Vigne urbaine ?

Titre sibyllin dans la Presse d’hier, dans des pages consacrées à l’aéronautique : «La grappe montréalaise se mobilise» (cahier Affaires, p. 11).

Qu’est-ce que cette «grappe montréalaise» ? Il ne paraît pas s’agir de celle du Petit Robert, «Assemblage de fleurs ou de fruits portés par des pédoncules étagés sur un axe commun» — la vigne pousse peu sur les flancs du mont Royal — ou «Assemblage serré de petits objets (grains, etc.), ou de personnes» — un «assemblage serré» de «petits objets» ne peut pas «se mobiliser». (De la même façon, il ne pourrait pas se vouloir.)

S’agirait-il alors de cet «Assemblage serré […] de personnes» évoqué par le Petit Robert ? Pas tout à fait.

Cette «grappe» a une dimension proprement québécoise. Dans le cas qui nous intéresse, il est question d’AéroMontréal, «la grappe aérospatiale du Montréal métropolitain». Celle-ci «regroupe les avionneurs et grands donneurs d’ordre, leurs sous-traitants, les institutions de formation et de recherche, les milieux syndical et associatif ainsi que les partenaires gouvernementaux».

On ne manquera de sentir ici l’influence de Gérald Tremblay, l’actuel maire de Montréal. Du temps qu’il était ministre de l’Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie du gouvernement du Québec (1989-1994), «c’est lui qui a conçu et mis de l’avant la stratégie de développement économique du Québec basée sur le concept des grappes industrielles» (Portail officiel de la ville de Montréal).

En revanche, on ne confondra pas cette grappe avec celle chantée par Renaud dans «Dès que le vent soufflera» : «Je f’rai le tour du monde / Pour voir à chaque étape / Si tous les gars du monde / Veulent bien m’lâcher la grappe» (morgane de toi…, 1982).

Méchante distinction

Grâce à @Hortensia68, l’Oreille tendue découvre un texte de deux linguistes français en vue de la «Construction d’un lexique affectif pour le français à partir de Twitter». Il s’agit d’une proposition de communication pour le congrès Traitement automatique des langues qui vient de se tenir à Montréal.

On y lit la phrase suivante : «Les auteurs ont commencé par deux types d’adjectifs germes : positifs (comme “bonne”, “agréable”, “excellent”, etc.) et négatifs (“mauvais”, “méchant”, etc.).» Au Québec, il faudrait nuancer : «méchant» n’est pas toujours négatif. En fait, c’est un intensif fort prisé dans la Belle Province.

Les publicitaires s’en servent :

«Les Méchants Mardis sont de retour et Stéphane Pelletier tentera sa chance au concours du Méchant Million» (2003).

«Méchante offre de Fido» (la Presse, 24 septembre 2008, p. A10).

Les écrivains aussi :

Nicolas Charette : «Je sais pas, c’est un hasard ! Un méchant hasard !» (p. 10)

François Lepage : «Je commençai à craindre qu’il se mette à boire à même la bouteille, ce qui aurait déclenché un méchant scandale» (p. 82).

Diane Vincent : «Méchants maniaques !» (p. 113)

Les chanteurs ne sont pas en reste, Shaka (2001) en tête :

Méchants pétards, méchants pétards, méchants pétards
Méchants pétards, méchants pétards, méchants pétards

On ne confondra donc surtout pas le «méchant» affectif, négatif et assez banal, et le «méchant» intensif, plus neutre, mais ô combien populaire, et d’usage varié.

 

Références

Charette, Nicolas, Jour de chance. Nouvelles, Montréal, Boréal, 2009, 225 p.

Lepage, François, le Dilemme du prisonnier, Montréal, Boréal, 2008, 151 p.

Shaka, «Méchants pétards», disque audionumérique, étiquette Guy Cloutier Communications, PGC-CD-132 DJ, 2001, 3 minutes 1 seconde.

Vincent, Diane, Peaux de chagrins, Montréal, Triptyque, coll. «L’épaulard», 2009, 236 p.

Deux regrets

Être à la fois de l’islam et du Québec ? L’Oreille tendue aurait aimé inventer l’expression Québécois de souk, cette variété particulière du Québécois de souche. Cela a déjà été fait, notamment ici.

Pour tracer la généalogie imaginaire de ce Québécois de souk, il faudrait probablement remonter à l’arab’n’roll du Clan Murphy. Ce groupe québécois des années 1970 — une des pièces de leur album le Cœur et la raison (Polydor, 1976) s’appelait «Allah-Allah» —, est aujourd’hui bien oublié.

Le Clan Murphy, Le cœur et la raison, 1976, pochette

 

[Complément du 17 avril 2016]

Ajoutons à cette brève lignée les paroles suivantes, tirées de la chanson «Oasis 33» du groupe CQFD :

Ça m’a rappelé ma mère, sa logique binaire
«Range ton souk, sinon pas de désert»

 

[Complément du 6 août 2018]

Découverte du jour, via France Culture : le «Maroc’n’roll».

 

[Complément du 25 mai 2022]

Une autrice québécoise, hier, sur Twitter : «Abdelmoumen la Québécoise de souk va aller se coucher.»

Des pitons

Ils sont nombreux au Québec.

Les quincailliers et les géologues ont les leurs, comme il se doit, les mêmes qu’ailleurs dans la francophonie.

Ils désignent aussi des boutons, comme dans peser sur le piton — du téléphone, de la télécommande, de la machine distributrice, de la manette. Au figuré, on trouve être vite sur le piton (être alerte, éveillé; dégainer rapidement).

En un sens différent, (se) remettre sur le piton signifie retrouver la forme. Exemple journalistique : «La saison 2008-2009 n’a jamais décollé en raison d’une fracture à un péroné de [la patineuse Annabelle] Langlois durant un entraînement estival. Deux opérations ont été nécessaires pour la remettre sur le piton» (le Droit, 15 janvier 2010, p. 44). Exemple musical, style néotrad (peut-être) : «Une pilule, une p’tite granule, une crème, une pommade / Y a rien de mieux mon vieux si tu te sens malade / Une pilule, une p’tite granule, eine infusion, eine injection / Y a rien de mieux fiston pour te remettre su’l’piton» (Mes Aïeux, «Remède miracle», Ça parle au diable, 2000).

L’origine de (se) remettre sur le piton est un mystère, évidemment insondable.

Oxymores citadins, la suite

Dans le même ordre d’idées que le billet d’hier, ceci, du site de l’Office francoquébécois pour la jeunesse (mais c’est aussi placardé en ville) :

Le Festival Montréal Electronic Groove (MEG), présente sa 12ème édition du 29 juillet au 1er août 2010. Il s’impose depuis plus de 10 ans comme un espace d’expression incontournable pour les talents de la scène musicale électronique, confirmant ainsi sa vocation de défricheur de musiques urbaines et faire de Montréal une plaque tournante des découvertes musicales les plus en vogue.

Défricher en ville : voilà un défi. Déchiffrer ce message : en voici un autre. (Une virgule en trop; 12ème pour 12e; une grosse faute de syntaxe.)