L’oreille tendue de… Laurence Dauphinais

Aalaapi, 2019, couverture

«Je vous remercie de prendre le temps à votre tour de vous pencher sur ces voix trop peu entendues dans l’étendue de leur complexité. Et je vous invite à ne jamais vous lasser de tendre l’oreille. Ce projet m’aura appris que c’est en écoutant les autres que l’on apprend à vivre autrement» (Laurence Dauphinais, p. 11).

Le collectif Aalaapi, Aalaapi. Faire silence pour entendre quelque chose de beau, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 21, 2019, 103 p. Ill. Précédé d’un «Mot de la metteuse en scène», Laurence Dauphinais. Suivi de «Contrepoint. Un désir de voix», par Marie-Laurence Rancourt. D’après une idée originale de Laurence Dauphinais et Marie-Laurence Rancourt.

110 %

Guillaume Corbeil, le Meilleur des mondes, 2019, couverture

Il est évidemment arrivé à l’Oreille tendue d’évoquer l’expression «110 %» : c’était le 1er décembre 2010 («Tout juste s’il ne nous dit pas qu’il a donné son 110 %, qu’il travaillait fort dans les coins et que la puck roulait pas pour lui», Voir, 29 mars 2001) et le 4 juin 2013 («J’donne mon 110 %», Zéphyr Artillerie, «Scotty Bowman», chanson, Chicago, 2008).

On le voit : cette expression venue de la langue de puck a migré dans la langue courante. La personne qui donne son 110 % n’économise pas ses efforts, bien au contraire.

Guillaume Corbeil l’utilise à trois occasions dans le Meilleur des mondes, son allègre adaptation théâtrale du roman Brave New World d’Aldous Huxley (1932).

Elle apparaît dans une des capsules de l’«Hypnopédie», cette machine qui vise à conditionner les humains de la dystopie d’Huxley / Corbeil : «Au travail, je donne toujours / mon cent dix pour cent» (p. 88). Le message est bien reçu par Bernard, qui, pour se défendre des accusations portées contre lui, reprend deux fois l’expression à son compte (p. 92, p. 195).

Avoir donné son 110 % lui suffira-t-il pour éviter l’exil ? (Le dramaturge, lui, a donné le sien.)

P.-S.—Oui, une célèbre émission de télévision a eu 110 % pour titre.

P.-P.-S.—Oui, l’Oreille avait apprécié une pièce précédente de Guillaume Corbeil, Unité modèle.

 

Références

Corbeil, Guillaume, le Meilleur des mondes. D’après Aldous Huxley. Théâtre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 139, 2019, 238 p.

Corbeil, Guillaume, Unité modèle, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 07, 2016, 109 p. Ill.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Angle masculin

La footballeuse norvégienne Ada Hegerberg remporte le Ballon d’or 2018. Un certain Martin Solveig lui demande si elle sait twerker.

Réaction, sur Twitter, de @rafov74 :

Qu’est-ce que cette fourche ? Sollicitons l’aide du Petit Robert, de Rébecca Deraspe et de Léandre Bergeron.

Le Petit Robert, édition numérique de 2014 : «Angle formé par les jambes.»

Rébecca Deraspe, Gamètes, 2017 : «Ça va être beau, cette vie-là ! David va se gratter la fourche en buvant du gin pendant que toi, tu vas crever dans le vomi de ton handicapée» (p. 36).

Léandre Bergeron, Dictionnaire de la langue québécoise, 1980 : «Partie du corps qui, avec les deux jambes, forme une fourche. Ex. : Recevoir un coup de pied dans la fourche. — Pénis» (p. 233).

Dans le cas qui nous occupe, la fourche et la bêtise sont clairement masculines.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Deraspe, Rébecca, Gamètes, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 12, 2017, 117 p. Ill. Suivi de «Contrepoint. Ce qui nous cimente» par Annick Lefebvre.

Bien peu

«Pas tant», la Presse+, 22 novembre 2018

Entendu un soir à la maison, dans la bouche d’une vingtenaire : «Mathieu Bock-Côté, je l’aime pas tant.»

Lu l’autre jour, chez Mahigan Lepage : «Je n’aime pas tant l’app Photos d’iOS, mais elle a au moins l’avantage de donner un aperçu visuel des photos.»

Découvert chez Christine Beaulieu dans J’aime Hydro :

«Aussi, je me disais : le dossier de l’électricité ? Oui, je me sentais concernée par ça, j’ai une facture, ça me préoccupait… Mais est-ce que ça me mobilisait tant que ça ?

Pas tant» (p. 37).

Bref, la formule euphémisante pas tant n’est pas rare dans le Québec contemporain.

Synonymes : guère, (bien) peu, (vraiment) pas.

Antonyme : correct.

Historique : la réduction de pas tant que ça à pas tant n’est pas récente, le Petit Robert (édition numérique de 2014) en donnant une occurrence chez les Goncourt («Je te croyais bête, Pluvinel, mais pas tant, vrai !»).

 

[Complément du 17 juin 2019]

Dans les exemples ci-dessus, pas tant est utilisé seul ou modifie un verbe. Cette expression adverbiale peut aussi modifier un adjectif : «La pièce trahit l’existence d’une famille pas tant portée sur le ménage […]» (Fanny Britt, les Retranchées, p. 43).

 

Références

Beaulieu, Christine, J’aime Hydro, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 13, 2017, 253 p. Illustrations de Mathilde Corbeil.

Britt, Fanny, les Retranchées. Échecs et ravissement de la famille, en milieu de course, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 15, 2019, 97 p.

L’avoir courte

Icône de bombe, Macintosh

Soit les deux phrases suivantes :

«J’ai pas la mèche courte, madame, y’a pus de mèche, y’a le feu» (Venir au monde, p. 31).

«La journée s’annonçait longue et la patience de Brazeau avait déjà la mèche courte» (Coups de feu au Forum, p. 121).

Avoir la mèche courte, donc : «Réagir rapidement et fortement, être impatient», dit le Wiktionnaire.

Synonyme : prime.

 

Références

Brisebois, Robert W., Coups de feu au Forum, Montréal, Hurtubise, 2015, 244 p.

Olivier, Anne-Marie, Venir au monde, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 14, 2017, 101 p. Précédé d’un «Mot de la metteure en scène», Véronique Côté. Suivi de «Contrepoint. Tenir bon», par Catherine-Amélie Côté.