Autopromotion 165

Revue Épistolaire, 40, 2014, couverture

En 1991, l’Oreille tendue collaborait pour la première fois à ce qui s’appelait alors le Bulletin de l’AIRE. Cette publication de l’Association interdisciplinaire de recherche sur l’épistolaire s’intitule désormais Épistolaire (ISSN : 0993-1929). Sa 40e livraison a paru à la fin de 2014. L’Oreille y collabore toujours, notamment par sa chronique «Le cabinet des curiosités épistolaires».

Table des matières

Haroche-Bouzinac, Geneviève, «Avant-propos», p. 5.

Obitz-Lumbroso, Bénédicte (édit.), «40 !», p. 7-23. Textes de Cécile Dauphin, Jean-Marc Hovasse, Yvan Leclerc, Mireille Bossis, Mireille Kerven-Gérard, Isabelle Landy, Antony McKenna et Benoît Melançon.

«Lire la correspondance de Diderot (I)»

Buffat, Marc, Geneviève Cammagre et Odile Richard-Pauchet, «Avant-propos [au dossier «Diderot en correspondance»]», p. 27-28.

«Le monde sensible»

Chamayou, Anne, «Regrets sur un vieux fauteuil : le discours du repos dans la correspondance complète de Diderot», p. 33-45.

Buffat, Marc, «Ville et campagne dans la correspondance de Diderot», p. 47-58.

Weltman-Aron, Brigitte, «Le rapport au temps dans la correspondance de Diderot», p. 59-67.

Fink, Béatrice, «“Quoi ? Ne plus manger et me taire ?” : démonter le comestible dans la correspondance de Diderot», p. 69-74.

Langbour, Nadège, «“L’histoire des maladies” dans la correspondance de Diderot : les enjeux de l’exhibition du corps souffrant», p. 75-83.

Cussac, Hélène, «Les lettres de Diderot à Sophie Volland à l’épreuve de la sympathie», p. 85-98.

«Esthétique et poétique»

Alvarez, Cécile, «“Seigneur Michel” dans les lettres à Falconet», p. 101-111.

Palus, Berenika, «“La palette du poète” selon Diderot épistolier», p. 113-121.

Haroche-Bouzinac, Geneviève, «Forme et fonction de l’anecdote dans la correspondance de Diderot, essai de typologie», p. 123-132.

Vucelj, Nermin, «L’esthétique dans la correspondance de Diderot», p. 133-142.

Charrier-Vozel, Marianne, «Diderot : lettres de conseil aux comédiennes Riccoboni et Jodin», p. 143-154.

Richard-Pauchet, Odile, «Diderot et les dames Volland lecteurs de Richardson : échanges de vues, vers une poétique (du roman) épistolaire», p. 155-167.

«L’épistolarité politique»

Bergamasco, Lucia, «Affectivité amicale, ou conjugale, un ressort pour l’épistolarité politique [avant-propos au dossier «Épistolaire politique : un laboratoire d’idées ?»]», p. 171.

Serme, Jean-Marc, «“I Shall Withold Nothing” : la correspondance politique et militaire d’Andrew Jackson et James Monroe, 1814-1819», p. 173-183.

Quanquin, Hélène, «William Garrison par ses enfants. Une correspondance familiale politique», p. 185-193.

Allorant, Pierre, «Une si belle ordonnance : l’épistolarité politique au sein d’une famille de médecins français de Bonaparte à Clémenceau», p. 195-206.

Badier, Walter, «La correspondance d’Alexandre Ribot en Amérique (1886-1887) : entre impressions de voyage et réflexions politiques», p. 207-216.

«Chroniques»

McKenna, Antony, «Étudier l’épistolaire : le cas de Pierre Bayle», p. 219-228.

Cousson, Agnès (édit.), «Bibliographie de l’épistolaire», p. 229-256. Contributions de Benoît Grévin, Luciana Furbetta, Clémence Revest, Mawy Bouchard, Andrzej Rabsztyn, Nathalie Gibert et Benoît Melançon.

Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires», p. 257-259. Sur le paradoxe de l’épistolarité contemporaine. [HTML] [PDF]

Charrier-Vozel, Marianne, «Vie de l’épistolaire», p. 261-268.

«Recherche»

«Comptes rendus», p. 271-317.

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture

Abécédaire V

Alexandre Vialatte, Un abécédaire, 2014, couverture

«Il pleut. Naturellement. Comme toujours.
Et ça durera jusqu’à notre mort (si nous arrivons jusque-là…).»

Dans le premier volume de l’Encyclopédie, en 1751, Edme-François Mallet signe un des textes sur le mot abrégé :

Les abregés peuvent, selon le même Auteur [Baillet], se réduire à six especes differentes; 1°, les épitomes où l’on a réduit les Auteurs en gardant régulierement leurs propres termes & les expressions de leurs originaux, mais en tâchant de renfermer tout leur sens en peu de mots; 2°. les abrégés proprement dits, que les Abréviateurs ont faits à leur mode, & dans le style qui leur étoit particulier; 3°. les centons ou rhapsodies, qui sont des compilations de divers morceaux; 4°. les lieux communs ou classes sous lesquelles on a rangé les matieres relatives à un même titre; 5°. les Recueils faits par certains Lecteurs pour leur utilité particuliere, & accompagnés de remarques; 6°. les extraits qui ne contiennent que des lambeaux transcrits tout entiers dans les Auteurs originaux, la plûpart du tems sans suite & sans liaison les uns avec les autres (source : application Encyclopédie).

L’Abécédaire que publiait Julliard en 2014 sous la signature d’Alexandre Vialatte relève, au choix, du genre lieu commun ou classe, ou du genre extrait. Ce livre est en fait celui d’Alain Allemand, qui l’a conçu et qui l’a illustré, autant que de Vialatte, dont les écrits multiples sont donnés à lire sous une forme qui n’était pas la leur à l’origine.

L’entreprise était hasardeuse : prendre des chroniques, ces textes composites, les découper et en regrouper thématiquement le contenu, y ajouter des passages tirés de lettres ou de romans, puis soumettre l’ensemble à l’ordre alphabétique. Du fait de son mode de composition, Un abécédaire donne lieu à plusieurs répétitions et à de nombreux déséquilibres d’une entrée à l’autre. Il y a même des textes reproduits deux fois, à l’identique (p. 20 et p. 249; p. 81 et p. 220). Ça fait désordre.

Cela étant, on retrouve bien sûr la manière Vialatte dans cet abécédaire bicéphale.

On se souvient avec profit de tout ce qui date, selon lui, «de la plus haute Antiquité» : le bonheur (p. 8), le mois d’août (p. 12), le bœuf (p. 26), l’hiver (p. 49), l’éléphant (p. 65), le premier de l’an (p. 109), le kangourou (p. 121), la maternité (p. 154). En revanche, c’est un peu plus compliqué pour l’espèce humaine. Si, comme chacun le sait, la femme «remonte […] à la plus haute Antiquité» (p. 71), c’est moins clair pour l’homme, qui daterait, lui, «des temps les plus anciens» (p. 98), voire «de la nuit des temps» (p. 99) : «Il a bien quinze millions d’années» (p. 99); «L’homme date d’une si lointaine époque qu’il est affreusement fatigué» (p. 219).

On est appelé à jouer à et si. Et si on n’avait pas inventé le chien (p. 36), la femme (p. 71-72), les fleurs (p. 74), le kangourou (p. 121), les lacs (p. 124), la Lune (p. 136), l’eau (p. 173) ? Un exemple, parmi d’autres : «Que seraient devenus les hommes s’ils n’avaient pas eu de mères ? L’humanité se composerait d’orphelins» (p. 155). Voilà qui est difficilement contestable.

On établit la liste des créateurs aimés de Vialatte : Colette, Dubuffet, Kafka (qu’il a longtemps traduit), Pourrat, Proust, Queneau, la comtesse de Ségur, Toulet, Utrillo. Céline ? C’est moins sûr.

On entend, non sans étonnement, des «meuglements cunéiformes» (p. 26), on voit un «manche de parapluie acrimonieux» (p. 112), on croise un «ornithorynque paradoxal» (p. 148 et p. 179), on se passionne pour le pédalo (p. 184 et suiv.).

On rencontre des zeugmes et des conseils sur l’utilisation de l’impératif.

On s’amuse de l’usage que fait Vialatte de l’astrologie (l’entrée «Zodiaque» fait neuf pages et chaque mois a droit à sa propre entrée, sauf mai).

Plus sérieusement — mais «Il ne faut jamais se prendre au sérieux» (p. 14) —, on est appelé à réfléchir à la nature humaine :

De temps en temps, [l’homme] détruit la Bastille pour construire des prisons moins belles mais plus nombreuses, il tue ses rois pour avoir un empereur et le remplacer par un monarque, il adore la Raison, il se repaît de chimères, il massacre ses prisonniers. En un mot, il naît libre égal et fraternel. Tant qu’il conquiert, ce n’est pas trop inquiétant; quand il «libère», ça devient plus grave; quand il déclare la paix au monde, c’est le moment de prendre le maquis. S’il parle de «vertu», gare à la guillotine; s’il parle «liberté», méfiez-vous de la prison (p. 100).

Ce n’est pas toujours très encourageant. Ça fait partie du plaisir.

 

[Complément du 19 mars 2021]

Vialatte n’a évidemment pas le monopole de l’expression «plus haute Antiquité». Elle est aussi, par exemple, chez le Jules Verne du Pays des fourrures (1872-1873) : «Le commerce des pelleteries remonte donc à la plus haute antiquité» (éd. de 2020, p. 64).

 

Références

Verne, Jules, le Pays des fourrures. Le Canada de Jules Verne — I, Paris, Classiques Garnier, coll. «Bibliothèque du XIXe siècle», 77, 2020, 549 p. Ill. Édition critique par Guillaume Pinson et Maxime Prévost. Édition originale : 1872-1873.

Vialatte, Alexandre, Un abécédaire, Paris, Julliard, 2014, 266 p. Choix des textes et illustrations par Alain Allemand.

Accouplements 10

Alexandre Vialatte, Un abécédaire, 2014, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

La correspondance d’Abélard et Héloïse date du Moyen Âge. Son prestige était tel que, sous la Révolution française, Alexandre Lenoir, qui devait protéger de la destruction les sculptures funéraires de la basilique de Saint-Denis, n’hésitait pas à marchander les reliques des amants, rapporte Anthony Vidler : «Les squelettes d’Abélard et d’Héloïse l’intéressaient davantage comme souvenirs que comme reliques sépulcrales. Lenoir en faisait cadeau à des ministres et à des protecteurs, quand il ne les vendait pas. […] Lenoir lui-même estimait que les dents d’Héloïse valaient au moins 1 000 francs pièce sur le marché» (p. 147).

Dans «Démographies» (la Montagne, 26 juin 1956), Alexandre Vialatte rapporte une histoire semblable, mais s’agissant de cinéma :

À quoi rêvent-elles ? À un acteur célèbre. Elles mettent son image sur les murs de leur chambre, dans leur cœur et leur sac à main. Elles se disputent ses cheveux, elles s’arrachent ses molaires.

Et c’est ainsi qu’un antiquaire d’Hollywood vendait celles de Clark Gable. Deux dollars pièce. Sous le sceau du secret. Clark Gable, disait-il, se les faisait arracher pour avoir le visage plus maigre, plus long, plus creusé, plus fatal, plus cabossé, en un mot plus gidien.

Il en avait vendu quatre-vingt-dix-huit paires quand la police vint l’inquiéter. Elle prétendait qu’il y en avait certainement de fausses.

Mais qu’entend le sergent de ville aux vrais besoins des jeunes filles ? L’antiquaire savait mieux leur cœur. Il lui restait encore en stock cinquante-huit paires de dents de sagesse (Abécédaire, p. 42).

On imagine de tels vendeurs sourire à pleine bouche.

 

[Complément du 16 février 2015]

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte de Vialatte le 16 février 2015.

 

Références

Vialatte, Alexandre, Un abécédaire, Paris, Julliard, 2014, 266 p. Choix des textes et illustrations par Alain Allemand.

Vidler, Anthony, «Grégoire, Lenoir et les “monuments parlants”», dans Jean-Claude Bonnet (édit.), la Carmagnole des Muses. L’homme de lettres et l’artiste dans la Révolution, Paris, Armand Colin, 1988, p. 131-154.