Scrap en liste

Croix faite en enjoliveurs, Chertsey, Québec, été 2016

Commençons avec Montréal-Mirabel (2017) de Marie-Pascale Huglo, une collègue de l’Oreille tendue :

Tiges en aluminium, planches, pots de peinture, tuyaux d’arrosage, pistolets à eau, carpettes jetées en tas sur le bord du trottoir : la maison familiale enfin était vendue, il fallait vider. Toujours d’autres rebuts surgissaient du sous-sol, étonnantes carcasses qu’on ne voyait pas jamais avant : les bouteilles, les produits de jardinage, les piments oiseaux mis à sécher au clou de la porte de planches, les briques que je gardais (pour quoi faire ?), des bâtons de marche ramassés sur les sentiers, la grosse poutre de bois sur laquelle j’ai collé des écorces de bouleau dans la première année, des vis, de la scrap (p. 123).

De la scrap : rebuts, donc, choses qui ne valent (plus) rien.

Ces choses qui se retrouvent à la scrap ont été préalablement scrappées (le verbe est commun au Québec dans le registre populaire). On voit parfois rendu scrap, comme dans le roman L’homme qui a vu l’ours de Patrick Roy (2015) : «Dans ce temps-là, oui, dans les années après qu’il soit devenu champion, avant que j’en vienne à la conclusion que notre couple était tellement rendu scrap que je faisais rien que tourner le fer dans la plaie» (p. 67). Marie-Éva de Villers, dans son Multidictionnaire de la langue française (cinquième édition, édition numérique), indique comme fautive la forme mettre à la scrap (mettre à la ferraille).

Quand la scrap est rassemblée en cour (cour à scrap), elle est automobile : c’est, dirait-on ailleurs dans la francophonie, la casse. Hervé Bouchard se régale à en décrire une dans Parents et amis sont invités à y assister (2014) :

Après sa déclaration d’invalidité, il passa tout son temps presque dans son arrière-cour laquelle devint vite une arrière-cour à scrap. Y pourrissaient les carcasses de machines à tondre le gazon, à broyer la neige, à retourner la terre; il y avait des empilades de dormants de chemin de fer, des monticules de pneus, des colonnes de jantes, des avirons en bouquets dans des barils d’acier, des ventres de brouettes retournés çà et là, des cadres de vélos plus loin en tas près du ruisseau qui limitait le terrain à l’ouest; il y avait des enjoliveurs de roues disposés comme des bijoux sur des grandes feuilles de contreplaqué appuyées au squelette d’une serre, des cuves d’essoreuses alignées en long rouleau traversé par une tige de métal mou courbée aux bouts, des couronnes de fil barbelé accrochées à un treillis métallique tout contre la haie mitoyenne limitant le terrain au sud; il y avait partout des tubes et des bouts de tuyaux et des poutrelles et des poteaux, partout des têtes de pioches, de pelles, de massues, de râteaux; et, surplombant tout cet étalage, entre un talus de terre battue et l’entrée bétonnée où se trouvait son Parisienne, une balançoire en bois montée sur d’anciennes roues de charrette qui grinçaient quand on s’y berçait. C’était la caverne ouverte des quarante voleurs cette arrière-cour, mon père y régnait en maître détesté […] (p. 156-157).

Le scrapbooking, lui, est ce «Loisir créatif qui consiste à personnaliser, notamment par collage, un album de photos, de souvenirs, un journal intime» (le Petit Robert, édition numérique de 2014). Sauf pour marquer un jugement de valeur — «Ton scrapbooking, c’est de la scrap» —, les mots scrap et scrapbooking ne sont généralement pas rapprochés.

 

Références

Bouchard, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 14, 2014, 238 p.

Huglo, Marie-Pascale, Montréal-Mirabel. Lignes de séparation. Récit, Montréal, Leméac, 2017, 152 p.

Roy, Patrick, L’homme qui a vu l’ours. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 09, 2015, 459 p.

Zadig au théâtre

 

Voltaire, buste

Le Devoir du 8 février publie un compte rendu de la reprise de Z comme Zadig, le spectacle d’Ariel Ifergan tiré de Zadig, le conte philosophique de Voltaire. (C’est ici.)

Le spectacle a été monté pour la première fois il y a dix ans. L’Oreille tendue en avait rendu compte pour le Bulletin de la Société Voltaire. (C’est .)

Chronique mammaire

Le français populaire du Québec a plusieurs mots pour désigner la poitrine féminine. Nous avons déjà vu, Beau dommage à l’appui, djos.

On entend parfois aussi boules.

Dans un avion qui l’amenait à Paris, l’Oreille tendue est tombée sur l’offre cinématographique suivante :

Annonce de film, vol Air transat pour Paris, 12 novembre 2016

Cette «paire» de «boules» en a évoqué tout de suite une autre pour elle. L’Oreille aurait-elle l’esprit mal tourné ?

 

[Complément du 18 mai 2021]

Autre synonyme local : toton, comme dans téton ou teton.

Exemple romanesque : «— Terre de nos aïeux ! Ton front est sein [sic : pour ceint]… — Totons ! dit Fontaine, juste assez fort pour que ses voisins immédiats l’entendent. — De fleeeeurons glorieux !» (Jean-François Vaillancourt, Esprit de corps, p. 39)

Par métonymie, dans certaines régions du Québec, on associe ce terme au bar de danseuses (plus ou moins) nues : «On va aux totons» (Fabien Cloutier, Cranbourne).

Vous voulez marier lutte contre le cancer du sein et port du masque en temps de pandémie ? Proposez à vos clients le Masque rose. Slogan : «Toton masque ?» Ça ne s’invente pas. (Merci, en quelque sorte, à la Presse+.)

Le masque rose, contenant de masques, 2021

P.-S.—Il est aussi un toton sur un des barreaux de l’échelle de la bêtise.

 

[Complément du 3 juin 2022]

Quand Alexandre Castonguay et Nicolas Lauzon, dans le texte de théâtre Un coin jeté dans l’nord (2022), parlent de «calendriers avec des boules» (p. 33), ils ne pensent pas à Noël, mais à des personnes du sexe dévêtues à des fins chronologiques et publicitaires. C’est encore à la gorge que renvoient les «boules refaites» (p. 63).

 

[Complément du 19 décembre 2024]

Le titre National Lampoon’s Christmas Vacation (1989) a droit à deux traductions. En France, on a choisi Le sapin a les boules; au Québec, Le sapin a des boules. Dans le premier cas, on évoque l’énervement, avoir les boules signifiant «en avoir assez, être énervé», dixit le Petit Robert (édition numérique de 2018). Pas dans le second.

 

Références

Castonguay, Alexandre et Nicolas Lauzon, Un coin jeté dans l’nord, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 30, 2022, 91 p. Ill. Précédé d’un «Mot des auteurs». Suivi de «Contrepoint. Sacré cœur d’orignal», par Dali Giroux.

Cloutier, Fabien, Scotstown et Cranbourne, Montréal, TVA Films et Encore management, DVD, 2015.

Vaillancourt, Jean-François, Esprit de corps. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 149, 2020, 302 p.

Citation grammatico-biblique du jour

Évelyne de la Chenelière et Justin Laramée, Nous reprendrons tout ça demain, 2016, couverture

«Du plus loin que je me souvienne, deux livres ont façonné ma façon d’envisager le monde, deux livres qui ont tracé en moi leur cartographie impitoyable. C’est le Précis de grammaire française et la Bible. Ces livres ont en commun leur rigueur sans appel, leur intransigeance, et le spectre de la Faute.»

Évelyne de la Chenelière et Justin Laramée, Nous reprendrons tout ça demain, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 09, 2016, 94 p., p. 30.

Les zeugmes du théâtre et du dimanche matin

Évelyne de la Chenelière et Justin Laramée, Nous reprendrons tout ça demain, 2016, couverture

«J’ai passé beaucoup de temps à m’interroger sur mon rapport à la concupiscence et à la chair et les cours de catéchèse me rendaient malade et anxieuse, mais j’en voulais toujours plus, je voulais comprendre la Parole, je voulais m’élever, je voulais être touchée par la Grâce ou par n’importe qui» (p. 29-30).

«Mais ton ami t’obligerait pour ton bien à remonter à la surface de la terre et des choses» (p. 38).

Évelyne de la Chenelière et Justin Laramée, Nous reprendrons tout ça demain, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 09, 2016, 94 p. Ill.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)