de langue : Simon Boudreault a lardé leurs répliques de tant de gros mots qu’on ne saurait croire à la «vérité» réaliste de ce qu’on entend dans leur bouche. «J’ai voulu créer une langue québécoise surréaliste où les sacres prennent toute la place» (p. 8), écrit-il. Armande, Sarah, Martine et Cindy sont d’une autre planète linguistique que le commun des mortels. C’est ce qui rend d’autant plus admirable le travail des comédiennes : leur capacité d’adaptation lexicale vaut le déplacement, particulièrement celle de Johanne Fontaine (son Armande éructe, et pas uniquement contre les «osties d’l’ostie d’comité d’osties d’parents» [p. 17]) et de Catherine Ruel (sa Martine a un fort monologue sur la violence qu’elle subit [p. 56-59]).

Au-delà de cette inventivité verbale, l’Oreille n’est pas convaincue par le texte de Boudreault. Le hasard fait que le soir où elle a assisté à la pièce Michel Tremblay se trouvait dans la salle, et son influence — en l’occurrence celle de ses premières pièces — est manifeste dans les situations dramatiques de Sauce brune (distribution féminine, enfermement, stratification sociale, violences et larmes, crudité). L’Oreille aurait aimé savoir ce qu’il pensait du travail de Boudreault, notamment de l’utilisation ponctuelle des monologues, si proche de son propre univers dramatique : à écouter les quatre cantinières, il est difficile de ne pas entendre ses personnages, par exemple ceux d’À toi, pour toujours, ta Marie-Lou (1971), mais des personnages beaucoup plus portés sur la scatologie que les siens.

Pour résumer, peut-être un peu injustement, sa pensée, l’Oreille tendue dirait les choses ainsi : chez Tremblay, on est dans la tragédie; chez Boudreault, dans le drame. Comment mesurer l’écart ? Par le fait, notamment, que la surenchère linguistique et scatologique de la pièce entraîne inévitablement les spectateurs vers le rire — il est difficile de ne pas rire dans Sauce brune — et qu’ils arrivent difficilement à en sortir. Le chapelet d’horreurs débité par les quatre personnages dérobe à ceux-ci leur aliénation, et par là leur humanité, réduites que sont les quatre femmes à empiler les bons mots — les mots cruels, les gros mots, les mots crus — les uns sur les autres, comme autant d’assiettes sales.

 

[Complément du 19 mars 2014]

Lisant l’admirable LTI, la langue du IIIe Reich de Victor Klemperer, l’Oreille tendue tombe sur le passage suivant : «tout ce qu’on imprimait et disait en Allemagne était entièrement normalisé par le Parti; ce qui, d’une manière quelconque, déviait de l’unique forme autorisée ne pouvait être rendu public; livres, journaux, courrier administratif et formulaires d’un service — tout nageait dans la même sauce brune, et par cette homogénéité absolue de la langue écrite s’expliquait aussi l’uniformité de la parole» (p. 36). Le mot brune n’a évidemment pas la même connotation dans l’Allemagne nazie et dans le Québec du XXIe siècle, mais cette image de la sauce brune comme incarnation de l’uniformité linguistique frappe qui a entendu la pièce de Simon Boudreault.

 

[Complément du 29 septembre 2014]

Le 4 octobre, de 17 h à 19 h, il sera question de Sauce brune au Off-festival de poésie de Trois-Rivières. Une table ronde sera alors consacrée au «Sacre québécois». Renseignements ici.

 

[Complément du 1er décembre 2014]

Artiom Koulakov vient de publier un article sur la pièce de Boudreault : «Le potentiel communicatif des sacres dans “Sauce brune” de Simon Boudreault», publif@rum, 21, 2014. On peut le lire ici.

 

Références

Boudreault, Simon, Sauce brune, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2010, 137 p.

Klemperer, Victor, LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue, Paris, Albin Michel, coll. «Agora», 202, 1996, 372 p. Traduit de l’allemand et annoté par Élisabeth Guillot. Présenté par Sonia Combe et Alain Brossat.

Koulakov, Artiom, «Le potentiel communicatif des sacres dans “Sauce brune” de Simon Boudreault», article électronique, publif@rum, 21, 2014. https://publifarum.farum.it/index.php/publifarum/article/view/480

Tremblay, Michel, À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, Montréal, Leméac, coll. «Théâtre canadien», 21, 1971, 94 p. Introduction de Michel Bélair.

Chnoutte ? Vous avez dit schnoutte ?

Titre potentiellement sibyllin dans la Presse du 27 mars 2010 : «Le NTE dans la schnoutte» (cahier Arts et spectacles, p. 14). Mais qu’est-il donc arrivé au Nouveau théâtre expérimental ? Qu’est-ce que cette schnoutte ?

Première remarque : la graphie du mot n’est pas fixée. À côté de schnoutte, il y a, au moins, chnoutte.

Deuxième remarque : la chose désignée n’est pas unique, mais une caractéristique unit ses diverses incarnations : la viscosité (plus ou moins grande).

C’est clair dans le spectacle la Fin du NTE tel que décrit dans la Presse : Daniel Brière, le metteur en scène, use «d’une substance semi-liquide aux propriétés étonnantes : une matière malléable, presque vivante et extrêmement salissante que l’équipe de production a affectueusement baptisé la “schnoutte”. Durant le spectacle, il en coulera sur le décor, sur l’aire de jeu et… sur les acteurs.»

Composé d’un «mélange de fécule de maïs et d’eau, augmenté d’un additif utilisé pour conserver l’uniformité des mélanges de yogourt», ce «curieux coulis» a «quelque chose d’incontrôlable et d’organique».

«Incontrôlable» ? Cela vient du fait que la schnoutte est plus ou moins liquide. C’est la raison pour laquelle le mot est parfois utilisé en météorologie : «Aujourd’hui, il va tomber de la schnoutte» (radio de Radio-Canada).

«Organique» ? Voilà pourquoi on peut dire à quelqu’un de manger de la schnoutte, voire un char de schnoutte.

Vu sa polysémie, on utilisera le mot avec sobriété.

P.-S. — Comme le fait remarquer Ephrem Desjardins, chnoutte peut aussi être une interjection. Traduction libre : «Merde !»

 

[Complément du 5 février 2015]

Graphie rare : «schenoutte» (@_URBANIA).

 

[Complément du 10 avril 2019]

Le mot peut aussi servir de synonyme à pacotille : «En plus, c’était un magasin qui vendait juste d’la schnout !» (Centre d’achats, p. 68)

 

Références

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Jimenez, Emmanuelle, Centre d’achats, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 18, 2019, 127 p. Ill. Suivi de David Robichaud, «Contrepoint. Chercher le bonheur, trouver une robe jaune à paillettes».

Le verbe de la connaissance

François Blais, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, 2009, couverture

Fourrer, au Québec, a tous les sens qu’on lui donne en français hexagonal. De surcroît, un usage, jugé familier dans le Petit Robert, et un que ne décrit pas ce dictionnaire y sont fréquemment attestés, et les deux concernent une forme de connaissance.

Il y a se fourrer au sens de se tromper. Exemple tiré de la Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, roman dont l’Oreille tendue parlait hier : «Bon, faut croire que c’est un souvenir fabriqué, ou plutôt des souvenirs superposés, genre que je me fourre entre deux gâteaux […]» (p. 67). La mémoire paraît confondre deux gâteaux. Sa connaissance n’est pas solide.

Et il y a le sens familier évoqué plus haut : fourrer est alors synonyme de la connaissance dite biblique (Gn 4:1).

Il ne faut pas confondre.

 

[Complément du 15 octobre 2016]

Les narratrices du recueil de nouvelles Des femmes savantes de Chloé Savoie-Bernard (2016) aiment beaucoup ce verbe en son deuxième sens. Elles emploient aussi un substantif que ne connaissait pas l’Oreille tendue pour désigner les occasions où on le pratique : «On jouissait comme des cochons. À la fin de nos fourres, on se donnait des high five, on se félicitait» (p. 37). C’est noté.

 

[Complément du 18 mars 2020]

Qui est digne de fourrer, ou de l’être, est évidemment fourrable — ou pas : «anyway je ne suis pas fourrable ces temps-ci, je ne suis pas sortable, je ne suis pas grand-chose» (la Morte, p. 13).

 

Références

Arsenault, Mathieu, la Morte, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 141, 2020, 131 p.

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Savoie-Bernard, Chloé, Des femmes savantes. Nouvelles, Montréal, Triptyque, 2016, 120 p.

De la germaine

Dans la faune québécoise, une espèce nouvelle est apparue : la germaine.

Qu’est-ce qu’une germaine ?

Le journal la Presse propose la définition suivante : «Dans un couple, la Germaine, c’est elle qui gère et qui mène. D’où son surnom : Germaine» («La Germaine d’Occupation double encaisse son 4 %», 2 décembre 2008, cahier Arts et spectacles, p. 3).

Plus largement, c’est une forte femme, qui aime prendre des initiatives, être aux commandes, conduire plutôt que suivre. Si son efficacité ne laisse aucun doute, on ne peut pas toujours en dire autant de ses qualités en matière de relations interpersonnelles. La germaine ne recule pas, quels que soient les obstacles.

Quels sont les deux verbes préférés de la germaine ?

Opérer. La germaine opère. C’est une fonceuse, une proactive plus que proactive, une de celles qui font ce qu’il faut pour obtenir ce qu’elles veulent, et qui le font vite. Qui opère n’aime pas perdre son temps.

Regarder. Ce verbe, toujours à la deuxième personne du présent de l’impératif, introduit un éclaircissement (je vais t’expliquer), qui devrait être inutile (puisqu’il le faut), doublée d’une menace (mais t’as intérêt à comprendre). Par aphérèse, on entend aussi ’garde.

Exemple :

Heye, t’es une vraie germaine, toé ! T’opères !
’Garde, là : j’chus là pour ça.

Remarque : le mot n’existe qu’au féminin; il n’est pas de germain.

 

[Complément du 26 août 2019]

Le mot est passé dans la langue populaire depuis un certain temps déjà, mais certains, tel Patrick Émiroglou dans Salut l’écrivain ! (2019), hésitent encore à l’utiliser librement : «Il faisait ressortir la “Germaine” en moi, ce que je détestais plus que tout !» (p. 80)

 

[Complément du 23 février 2021]

Se trouve aussi en position adjectivale : «Le gars un peu gnochon avec la fille germaine, Laurent Paquin n’en avait pas envie pour sa série de capsules humoristiques intitulée Je t’aime, sur ICI Tou.tv» (la Presse+, 22 février 2021).

 

[Complément du 1er juin 2021]

On voit aussi la graphie gère-mène, par exemple dans la pièce de théâtre documentaire Tout inclus de François Grisé (2021, p. 44).

 

Références

Émiroglou, Patrick, Salut l’écrivain !, Montréal, Del Busso éditeur, 2019, 167 p. Ill.

Grisé, François, Tout inclus. Tome 1, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 26, 2021, 122 p. Ill. Précédé d’un «Mot des dramaturges». Suivi de «Contrepoint. La ruée vers l’or gris : risques et rentabilité», par Anne Plourde.