Trop, c’est comme pas assez, ter

L’Oreille tendue a eu l’occasion de le dire et de le répéter : l’apocope est populaire.

Presque symétriquement, en quelque sorte, on trouve des cas où, au lieu de couper des lettres ou des mots, certaines personnes décident, sans raison apparente, d’en ajouter (voir ici et ).

Prenons trois cas récents.

Une photo prise par @ZabethRousseau rue Sainte-Catherine à Montréal :

Publicité au Complexe Desjardins, janvier 2013

Un texte recopié de l’Infolettre de la Commission scolaire de Montréal, sur Twitter, par @PimpetteDunoyer : «Persévérer, c’est donner libre cours à sa détermination […] c’est de rendre hommage au métier d’élève.»

Un tweet de @Samuel_Cramer : «Viens d’entendre une fille avec de faux ongles dire : “Amis de gars.” Que vient faire le “de” dans cette expression ? #songeur #perplexe.»

Faudra-t-il dorénavant se méfier des «de» en trop («de trouver», «de rendre hommage», «de gars») ? Si peu d’heures, tant de combats (perdus d’avance).

P.-S. — Au Québec, «ami de gars», comme «amie de fille», serait un syntagme figé ? L’Oreille n’en disconvient pas.

 

[Complément du 22 février 2013]

Confirmation du «P.-S.» par @ZabethRousseau : «Dans Bonheur d’occasion [Gabrielle Roy, 1945], Florentine devient “l’amie de fille” d’Emmanuel.»

 

[Complément du 20 mars 2013]

Le Parti libéral du Québec, durant son congrès des derniers jours, a fait tourner une chanson de Pierre Lapointe sans lui demander la permission. En réponse, l’auteur-compositeur-interprète publie aujourd’hui une «Lettre de Pierre Lapointe au PLQ» sur le site du journal la Presse. (Merci à @ZabethRousseau d’avoir signalé ce texte à l’Oreille.)

Lapointe aime manifestement la préposition qui nous occupe (l’Oreille souligne) : «De se l’approprier pour vendre une idéologie, de s’en servir comme d’un souffle politiquement chargé sans demander au propriétaire de la dite [sic] chanson sa permission, est une grave erreur morale et un manque de respect flagrant»; «Aujourd’hui, de voir que vous vous appropriez une de mes chansons, sans même avoir la cohérence d’esprit de vous souvenir que vous avez utilisé mon nom, pour salir l’image de tous les artistes qui portaient le carré rouge, me dégoûte».

C’est encore un de inutile que l’on trouve dans «Dois-je en comprendre qu’on peut utiliser les artistes là où ils sont profitables, le temps d’un court instant, pour ensuite les jeter ?» et dans «Dois-je en comprendre qu’une œuvre existe pour vendre une image, en ne tenant pas compte de son créateur et de ce qu’il symbolise, même si cet artiste est toujours vivant ?».

Voilà une vraie passion prépositionnelle.

Tombeau d’Ella (5) : chœurs

Ella Fitzgerald en 1940[Ce texte s’inscrit dans la série Tombeau d’Ella. On en trouvera la table des matières ici.]

Ella Fitzgerald ne chante pas toujours seule.

À la télévision, elle a multiplié les duos avec nombre de vedettes, de Frank Sinatra à Dinah Shore. Sur disque, on connaît notamment les chansons qu’elle a interprétées avec Louis Armstrong. De cela, il sera question un autre jour.

Aujourd’hui, un mot à propos des chœurs qui accompagnent Ella Fitzgerald, surtout au début de sa carrière. Par la suite, c’est elle qui prendra toute la place.

Étonnamment présents sur «My Happiness» (1947) et sur «I Hadn’t Anyone Till You» (1949), ils sont discrets sur «Lullaby of Birdland» (1954).

Lorsque le chœur répond («So do we So do we So do we») à la chanteuse ou qu’il lui pose des questions («Was it green ?») auxquelles elle répond à son tour, il y a dialogue («A-Tisket, A-Tasket» et «I Found my Yellow Basket», 1938).

En revanche, quand Ella Fitzgerald scate, le chœur ne peut que se tenir en retrait; personne ne sait l’égaler («Smooth Sailing», 1951; «Airmail Special», 1952; «Later», 1954).

Une pièce à retenir ? Contrairement à «That’s my Desire» (1947), où les voix discordantes des chœurs contrastent douloureusement avec celle de l’interprète principale, «It’s Only a Paper Moon» (1945) est une merveille. Voilà l’exception qui confirme la règle : le mariage de la voix d’Ella Fitzgerald, paroles et scat, et du chœur masculin des Delta Rhythm Boys est parfait.

L’Oreille tendue ne s’en cache pas : elle écoute cette chanson en boucle.

[Les dates entre parenthèses devraient être celles des enregistrements. Elles ne sont pas toujours fiables.]

Illustration : Ella Fitzgerald, 1940, photo déposée sur Wikimedia Commons

Les neuf néologismes neufs du mercredi matin

Pour les gens cultivés / à cultiver : «Le souci pour la malbouffe est omniprésent à l’école. À quand la préoccupation pour la “malculture” ?» (le Devoir, 18 février 2013, p. A6).

Pour les hipsters qui s’ennuient de la banlieue (suburbia) : «Quand les hipsters de Brooklyn déménagent en banlieue. “Creating Hipsturbiahttp://nyti.ms/14XmtiC» (@mcbeaucage).

Pour les mordus du mouvement numérique : «La gifification de l’éco RT @strem RT @suzlortie Vimeo acquires GIF-making app Echograph to challenge Vine & Cinemagram http://venturebeat.com/2013/02/14/vimeo-acquires-gif-making-app-echograph-to-challenge-vine-cinemagram/#YWC6Moe870y4F7o6.02» (@fdaudens).

Remarque. L’Oreille tendue se serait contentée de gification et s’interroge sur ce fifi.

Pour les amateurs de musique (pour) jeune(s) : «Le batteur des Black Keys a passé les dernières journées à en découdre avec les inconditionnels de Justin Bieber, surnommés les “Beliebers”, sur Twitter» (la Presse, 19 février 2013, cahier Arts, p. 2).

Pour les amis de la nature : croisez un ours blanc (polar bear) et un grizzly, et vous aurez un grolar. Ou un pizzly. (Merci à @PhAnnocque.)

Pour ceux qui aiment se prendre à leur propre jeu : «Idée de nouveau mot : le “johnnisme”. Qui voudrait dire “Écouter un truc ringard au 2nd degré tant de fois qu’on en devient vraiment fan”» (@Bouletcorp, via @PimpetteDunoyer).

Pour les jumeaux : «Happy birthday, twin ! http://bit.ly/RToWHI #twin You are my two-ther. Twin+Brother» (@vassb, via @sabouria).

Pour les fans d’étymologie : «Le “sextage”, vraiment ? C’est quoi ce mot-là, une combinaison de sexe et… ?» (@caroline_gm).

Autopromotion 059

Wikipédia, logo, 9 juin 2021

Lundi prochain, le 25 février, à 13 h 30, l’Oreille tendue présentera une conférence intitulée «Diderot : de l’Encyclopédie à Wikipédia» au collège Jean-de-Brébeuf.

Renseignements ici.

Unités de mesure hospitalières

C’est @JoseeLegault, sur Twitter, qui a mis la puce à l’oreille de l’Oreille tendue : «Réalise-t-on au Qc qu’on parle des personnes vulnérables en termes de “lits” ?».

Une lecture cursive de la presse confirme que @JoseeLegault a vu juste : «Hôpital de Lachine. Le cinquième des lits supprimé» (la Presse, 9 janvier 2013, p. A5); «Québec suspend la fermeture de lits à l’hôpital de Lachine» (la Presse, 10 janvier 2013, p. A5); «Urgences débordées. Des opérations seront reportées pour libérer des lits» (la Presse, 18 janvier 2013, p. A5).

Un lit «fermé», pour le dire dans le jargon médical, n’est-ce pas un patient de moins ?

Remarque. En revanche, les civières, elles, ne sont jamais fermées. Poussées (ou pas) par des périsoignants, elles sont toujours prêtes à accueillir de nouveaux bénéficiaires.