En 1994, Jean-Claude Bonnet nous avait donné les éditions de référence du Tableau de Paris et du Nouveau Paris (Paris, Mercure de France) de Louis Sébastien Mercier (1740-1814). En 1999, c’était Mon bonnet de nuit suivi de Du théâtre (Paris, Mercure de France), puis, en 2005, Songes et visions philosophiques (Houilles, Manucius).
Chez Belin (Paris), il vient de faire paraître la Néologie (1801). Pierre Assouline donne quelques exemples des inventions de Mercier, dans son blogue, en date du 28 juillet 2009 : dévotieux, exulcérer, heureuseté, joculateur, s’obombrer.
Référence
Mercier, Louis Sébastien, Néologie, Paris, Belin, coll. «Littérature et politique», 2009, 596/xxxvii p. Ill. Texte établi, annoté et présenté par Jean-Claude Bonnet. Édition originale : 1801.
Jeudi soir dernier, dans un centre commercial de l’île de Montréal :
Pourquoi ce passage du tu au vous dans la publicité ?
Si l’on était dans un roman épistolaire classique, on y verrait un effet d’insistance amoureuse, comme dans l’incipit de la lettre CXLVIII des Liaisons dangereuses de Laclos, quand le chevalier Danceny écrit à la marquise de Merteuil : «Ô vous, que j’aime ! ô toi, que j’adore ! ô vous, qui avez commencé mon bonheur ! ô toi, qui l’as comblé» (éd. de 1964, p. 333).
Dans une chanson, ce pourrait être un exercice de style, comme dans «Rendez-vous courtois» de Jérémie Kisling, sur l’album le Ours en 2006. Tous les vers y mêlent tutoiement et vouvoiement. Cela donne lieu à des phrases déjantées : «Allez viens vous asseoir, il faut pas que vous te barre / Sous mon toit, vous serez à ton aise / Donne-moi votre main, couchez-moi contre ton sein / Je t’avoue que je vous aime bien.»
Les intentions des propriétaires de la boutique de jeux électroniques EBGames sont un peu moins claires.
(L’absence de s à «usagé» fait désordre.)
Référence
Laclos, Pierre Choderlos de, les Liaisons dangereuses, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «G-F», 13, 1964, 379 p. Chronologie et préface par René Pomeau. Édition originale : 1782.
Le passage, célèbre, se trouve au début de «Candide et Martin vont sur les côtes d’Angleterre; ce qu’ils y voient», le vingt-troisième chapitre de Candide, le conte de Voltaire (1759). Candide discute avec Martin sur le pont du navire hollandais qui les conduit à Venise. «Vous connaissez l’Angleterre; y est-on aussi fou qu’en France ? — C’est une autre espèce de folie, dit Martin. Vous savez que ces deux nations sont en guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada, et qu’elles dépensent pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada ne vaut.»
Depuis, la formule «quelques arpents de neige» connaît au Québec une vitalité qui ne se dément pas.
Trois exemples.
Jean-Marie Gustave Le Clézio s’en prenait récemment, dans les pages du Monde, au projet de développement hydroélectrique de la rivière Romaine. Il fallait s’attendre à ce que Jean Charest, premier ministre du Québec et défenseur du projet, ne soit pas d’accord. C’est l’objet de la caricature de Garnotte, du Devoir, le 3 juillet : on y voit un Charest emperruqué, mouchoir à la main, déclarer «Comme le disait un illustre prédécesseur du sieur Le Clézio… il ne s’agit que “de quelques arpents de neige” !» (p. A8).
Quatre jours plus tard, dans le même journal, c’est le premier ministre du Canada, Stephen Harper, qui est la cible de l’écrivain Yves Beauchemin. Celui-ci ne croit pas au «fédéralisme d’ouverture» de celui-là. Il l’affirme à l’occasion de la cession annoncée, par le gouvernement fédéral au gouvernement provincial, de terrains proches du parlement de Québec. Son titre ? «Pour quelques arpents de gazon» (p. A8).
Enfin — surtout ? —, il existait à Oka, près de Montréal, en septembre 2007, un verger nommé Quelques arpents de pommes.
On dit souvent du français que c’est la langue de Molière. Et si, au Québec, c’était celle de Voltaire ?