Dixième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Allitération

Définition

«Retours multipliés d’un son identique» (Gradus, éd. de 1980, p. 33).

Exemples

En f : «rencontre fortuite du fiancé furax, à vingt futaies de mon futon» (Éric McComber, la Solde, p. 20).

En f, bis : «feu de fleur fumée envolée» (Plume Latraverse, «Blouse d’automne», Chants d’épuration).

En g : «Gare goret, tu te goures de Gourin» (Jean Rouaud, les Champs d’honneur, p. 69).

En n : «Non, il n’est rien que Nanine n’honore» (Voltaire, Nanine, acte III, sc. dernière).

En p : «Pourquoi Pierre Pitre parle presque pas ?» (titre d’une chanson d’Arseniq33).

En p, bis : «une pomme on n’peut plus pulpeuse» (Plume Latraverse, «Érosion éolienne», Chants d’épuration).

En v : «Ce vent vert qui vient des villes» (Forces, 167, automne 2011, p. 43).

En fricatives : «Il perçut, tout autour de son corps, les sons entrelacés des vagues, du vent, et du vent sur les vagues, comme un vaste frisson froid, frisé, froncé, froissé, et ce fut sur ce fond farci de fricatives qu’il entendit se rapprocher les mercenaires» (Jean Echenoz, le Méridien de Greenwich, p. 234-235).

En image et en ville :

Vos vets en ville, enseigne, rue Décarie, Montréal

 

 

[Complément du 8 décembre 2011]

Les passionnés de Philip Roth et de baseball se souviendront des premières pages du «Prologue» de son The Great American Novel (1973). Non seulement elles abondent en allitérations, mais le narrateur, Word Smith, y livre des bribes de sa théorie en matière de rhétorique. En une formule : «Alliteration is at the foundation of English literature» (éd. de 1980, p. 9). Rien de moins.

 

[Complément du 18 juin 2012]

«Un jour, je le jure, je jouirai d’un juste juillet joyeux, juste pour jubiler de juin joufflu, juteux, jeté» (@franciroyo).

 

[Complément du 12 août 2015]

En titre et en image, gracieuseté de @mcgilles :

P. Nouvel, Crissements de Kriss, couverture

 

[Complément du 11 avril 2016]

Allitération du jour, tirée de la Presse+ : «Voilà, Voiles en Voiles envoie la voile.»

 

[Complément du 27 avril 2016]

F comme…

Affiche de film érotique, dans le Dictionnaire de la censure au Québec, 2006, p. 553

Source : Hébert, Pierre, Yves Lever et Kenneth Landry (édit.), Dictionnaire de la censure au Québec. Littérature et cinéma, Montréal, Fides, 2006, 715 p., p. 553.

 

[Complément du 5 juin 2016]

Conseil du jour, via @AcademiaObscura : «Always avoid alliteration. Alternatives are available

 

[Complément du 3 août 2016]

Dans ses fabuleux Mémoires, Open (2009), le joueur de tennis Andre Agassi offre une utile mise en garde : «Bud Collins, the venerable tennis commentator and historian, the coauthor of [Rod] Laver’s autobiography, sums up my career by saying I’ve gone from punk to paragon. I cringe. To my thinking, Bud sacrificed the truth on the altar of alliteration. I was never a punk, any more than I’m now a paragon» (éd. de 2010, p. 371). L’allitération n’est pas un autel («altar»), dit-il. En revanche, «the altar of alliteration», n’est-ce pas une allitération ?

 

[Complément du 19 septembre 2017]

Ella aussi…

Ella Sings Sweet Songs for Swingers, 1959, pochette

 

 

[Complément du 10 décembre 2017]

Cette allitération (en p) provient des Notules du jour : «“Dans le domaine de la mode, signalons les nouveaux Peignes Pleins Pour Personnes Pelées. On a remarqué bien souvent, en effet, combien était absurde, pour des personnes entièrement chauves, l’usage du peigne ordinaire à dents divisées. Le peigne plein, au contraire, est un polissoir du plus heureux effet qui, loin d’écorcher le crâne inutilement, lui donne l’aspect brillant d’un ivoire ancien.” Gaston de Pawlowski, Inventions nouvelles & dernières nouveautés

(Les Notules ? Par ici.)

 

[Complément du 19 décembre 2017]

P comme poules.

Poules qui pondent, 1927, couverture

 

 

[Complément du 19 décembre 2018]

Wine, Women and War, couverture

 

[Complément du 15 avril 2019]

Encore en p.

«Prison passion péril possession», Bibliothèque nationale de France, 2019

 

 

[Complément du 22 mai 2019]

En w.

The Weird of the White Wolf, couverture

 

 

[Complément du 6 juillet 2019]

En (double série de) s : «Tel un animal savant (“sussucre”, susurre ce sadique Sabrecourt), la Tourterelle d’argent a dû longtemps se consacrer uniquement à apprendre sous sa férule les rôles du répertoire (“Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?”).» L’Oreille tendue — promis juré — n’avait aucun souvenir d’avoir publié cette phrase en… 2002.

 

[Complément du 4 avril 2022]

En f : «sifflons feux follets fumées vents fous» (Mouron des champs, p. 33).

 

[Complément du 5 avril 2022]

Allitération en a, «impeccable» selon son auteur, Jean-Philippe Toussaint :

Dans les vapeurs de l’air ambiant, flottait une odeur de détergent parfumé, aux relents d’andropogon, d’ammoniaque et d’agrumes.

Avant d’écrire cette phrase dans Faire l’amour, je ne connaissais pas, je le confesse, le mot andropogon. Je crois, mais le souvenir est lointain, que je cherchais un équivalent au mot anglais lemon grass, parce qu’il me semblait qu’il devait régner une odeur de citronnelle dans cette piscine du grand hôtel de Shinjuku où se trouve le personnage. Mais, ouvrant un dictionnaire, puis un autre, mes recherches m’ont entraîné trop loin et je me suis vite retrouvé avec trop de mots sur les bras, parmi lesquels l’énigmatique schénanthe ou l’exotique herbe au chameau. J’ai jeté mon dévolu sur cet impénétrable andropogon, qui m’offrait l’occasion d’une impeccable allitération : «d’andropogon, d’ammoniaque et d’agrumes». J’étais satisfait, et je pensais que les choses s’en tiendraient là. Mais lorsque, quelques années plus tard, au collège de Seneffe, mes traducteurs, déconcertés, m’ont interrogé sur cet andropogon, j’ai bien dû leur avouer que j’en ignorais l’origine, et nous avons été amenés à nous poser cette intéressante question : comment traduire dans une autre langue un mot qu’à l’origine l’auteur ne comprend pas lui-même en français ?

 

[Complément du 7 avril 2022]

En t, chez la Monique Proulx des Aurores montréales : «Prends garde à toi, Ugo Lagorio, je m’en viens tuer la tiédeur qui te tue» (éd. de 2016, p. 98).

 

[Complément du 22 janvier 2024]

Deux occurrences dans le Crook Manifesto (2023) de Colson Whitehead.

En p : «Quincy huffed in disgust. “Pickles. Pepper. Pope—what is this, some kind of fucked-up convention”» (p. 164).

En s : «Grinding & Sharpening Blades Saws Scissors Skates» (p. 185).

 

[Complément du 21 avril 2024]

En h : «I stamped through the high, hushed, hollow marble halls and accosted the grand ex-cavalry officer who started the twenty elevators» (The Body on Mount Royal, p. 131).

 

[Complément du 6 mai 2024]

En r, dans Histoire de l’impossible pays (1984), de François Hébert : «Mais, sire, dit Zkté, les hordes impériales de Hiccope 13 font des ravages, du ramdam, du raffut, du rififi, des razzias !» (p. 49)

 

Références

Agassi, Andre, Open. An Autobiography, New York, Vintage Books, 2010, 385 p. Ill. Édition originale : 2009.

Arseniq33, Tranquillement les tranquillisants, 2002, étiquette Indica.

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Echenoz, Jean, le Méridien de Greenwich. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1979, 255 p.

Hébert, François, Histoire de l’impossible pays. Nommé Kzergptatl, de son roi Kztatzk premier et dernier et de l’ennemi de celui-ci le sinistre Hiccope 13 empereur du Hiccopiland. Roman, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, 187 p.

Latraverse, Plume, Chants d’épuration, 2003, étiquette Disques Dragon.

McComber, Éric, la Solde. Roman, Montréal, La mèche, 2011, 218 p. Ill.

Melançon, Benoît, «Diderot chez les francs-maçons : les Gymnastes de l’émotion. Ode au théâtre, sur fond de mauvaise critique / Louis Champagne et Gabriel Sabourin», Jeu, 104, septembre 2002, p. 12-17. https://id.erudit.org/iderudit/26390ac

Montrose, David, The Body on Mount Royal, Montréal, Véhicule Press, A Richochet Book, 2016, 237 p. Édition originale : 1953. Introduction de Kevin Burton Smith. David Montrose est le pseudonyme de Charles Ross Graham.

Proulx, Monique, les Aurores montréales. Nouvelles, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 85, 2016, 238 p. Édition originale : 1996.

Roth, Philip, The Great American Novel, New York, Farrar, Straus & Giroux, 1980, 382 p. Édition originale : 1973.

Rouaud, Jean, les Champs d’honneur. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1990, 187 p.

Toussaint, Jean-Philippe, C’est vous l’écrivain, Paris, Le Robert, coll. «Secrets d’écriture», 2022, 176 p. Édition numérique.

Voltaire, Nanine ou le Préjugé vaincu, dans Théâtre du XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 241, 1972, vol. I, p. 871-939 et p. 1442-1449. Textes choisis, établis, présentés et annotés par Jacques Truchet. Édition originale : 1749.

Voyer, Marie-Hélène, Mouron des champs suivi de Ce peu qui nous fonde, Saguenay, La Peuplade, coll. «Poésie», 2022, 196 p.

Colson Whitehead, Crook Manifesto. A Novel, New York, Doubleday, 2023, 319 p.

Restons religieux

«J’men câlice», t-shirt, Montréal, octobre 2016

L’Oreille tendue, au cours des dernières semaines, a consacré quelques textes au sacre québécois d’inspiration religieuse et à ses richesses, d’hostie à crisse, en passant par tabarnak, son favori.

À cet herbier lexical, il manquait calice et ses variantes.

Ce mot pose la même question que ciboire, celle de sa prononciation.

Il y a ceux qui défendent calisse.

«Calice d’hostie de tabernacle !», «Calice de ciboire d’hostie !» et «Christ de calice de tabernacle !» (Roch Carrier, la Guerre, yes sir !, p. 18, p. 77 et p. 108).

«Nom de Dieu ! ils feraient mieux de chier dans leur potage ! Maudit calice ! On va leur vomir dans la gueule, leur clouer le bec et les faire dégueuler par les trous de nez, ces enculés !» (John Farrow, la Dague de Cartier, p. 252).

«Criss de tabarnak d’hostie de calice de ciboire d’étole de viarge, oussé kié le sacramant de calice de morceau de casse-tête du tabarnak !» (François Blais, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, p. 124).

«Han ? Tu m’prends-tu pour un cave, des fois ? Qu’ess’ tu veux ? Jus’ m’donner ton cash pis ta mont’, ou ben tu veux-tu qu’on t’en calisse une en plus ?» (le Tueur, p. 40).

Il y a ceux qui préfèrent un a postérieur, pour faire câlisse, voire colisse.

«le règne d’Alice-ma-câlisse était bel et bien terminé» (Sophie Létourneau, Polaroïds, p. 33).

«Aujourd’hui Maurice s’en câlisse» (Arseniq33, «Boîte à malle»).

«Dans l’intervalle, y a douze crisses de Tamouls qui ont hijacké des avions pour les câlicer un peu partout sur la gueule de l’oncle Sam» (Samuel Archibald, Arvida, p. 84).

«C’est mon ostie d’job d’être la tabarnaque de chef-cook, câlisse» (Simon Boudreault, Sauce brune, p. 81).

L’Oreille tendue, qui est de cette seconde école, irait même jusqu’à proposer la graphie cââlisse, mais c’est affaire de goût personnel.

Au-delà de ce débat ouvert, on notera que le mot est une interjection (Câlisse !) et un nom (Viens ici, mon câlisse). Il apparaît dans plusieurs expressions superlatives : Il vente en câlisse, C’est un câlisse de malade, Câlisse que c’est beau, Un bruit du câlisse (Léandre Bergeron, Dictionnaire de la langue québécoise, p. 108). Il se transforme aisément en verbe : Je vais lui câlisser une volée, Il s’est fait câlisser dehors.

L’adverbe câlissement est attesté, par exemple chez Ephrem Desjardins (Petit lexique, p. 62).

On entend aussi décâlisser. Le verbe est synonyme de partir, en version moins polie : «Ouais, chus sûre, décâlisse, vieux puant» (Sophie Bienvenu, Et au pire, on se mariera, p. 28). Il a alors le même sens que câlisser son camp. Son participe évoque la décrépitude, physique aussi bien que morale (Il est pas mal décâlissé). On peut l’utiliser pour des personnes comme pour des choses (Mon aide maritale est décâlissée).

Il ne faut jamais perdre de vue cet axiome, que l’Oreille tendue emprunte (c’est le cas de le dire) à Chantal Bouchard : en matière de langue, on n’emprunte qu’aux riches.

 

[Complément du 12 juillet 2012]

Le blogue OffQc | Quebec French Guide, dans son entrée du 11 juillet, «M’as te câlisser mon poing su’a yeule! (#493)», renvoie à une vidéo tout à fait instructive.

 

[Complément du 20 février 2014]

Tout, en effet, est affaire de circonflexe. Martin Robitaille, dans les Déliaisons (2008), l’a bien vu : «Gregory nous a regardés : “C’est plate en calice, ici.” Il prononçait “câlisse” avec son accent parisien, sans circonflexion du “a”» (p. 112).

 

[Complément du 9 mars 2021]

Depuis quelques années, les automobilistes québécois peuvent obtenir une plaque d’immatriculation personnalisée. Certains en profitent.

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p.

Arseniq33, «Boîte à malle», Courtepointes, 2005, étiquette Indica Records.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bienvenu, Sophie, Et au pire, on se mariera. Récit, Montréal, La mèche, 2011, 151 p.

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Bouchard, Chantal, On n’emprunte qu’aux riches. La valeur sociolinguistique et symbolique des emprunts, Montréal, Fides, coll. «Les grandes conférences», 1999, 40 p.

Boudreault, Simon, Sauce brune, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2010, 137 p.

Carrier, Roch, la Guerre, yes sir ! Roman, Montréal, Éditions du Jour, coll. «Les romanciers du Jour», R-28, 1970, 124 p. Rééditions : Montréal, Stanké, coll. «10/10», 33, 1981, 137 p.; Montréal, Stanké, 1996, 141 p.; dans Presque tout Roch Carrier, Montréal, Stanké, 1996, 431 p.; Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, coll. «10/10», 2008, 112 p. Édition originale : 1968.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Farrow, John, la Dague de Cartier, Paris, Grasset, coll. «Grand format», 2009, 619 p. Pseudonyme de Trevor Ferguson. Traduction de Jean Rosenthal. L’original anglais a paru deux ans après sa traduction : River City. A Novel, Toronto, HarperCollins, 2011, 845 p.

Létourneau, Sophie, Polaroïds. Récits, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2006, 166 p.

Robitaille, Martin, les Déliaisons. Roman, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2008, 240 p.

Le Tueur. Volume 8. L’ordre naturel des choses, Casterman, coll. «Ligne rouge», 2010, 56 p. Dessins de Luc Jacamon. Scénario de Matz.

Une fois n’est pas coutume

Casquette «Ciboire»

 

Les voyageurs européens qui débarquent au Québec n’ont pas toujours l’oreille heureuse; c’est l’objet des textes de la rubrique «Ma cabane au Canada». Il arrive pourtant qu’un étranger ait meilleure oreille que les autochtones.

Soit les quatre citations suivantes.

Calice de ciboire d’hostie ! (Roch Carrier, la Guerre, yes sir !, p. 77)

maudit ciboire de Christ ! (Roch Carrier, la Guerre, yes sir !, p. 78)

Criss de tabarnak d’hostie de calice de ciboire d’étole de viarge, oussé kié le sacramant de calice de morceau de casse-tête du tabarnak ! (François Blais, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, p. 124).

Cindy. — As-tu écouté l’estie de grande finale hier soir ? Sarah. — Crissement, ciboire. (Simon Boudreault, Sauce brune, p. 9)

Si l’on se fiait à Roch Carrier, à François Blais ou à Simon Boudreault, on pourrait croire que le juron québécois ciboire rime avec le verbe boire. Or il n’en est rien, comme l’ont bien vu (entendu) André-Paul Duchateau et Christian Denayer dans leur album les Casseurs (1988, p. 42).

André-Paul et Christian Denayer, les Casseurs, page 42, case

Ciboire ? Non. Cibouère ? Oui. (Merci.)

P.-S. — Cela dit, tout n’est pas également réussi dans cet album; voir ici.

 

[Complément du 8 août 2019]

Le dramaturge Jean-Claude Germain est du même avis dans Un pays dont la devise est je m’oublie (1976) : «sibouère» (p. 21), «SSI-BOU-WERRE» (p. 22), «cibouères» (p. 35) et «cibouère» (p. 51).

 

Références

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Boudreault, Simon, Sauce brune, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2010, 137 p.

Carrier, Roch, la Guerre, yes sir ! Roman, Montréal, Éditions du Jour, coll. «Les romanciers du Jour», R-28, 1970, 124 p. Rééditions : Montréal, Stanké, coll. «10/10», 33, 1981, 137 p.; Montréal, Stanké, 1996, 141 p.; dans Presque tout Roch Carrier, Montréal, Stanké, 1996, 431 p.; Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, coll. «10/10», 2008, 112 p. Édition originale : 1968.

Duchateau, André-Paul et Christian Denayer, les Casseurs. Match-poursuite. Une histoire du journal Tintin, Bruxelles et Paris, Éditions du Lombard, coll. «Les casseurs», 15, 1988, 48 p. Repris dans Denayer & Dûchateau, les Casseurs. L’intégrale, Bruxelles, Le Lombard, 2010, vol. 5.

Germain, Jean-Claude, Un pays dont la devise est je m’oublie. Théâtre, Montréal, VLB éditeur, 1976, 138 p.

Crissement riche

Un ministre (très) provincial permet à l’Oreille tendue de revenir sur un juron bien québécois : crisse ou criss. Norman MacMillan, pas plus tard que jeudi dernier, le 22 septembre, a traité une collègue de l’opposition, Sylvie Roy, en pleine chambre des députés, de «grosse crisse» (le Devoir, 24-25 septembre 2011, p. A4). Crisse, donc.

Son origine religieuse (Christ) est transparente, comme c’est le cas de beaucoup de jurons autochtones : tabarnak, câlice, ostie, sacrament, cibouère, etc. Ses emplois sont nombreux.

Crisse est tout bonnement une interjection, comme zut ou merde, encore que beaucoup plus satisfaisante que celles-là. C’est ce qu’a bien vu François Blais dans un passage de son roman Vie d’Anne-Sophie Bonenfant (2009) : «Criss de tabarnak d’hostie de calice de ciboire d’étole de viarge, oussé kié le sacramant de calice de morceau de casse-tête du tabarnak !» (p. 124). Un autre exemple, plus récent ? Sur Twitter, hier soir, s’agissant d’une communicatrice québécoise en vue, Catherine Voyer-Léger écrivait : «Criss qu’elle est dramatico-tragédienne…» On remarquera au passage que crisse se construit aussi bien avec de qu’avec que.

Le mot peut devenir un verbe. Le cowboy de «Saskatchewan», une chanson des Trois accords (2003), se désole que sa femme l’ait «crissé là / Pour un gars d’Regina». Cet usage est particulièrement attesté dans le domaine sportif : «Pis i s’en va t’la t’la crisser dans’l net» (Vincent Vallières, «1986», chanson, 2003). Dans les deux cas, il faut se débarrasser de quelque chose (un mari, la rondelle), non sans violence.

Il entre dans la composition d’un adverbe, comme l’a noté Simon Boudreault dans la pièce Sauce brune (2010) : «Y aiment crissement ça, tabarnak. Si j’fais pas ça, stie d’tabarnak, quessé m’as faire, crisse ? C’est mon ostie d’job d’être la tabarnaque de chef-cook, câlisse. On sert à d’quoi, icitte, crisse de tabarnak. On pourrait pas m’laisser tranquille une crisse de fois d’estie d’tabarnak ? Ça s’pourrait tu ça, câlisse de crisse ?» (p. 81). Ô bonheur de la concaténation !

L’exemple (à ne pas suivre en toutes circonstances) de l’Assemblée nationale le disait déjà : crisse est aussi un substantif épicène. Norman MacMillan parlait d’une «grosse crisse»; le tandem Jacamon-Matz, dans la bande dessinée le Tueur (2010), évoquait plutôt «les ‘tits criss» (p. 39). Vous êtes en crisse ? C’est que vous êtes en colère.

Lancer à quelqu’un Mon crisse peut être le signe d’une mésentente profonde (pour le dire poliment). Étrangement, cette expression peut aussi avoir valeur d’hypocoristique («Qui exprime une intention affectueuse, caressante», explique le Petit Robert, édition numérique de 2010). Il est vrai que, dans ce cas, on entendra plus volontiers quelque chose comme Mon p’tit crisse ou Ma p’tite crisse.

Crisse et ses dérivés, c’est bien. En construction complexe, ce n’est pas plus mal. Si s’en contre-crisser est attesté, décrisser, lui, est banal. On le lit par exemple dans «A», un poème du recueil comment serrer la main de ce mort-là (2007) de François Hébert (p. 60) :

come on dégrise ou ben décrisse pour l’amour
qu’a te disait
Desbiens
Patrice
dans un alexandrin gagné au Super 7

Il ne faudrait pas se priver de pareille richesse lexicale, tout en choisissant avec soin où et dans quel contexte utiliser ce mot.

P.-S. — Ce n’est pas la première fois que l’Oreille tendue se penche sur ce juron, auquel elle avoue pourtant préférer tabarnak (tous les goûts sont dans la nature) : voir, par exemple, ici ou .

 

[Complément du 22 mars 2012]

Beaucoup d’étudiants québécois sont actuellement en grève contre une augmentation annoncée des droits de scolarité à l’université. Cette semaine, ils ont inscrit leur mécontentement sur la façade d’un édifice gouvernemental.

Façade de l’édifice d’Hydro-Québec, 2012

Leur utilisation de crisser ne pose aucun problème. L’absence de l’adverbe de négation dans «on en a rien», elle, si.

 

[Complément du 21 décembre 2023]

Querisser est attesté : «Sauf que, soyons honnêtes, ce ne sont pas seulement les client·es qui sont visé·es par la répression; les flics et les tribunaux ont plus d’un tour dans leur sac et savent très bien comment querisser les TDS [travailleuses du sexe] en taule» (Anne Archet, «La plume ou le martinet : lequel choisir ?», Lettres québécoises, 191, hiver 2003, p. 88-89, p. 88).

 

[Complément du 15 avril 2024]

Emploi rare, au sens de rageant, chez Jean-Philippe Pleau : «c’est très crissant, je vous jure» (Rue Duplessis, p. 309).

 

[Complément du 20 novembre 2024]

Actualité oblige, plusieurs découvrent l’existence du jeu «Sonne-décrisse». Il s’agit de sonner à la porte de quelqu’un, puis de s’enfuir en courant. Les sœurs Boulay ont une chanson qui porte ce titre.

 

Références

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Boudreault, Simon, Sauce brune, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2010, 137 p.

Hébert, François, comment serrer la main de ce mort-là, Montréal, l’Hexagone, coll. «L’appel des mots», 2007, 72 p.

Pleau, Jean-Philippe, Rue Duplessis. Ma petite noirceur. Roman (mettons), Montréal, Lux éditeur, 2024, 323 p. Ill.

Les trois accords, «Saskatchewan», Gros mammouth album turbo, 2003.

Le Tueur. Volume 8. L’ordre naturel des choses, Casterman, coll. «Ligne rouge», 2010, 56 p. Dessins de Luc Jacamon. Scénario de Matz.

Vallières, Vincent, «1986», Chacun dans son espace, 2003.

De Jean Béliveau

Sous le titre «Le “Gros Bill” a 80 ans» (p. A7), le Devoir de ce matin publie un texte de l’Oreille tendue sur un joueur de hockey qui est aussi une icône culturelle, Jean Béliveau. Le texte est disponible ici.

Comme dans le cas de son texte sur Guy Lafleur, un complément filmo-vidéo-icono-musico-bibliographique, même partiel, s’impose bien évidemment. Les non-fans peuvent passer leur chemin.

Filmo (par ordre chronologique)

Here’s Hockey ! de Leslie McFarlane, Office national du film du Canada, 1953

Le Sport et les hommes d’Hubert Aquin et Roland Barthes, Office national du film du Canada, 1961

Un jeu si simple de Gilles Groulx, Office national du film du Canada, 1963

Vidéo

On trouve sur YouTube «Bleu, blanc, rouge» (1981) de Michel Como, avec la participation de Tierry Dubé-Bédard et Éric Dubrofsky.

Icono

Les tableaux de Benoît Desfossés et de Bernard Racicot sont visibles sur les sites Web de ces artistes.

Les œuvres de Serge Lemoyne sont reproduites dans plusieurs ouvrages, par exemple le catalogue d’exposition rédigé par Marcel Saint-Pierre, Serge Lemoyne, Québec, Musée du Québec, 1988, 236 p. Ill. Préface d’Andrée Laliberté-Bourque. Prologue de Normand Thériault.

Musico (par ordre chronologique)

La famille Soucy, «Le club de hockey Canadien», 1954

Oscar Thiffault et Marcel Martel, «Boom Boom», 1955

Denise Émond, «La chanson des étoiles du hockey», 1956

Oscar Thiffault, «Ils sont en or», 1957

Oswald, «Les sports», 1960

Les Jérolas, «La chanson du hockey», 1960

Les Jérolas, «La Tarantella al Canada», 1961

Les Jérolas, «Le sport», 1967

Robert Charlebois, «Demain l’hiver», 1967

Marthe Fleurant, «D’l’a gomme baloune», 1968

Georges Langford, «La coupe Stanley», 1973

Michel Como, avec la participation de Tierry Dubé-Bédard et Éric Dubrofsky, «Bleu, blanc, rouge», 1981. La version anglaise s’intitule «Red, White, Blue».

Jane Siberry, «Hockey», 1989

André Brazeau, «Ti-Guy», 2002

Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», 2008

Loco Locass, «Le but», 2009

Biblio

Barbeau, Jean, Ben-Ur, Montréal, Leméac, coll. «Répertoire québécois», no 11-12, 1971, 108 p. Ill. Présentation d’Albert Millaire.

Béliveau, Jean, Chrystian Goyens et Allan Turowetz, Ma vie bleu-blanc-rouge, Montréal, Hurtubise HMH, 2005, 355 p. Ill. Préface de Dickie Moore. Avant-propos d’Allan Turowetz. Traduction et adaptation de Christian Tremblay. Édition originale : 1994.

Bujold, Michel-Wilbrod, les Hockeyeurs assassinés. Essai sur l’histoire du hockey 1870-2002, Montréal, Guérin, 1997, vi/150 p. Ill.

Gravel, François, le Match des étoiles, Montréal, Québec/Amérique jeunesse, coll. «Gulliver», no 66, 1996, 93 p. Préface de Maurice Richard.

Hood, Hugh, Puissance au centre : Jean Béliveau, Scarborough, Prentice-Hall of Canada, 1970, 192 p. Ill. Traduction de Louis Rémillard.

Ménard, Sylvain, «Grand comme Jean Béliveau», dans Marc Robitaille (édit.), Une enfance bleu-blanc-rouge, Montréal, Les 400 coups, 2000, p. 138-145.

Poulin, Jacques, le Cœur de la baleine bleue. Roman, Montréal, Éditions du jour, coll. «Les romanciers du jour», no 66, 1970, 200 p.

Pozier, Bernard, «Génétique 1», dans Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p., p. 30. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.

Richler, Mordecai, «The Fall of the Montreal Canadiens», dans Home Sweet Home. My Canadian Album, New York, Alfred A. Knopf, 1984, p. 182-209. Repris dans Dispatches from the Sporting Life, Toronto, Vintage Canada, 2003, p. 241-274. Foreword by Noah Richler. Édition originale : 2002.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 142 p. Ill. Nouvelle édition : Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Salutin, Rick, avec la collaboration de Ken Dryden, Les Canadiens, Vancouver, Talonbooks, 1977, 186 p. Ill. «Preface» de Ken Dryden.

Simard, André, la Soirée du fockey, dans la Soirée du fockey. Le temps d’une pêche. Le vieil homme et la mort, Montréal, Leméac, coll. «Répertoire québécois», 40, 1974, 92 p. Préface de Normand Chouinard.

 

[Complément du 23 septembre 2011]

Le plus récent album de Marc Déry s’intitule Numéro 4 (Audiogramme, 2011). On y trouve une chanson du même nom, où il est question de Jean Béliveau (et de Bobby Hull).

 

[Complément du 30 août 2013]

Trois ajouts à la bibliographie :

Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.

Ménard, L. Jacques, avec Denis et Michèle Beauregard, Réussir. Aller au bout de ses rêves, Montréal, VLB éditeur, 2011, 288 p.

«Poète et amateur de hockey. Une interview de Gérald Godin avec Roland Giguère», le Maclean, 6, 12, décembre 1966, p. 65-66.

 

[Complément du 30 juin 2016]

Jean Béliveau a désormais sa rue à Longueuil.

Rue Jean-Béliveau, Longueuil, juin 2016