Pascal et le P. Noël

L’Oreille tendue a eu l’occasion de montrer que le fait de mettre une majuscule là où il faut une minuscule, ou l’inverse, risque de troubler les lecteurs.

Exemple récent, découvert sur Gallica.

On y trouve les Pensées, fragments et lettres de Blaise Pascal, publiés pour la première fois conformément aux manuscrits originaux en grande partie inédits, par M. Prosper Faugère (Paris, Andrieux, 1844, 2 vol.). En appendice, le «Catalogue des ouvrages de M. Pascal, tant imprimés que manuscrits, dont j’ai (le P. Guerrier) connaissance» contient une «Lettre de M. Pascal au R. P. Noël, jésuite, touchant le vide» (XXII). Celle-ci est suivie d’une «Lettre de M. Pascal à M. Lepailleur, au sujet de sa dispute avec le père Noël» (XXIII).

Une majuscule à «Père Noël» aurait fait désordre.

P.-S. — Le moment est venu : une catégorie «Typographie» existe désormais, là, en bas, à droite.

 

[Complément du 19 décembre 2012]

«Arrive un âge où les enfants, vaguement dubitatifs quant à l’existence du Père Noël, semblent se raccrocher au pari de Pascal», écrit Éric Chevillard dans le blogue l’Autofictif le 17 décembre 2012. (Merci à @david_turgeon.)

Deuxième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Antimétabole

Définition

«Deux phrases font pour ainsi dire entre elles l’échange des mots qui les composent, de manière que chacun se trouve à son tour à la même place et dans le même rapport où était l’autre» (Gradus, éd. de 1980, p. 53).

Exemples littéraires

«Le bonheur de votre vie est entre mes mains; le bonheur de la mienne entre les vôtres. C’est un dépôt réciproque confié à d’honnêtes gens» (lettre de Diderot à Sophie Volland, 7 octobre 1760).

«Car ce qu’il fera pour son ami, il l’eût fait pour sa maîtresse; et je ne crois pas qu’il eût fait pour sa maîtresse, ce qu’il n’aura point eu la force de faire pour son ami» (lettre de Diderot à Sophie Volland, 27 juillet 1762).

«Je ne sçais si vous êtes content de la manière dont je vous aime; mais il est sûr que, d’une lettre écrite à ma maîtresse, en changeant très peu de chose, j’en ferois une lettre pour vous, et que d’une lettre pour vous, en y changeant très peu, j’en ferois une à ma maîtresse» (lettre de Diderot à Damilaville, octobre 1760).

Exemple visuel (saisi à New York, sur la porte des latrines de Central Park).

Toilettes publiques, New York, 2021

P.-S. — La première entrée de ce dictionnaire personnel se trouve ici.

 

Références

Diderot, Denis, Correspondance, Paris, Éditions de Minuit, 1955-1970, 16 vol. Éditée par Georges Roth, puis Jean Varloot.

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Autopromotion 006

Benoît Melançon, Bangkok, 2009, couverture

L’Oreille tendue ne fait pas que tenir blogue; il lui arrive aussi de publier des livres. C’est dans le menu de droite, sous «Lire en numérique» et sous «Lire sur papier».

En matière de numérique, il y a du nouveau.

Bangkok. Notes de voyage a été publié, sur papier, par Del Busso éditeur en 2009, puis repris, en numérique, par Del Busso éditeur et Numerik:)ivres en 2011. Il s’agit d’un de ces livres dont on dit parfois que la version numérique est «homothétique» (voir, sur ce mot et ce qu’il cache, le commentaire de François Bon ici).

Ces jours-ci, un projet d’une autre nature : une réédition numérique augmentée de Sevigne@Internet. Remarques sur le courrier électronique et la lettre. D’abord paru, sur papier, en 1996 dans la collection des «Grandes conférences» des Éditions Fides, le texte ressort chez Del Busso éditeur et Numerik:)ivres, accompagné d’une postface inédite, «Quinze ans plus tard». Sa particularité ? Pas de papier : que du numérique. Le pas est franchi.

 

[Complément du 17 septembre 2011]

On peut entendre un passage de la postface inédite, lu par l’auteur, en cliquant sur le bouton ci-dessous.

Sound Icon / Icône du son

L’Oreille tendue : sa vie, son œuvre

Sous ce (modeste) titre, l’Oreille tendue ira tout à l’heure causer blogue devant les étudiants de Mauricio Segura à l’Université de Montréal, dans le cadre de son cours FRA 2710 Exploration des genres (description, en Word, ici).

(Ces étudiants ont d’ailleurs leurs propres blogues — .)

Il sera question de cette ligne du temps, (modestement) inspirée des manuels d’histoire littéraire de Castex et Surer.

Histoire de l’Oreille tendue, à la manière de Castex et Surer

Il sera itou question de quelques blogues / sites amis :

les Notules dominicales de culture domestique (et de villégiature exotique) de Philippe Didion;

C’était bien mieux dans le temps de Jean Dion;

l’Employée aux écritures de Martine Sonnet;

le Tiers livre de François Bon.

(Et de Dooce.com.)

Il sera enfin question de quelques lectures / écoutes / écritures.

Alang, Navneet, «Why The Future of Blogging Starts Now», site Techni, 2 février 2011. http://www.techi.com/2011/02/why-the-future-of-blogging-starts-now/

Allard, Caroline, les Chroniques d’une mère indigne. Une vie sale parsemée de couches bien remplies. À moins que ce ne soit l’inverse, Sillery (Québec), Septentrion, coll. «Hamac-carnets», 2007, 245 p. Ill.

Belkin, Lisa, «Queen of the Mommy Bloggers», The New York Times, 23 février 2011. http://www.nytimes.com/2011/02/27/magazine/27armstrong-t.html?_r=3&pagewanted=all

«Blogs extimes», dans Sur les docks, émission de Stéphane Bonnefoi, France Culture, 18 février 2011. http://www.franceculture.com/emission-sur-les-docks.html-0

Castex, Pierre-Georges et Paul Surer, Manuel des études littéraires françaises V. XIXe siècle, Paris, Hachette, 1950, viii/312 p. Ill.

Berners-Lee, Tim, with Mark Fischetti, Weaving the Web. The Original Design and Ultimate Destiny of the World Wide Web by its Inventor, New York, HarperCollins, coll. «HarperBusiness», 2000, ix/246 p. Ill. Édition originale : 1999.

Clément, Jean, «Hypertexte et fiction : une affaire de liens», dans Jean-Michel Salaün et Christian Vandendorpe (édit.), les Défis de la publication sur le Web : hyperlectures, cybertextes et méta-éditions, Lyon, Presses de l’ENSSIB (École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques), coll. «Référence», 2004, p. 69-86 et 281-282.

Dacos, Marin et Pierre Mounier, l’Édition électronique, Paris, La Découverte, coll. «Repères», 549, 2010, 126 p.

Gervais, Bertrand, «Richard Powers et les technologies de la représentation. Des vices littéraires et de quelques frontières», Alliage. Culture, science, technique, 57-58, 2006, p. 226-237. http://www.archipel.uqam.ca/571/

Gladwell, Malcolm, The Tipping Point. How Little Things Can Make a Big Difference, Boston, New York et Londres, Little, Brown and Company, 2000, 279 p.

Melançon, Benoît, Sevigne@Internet. Remarques sur le courrier électronique et la lettre, Montréal, Fides, coll. «Les grandes conférences», 1996, 57 p. Réimpression numérique : Sevigne@Internet. Remarques sur le courrier électronique et la lettre, Paris, Éditions 00h00.com, 1999, 54 p. Réédition augmentée à paraître en 2011 chez Del Dusso éditeur en format numérique. http://www.mapageweb.umontreal.ca/melancon/sevigne.html

Melançon, Benoît, «Épistol@rités, d’aujourd’hui à hier», Lumen. Travaux choisis de la Société canadienne d’étude du dix-huitième siècle. Selected Proceedings from the Canadian Society for Eighteenth-Century Studies, texte à paraître en 2010, 40 p. https://doi.org/10.7202/1012023ar

Ricard, François, «Jean-Paul Petit, écrivain québécois. Extrait de Sexcat et Serur, volume VIIII (recueilli par François Ricard)», Liberté, 134 (23, 2), mars-avril 1981, p. 62-65. https://id.erudit.org/iderudit/60254ac

Vignola, Éric, «Du blogue au livre. Réflexions sur la nature générique du blogue», Montréal, Université de Montréal, mémoire de maîtrise, juillet 2009, x/114 p. https://doi.org/1866/3754

Allons-y.

Traduire Shakespeare au XVIIIe siècle

Portrait de Shakespeare attribué à John Taylor

À compter de ce soir, le Théâtre du Nouveau Monde présente à Montréal sa production de Hamlet. L’occasion est belle de se rappeler combien il a été difficile, au XVIIIe siècle, de traduire la pièce en français.

L’original (~1601)

To be, or not to be—that is the question :
Whether ‘tis nobler in the mind to suffer
The slings and arrows of outrageous fortune
Or to take arms against a sea of troubles,
And by opposing end them
(éd. de 1980, p. 57).

Chez le Voltaire des Lettres philosophiques (1734)

Demeure; il faut choisir, et passer à l’instant
De la vie à la mort, ou de l’être au néant
(lettre XVIII, éd. de 1964, p. 122).

Pour Pierre-Antoine de La Place (1745)

Être, ou n’être plus ? arrête, il faut choisir !… Est-il plus digne d’une grande âme, de supporter l’inconstance, & les outrages de la fortune, que de se révolter contre les coups ?… Mourir… Dormir… Voilà tout (vol. II, p. 333).

Selon Jean-François Ducis (1769)

Je ne sais que résoudre… immobile et troublé…
C’est rester trop longtemps de mon doute accablé;
C’est trop souffrir la vie et le poids qui me tue.
Hé ! qu’offre donc la mort à mon âme abattue ?
(cité par Michel Delon et Pierre Malandain, p. 422).

Enfin, Pierre Le Tourneur (1776-1783)

Être ou ne pas être ! c’est là la question….. S’il est plus noble à l’âme de souffrir les traits poignants de l’injuste fortune, ou, se révoltant contre cette multitude de maux, de s’opposer au torrent, et les finir ? (éd. de 1881, p. 154-155)

Tant d’années pour arriver à se sortir du carcan classique.

 

Illustration : Portrait de William Shakespeare, dit «Portrait de Chandos», attribué à John Taylor, photo déposée sur Wikimedia Commons

 

Références

Delon, Michel et Pierre Malandain, Littérature française du XVIIIe siècle, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Premier cycle», 1996, x/521 p.

Shakespeare, William, le Théâtre anglois, Paris [Londres], 1745-1746, 4 vol. in-12. Vol. II : Richard III. Hamlet. Macbeth, 1745.

Shakespeare, William, Œuvres choisies de Shakespeare traduites par M. Le Tourneur et augmentées d’une préface par M. Dupontacq, prof. Jules César, Hamlet et Macbeth, Paris, Berche et Tralin, éditeurs, coll. «Bibliothèque des chefs-d’œuvre», 1881, 304 p.

Shakespeare, William, Shakespeare. Seven Plays. The Songs. The Sonnets. Selections from the Other Plays, Penguin Books, coll. «The Viking Portable Library», 1980, viii/792 p.

Voltaire, Lettres philosophiques, Paris, GF-Flammarion, coll. «GF», 15, 1964, 188 p. Chronologie et préface par René Pomeau. Édition originale : 1734.