Une semaine dans les mots et dans les médias

Cette semaine, entre autres choses, l’Oreille tendue a appris quelques nouveaux mots.

20 octobre

Anacoluthe du jour

«Même si âgé et fragile, l’entraînement physique reste bénéfique» (la Presse, 20 octobre 2012, cahier publicitaire «Chez soi 55+»).

Donc, si l’on se fie à la syntaxe de cette phrase, un «entraînement physique» pourrait être «âgé et fragile». C’est toujours bon à savoir.

(Quelques jours plus tôt, sur Twitter, @LeDevoir avait, lui aussi, son anacoluthe : «Véronique Hivon renonce à ses fonctions ministérielles. Enceinte, son médecin lui a recommandé un repos complet.» On est heureux d’apprendre que le médecin de Mme Hivon est enceinte.)

22 octobre

L’Oreille tendue connaissait déjà les mobigoinfres et les mobinautes. Grâce à la Presse, elle découvre la mobilographie, cette «écriture de la mobilité» rendue possible par les téléphones dits «intelligents» (22 octobre 2012, cahier Arts, p. 5).

Vous pratiquez cette «écriture» avec un iProduit ? Vous faites alors de liphonographie.

(Intermède publicitaire : les Trottoirs de Montréal, que diffuse l’Oreille sur Tumblr, ne relèvent-ils pas de cette mobilographie ?)

22 octobre

Vous faites dans la bibliothèque et dans le blogue ? Vous faites partie de la biblioblogosphère. C’est Daniel Bourrion qui le dit.

23 octobre

Les yeux de beaucoup de Québécois sont tournés, depuis le début septembre, vers la Commission d’enquête sur l’industrie de la construction, dite Commission Charbonneau. (Un des témoins y a donné un sens inédit au mot redevances.)

Comme il est très souvent question de collusion durant les audiences de la commission, le mot collusionnaire est devenu populaire.

«Appris un nouveau mot grâce à la #ceic : COLLUSIONNAIRE. Sonne comme le stade dégénératif d’une maladie grave. Et c’est exactement ça…» (@MFBazzo)

24 octobre

Une liste de livres ? Une bibliographie. Une liste de disques ? Une discographie. Une liste de films ? Une filmographie. Une liste de ressources sur le Web ? Une webographie. Une liste de sites ?

«BIBS, besoin d’infos ! Connaissez-vous des sitographies recensant les sites sur le cinéma utiles pour le travail des vidéothécaires ?» (@PoivertGBF)

24 octobre

On connaissait l’«angoisse fiscale». Voilà que se manifestent les premiers symptômes de la «détresse hypothécaire» (la Presse, 24 octobre 2012, cahier Affaires, p. 10). La psychopathologie du pognon a un bel avenir.

24 octobre

L’organisme Culture Montréal organisait ce matin une «Table ronde sur la participation culturelle des jeunes à Montréal». Si l’on se fie à Twitter (#JeunesetCulture), l’inventivité lexicale était au rendez-vous. L’Oreille tendue, en tout cas, a étendu son vocabulaire.

Prosommateur : «un profil mixte entre “producteur” et “consommateur”» (@CultureMontreal).

Tricograffiti : «Du tricot dans l’espace urbain» (@CultureMontreal).

Museogeeks : «On s’organise, on aime aussi la spontanéité, on aime le contact» (@CultureMontreal).

25 octobre

Tous les (dé)goûts sont dans la nature.

«Je suis sapiosexuelle #jeudiconfession» (@MadameChos).

Sapiosexuelle ? Une personne, dit Internet, «chez qui l’intelligence de l’autre provoque une excitation sexuelle».

25 octobre

Le plus grand poème sur le joueur de hockey Maurice Richard s’intitule «Homage to Ree-shard», il date de 1976 et il est signé Al Purdy. Son premier vers — «Frog music in the night» — est une allusion à une insulte classique adressée aux Canadiens français, devenus Québécois : ce seraient des «frogs», des «grenouilles».

L’Oreille est toujours étonnée du fait que cette insulte soit encore pratiquée de nos jours. Ce serait le cas dans le monde du sport.

L’exemple le plus récent vient du football canadien. Un joueur (anglophone) des Alouettes de Montréal aurait traité de «frog» un joueur (francophone) des Rough Riders de Regina (la Presse, 25 octobre 2012, cahier Sports, p. 5).

En 2012 ?

25 octobre

La philosophie ne connaît pas de limites. La preuve ? L’«apiphilosophie» («happy philosophie» ?) vient de naître.

De quoi s’agit-il ? Pour un dentiste de la clinique Groupe Api, «la plus importante de Laval et l’une des plus importantes au Québec», il suffit d’être «à l’écoute» de ses clients (la Presse, 25 octobre 2012, dossier publicitaire «Santé dentaire»).

Voilà une doctrine facile à respecter, non ?

26 octobre

Scène de la vie radiophonique

«“S’emmieuter” a dit RHR à #CBMLM “Voyons, je dis même plus ça, moi” MlleCadette» (@PimpetteDunoyer).

N’oublions pas cependant qu’il existe un cas où s’emmieuter est acceptable : quand il est utilisé avec rempirer. Exemple : Les choses vont rempirer avant de s’emmieuter.

Citation administrative du jour

«La poursuite des travaux vers l’implantation du volet […] contribuera à consolider les bénéfices de plusieurs avantages opérationnels et environnementaux.»

«Contribuer» à «consolider» les «bénéfices» des «avantages» : ajouter quelque chose à cela serait redondant, non ?

Langue péripatéticienne

Débat, sur remileroux.net, au sujet de la façon de traiter le féminin dans le Petit Robert junior. S’agit-il de stigmatisation, comme le dit l’auteur de l’article ? Ou d’un des effets pervers de la nomenclature retenue, selon quelques-uns des commentateurs ? Allez-y voir.

Ce débat a rappelé à l’Oreille tendue un tableau fort pratique, que lui a fait découvrir un jour sa collègue @AndreaOberhuber.

Un gars : c’est un jeune homme.
Une garce : c’est une pute.

Un courtisan : c’est un proche du roi.
Une courtisane : c’est une pute.

Un masseur : c’est un kiné.
Une masseuse : c’est une pute.

Un coureur : c’est un sportif.
Une coureuse : c’est une pute.

Un rouleur : c’est un cycliste.
Une roulure : c’est une pute.

Un professionnel : c’est un sportif de haut niveau.
Une professionnelle : c’est une pute.

Un homme sans moralité : c’est un politicien.
Une femme sans moralité : c’est une pute.

Un entraîneur : c’est un homme qui entraîne une équipe sportive.
Une entraîneuse : c’est une pute.

Un homme à femmes : c’est un séducteur.
Une femme à hommes : c’est une pute.

Un homme public : c’est un homme connu.
Une femme publique : c’est une pute.

Un homme facile : c’est un homme agréable à vivre.
Une femme facile : c’est une pute.

Un homme qui fait le trottoir : c’est un paveur.
Une femme qui fait le trottoir : c’est une pute.

La langue n’est pas neutre. On le savait, mais il n’est pas mauvais de le répéter.

P.-S. — L’Oreille est bibliographe. Elle se sent donc fort mal de ne pas pouvoir attribuer précisément ce texte à son auteur.

 

[Complément du jour]

Il suffisait de demander : une fidèle lectrice de l’Oreille tendue attire son attention sur la chanson «C’est une pute» du «rappeur fictif» Fatal Bazooka sur son album T’as vu (2007). On peut l’entendre ici. Ses paroles ne correspondent pas exactement au texte qu’on peut lire ci-dessus, mais l’esprit, lui, est précisément le même.

 

[Complément du 8 février 2015]

On peut donc comprendre cette personne d’avoir choisir entraîneure plutôt qu’entraîneuse.

Entraîneure ou entraîneuse ?

 

 

[Complément du 5 mars 2016]

Sur la question de la féminisation des titres de fonction, l’Oreille tendue recommande un billet de la chronique de Michel Francard, «Vous avez de ces mots…», paru le 4 mars 2016 dans le Soir (Belgique).

 

[Complément du 25 août 2016]

Sonia Rykiel vient de mourir. Interrogation de Nicolas Ancion sur Twitter : «Pourquoi est-ce que “couturière” évoque une petite main, là où “couturier” fait haute couture ?»

Métapoutine d’or

Pour paraphraser Alexandre Vialatte — qui, lui, parlait de la femme —, on pourrait dire du sophisme qu’il «remonte à la plus haute Antiquité». Il doit bien être aussi vieux que la parole.

Il connaît cependant depuis quelque temps une belle carrière québécoise. Tout un chacun parle aujourd’hui de lui.

Une raison de cette omniprésence est peut-être à chercher du côté des interventions radiophoniques du philosophe Normand Baillargeon. Au micro de l’émission Dessine-moi un dimanche, animée par Franco Nuovo sur les ondes de Radio-Canada, Baillargeon, de semaine en semaine, s’est mis à la chasse au sophisme dans l’actualité québécoise. Les autres collaborateurs de l’émission lui ont emboîté le pas, puis les auditeurs, qui se sont mis à lui envoyer leurs suggestions. Le meilleur sophisme présenté à l’émission valait à son auteur «La poutine d’or».

«La poutine d’or» de Radio-Canada
Stéphane Leclair remettant «La poutine d’or» à Normand Baillargeon le 8 juillet 2012.

(L’Oreille tendue a souvent fréquenté le studio de Dessine-moi un dimanche. En deux tentatives, elle a remporté une «poutine d’or». Malheureusement, aucune photo ne l’atteste.)

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

Essayant de décrire l’argumentation de l’omnicommentateur Richard Martineau, le site mauvaiseherbe.ca crée le «multisophisme» et le «métasophisme». À quand, dès lors, «La métapoutine d’or» ?

 

[Double complément du 2 décembre 2012]

Vous n’aimez pas «omnicommentateur» ? Essayez «toutologue». Le mot est de Guillaume Lamy dans C’est faux ! 50 idées déconstruites par des spécialistes (Québec, Septentrion, 2012; cité dans le Devoir, 1er-2 décembre 2012, p. F7).

«Traiter son adversaire de sophiste, c’est un peu le point #Godwin en philosophie» (@cyborgphilosoph, via @fbouchard).

Tous à vos -ing !

On connaissait le cocooning; c’est banal. (@bibliomontreal préfère coucounage.)

Puis il y eut l’outdooring; ça s’est répandu.

Aujourd’hui, découvrons, grâce au Journal de Montréal, relayé par @oniquet, le couponing.

De quoi s’agit-il ? D’utiliser, en consommateur avisé, avec patience et détermination, les coupons qui donnent droit à des aubaines.

Ce n’est pas tout.

Ce plaisir n’est plus solitaire. Le 20 octobre 2012 s’est tenu, dans l’arrondissement Outremont, à Montréal, un Salon du coupon.

On n’arrête pas le progrès.