Extension du domaine de la bibliothéconomie

Bibliothèque, Montréal, 2011

L’Oreille tendue est père de deux machines à manger. Elle est donc familière, dans leur incarnation industrielle, avec les ramen, cette branche très basse de la famille des nouilles, en sachet et en poudre. Elle ne savait cependant pas, jusqu’à tout récemment, qu’on pouvait les ranger, voire les classer dans une «raménothèque». C’est Nicolas Dickner qui le dit dans Tarmac (2009, p. 264). Croyons-le.

 

[Complément du jour]

Sur Twitter, à la suite de la parution de ce texte, Nicolas Dickner (@nicolasdickner) écrit qu’il «rêve d’une taxothèque, qui serait le répertoire de toutes les *thèques». À sa raménothèque, le Petit Robert (édition numérique de 2010) permet déjà d’ajouter ceci : artothèque, bibliothèque, cartothèque, cassettothèque, cinémathèque, diathèque, discothèque, filmothèque, génothèque, glyptothèque, iconothèque, infothèque, logithèque, ludothèque, médiathèque, phonothèque, photothèque, pinacothèque, pochothèque, programmathèque, sonothèque, téléthèque, vidéothèque. Ce n’est qu’un début.

 

[Complément du 12 avril 2012]

Nicolas Dickner a de la suite dans les idées. Dans une chronique parue dans Voir le 6 janvier 2010, il parle des «collectionneurs fous qui possèdent des catalogothèques exhaustives». De quoi ? Des catalogues IKEA. Ce sont des «ikéathécaires» (éd. de 2011, p. 126).

 

[Complément du 20 mai 2015]

Sur Twitter, l’Oreille vient de repérer deux -thèques qu’elle ne connaissait pas : la gypsothèque et la grainothèque.

 

[Complément du 5 janvier 2016]

Récolte du jour : une mangathèque et une chimiothèque.

 

[Complément du 24 janvier 2016]

Récolte du jour…

Via Marc Cassivi : «En attendant le jour propice où, plus grands, apercevant Fargo, Paris, Texas ou une autre pépite d’or dans la DVDthèque, ils se retourneront pour me demander : “C’est quoi, ça ?”» (la Presse+, 24 janvier 2016)

Via @bibliomancienne :

Bièrothèque, via Marie D. Martel

 

[Complément du 15 février 2016]

Les -thèques ne connaissent parfois pas de limites. Serait-ce le cas de l’Everitouthèque ? Every et Tout, ça fait beaucoup. (Merci à @ljodoin pour le tuyau.)

 

[Complément du 30 mars 2016]

Merci à l’Office québécois de la langue française de nous faire découvrir la défauthèque : «Document ou fichier qui recense différents types de défauts d’un produit, permettant de juger de son acceptabilité pour une clientèle.»

 

[Complément du 2 avril 2016]

Une bédéthèque, dans le Devoir du jour : «Comment diable André Franquin, si las, parvient-il à faire de ce QRN le chef-d’oeuvre que l’on sait ? On a tout intérêt à relire l’album, non pas le vieux tome écorné de votre bédéthèque perso, mais bien la toute récente et fascinante édition… commentée» (2-3 avril 2016, p. E6).

 

[Complément du 6 juillet 2016]

Xylothèque ? Évidemment : «Endroit où est conservée une collection d’échantillons de bois, notamment dans le but d’étudier l’anatomie et la physiologie de différents arbres», dixit l’Office québécois de la langue française.

 

[Complément du 19 septembre 2016]

Marc Langevin, le personnage principal du roman Vox populi (2016) de Patrick Nicol, gère une matériathèque :

La matériathèque est une pièce d’environ cinq mètres par cinq. Deux de ses murs sont couverts d’étagères et d’armoires verrouillables où sont rangés différents types de papier pour différents types d’impression, des outils ou de petits appareils — caméras, perceuses, enregistreuses numériques — et des ouvrages de référence. Plusieurs chariots roulants supportent une bonne quantité de dictionnaires destinés à être empruntés par les élèves. Un poste informatique est aménagé sur le mur du fond et, à l’opposé, se trouve le guichet par où Marc dispense ses services et qu’il devrait ouvrir, maintenant, puisqu’il est l’heure (p. 14-15).

 

[Complément du 20 septembre 2016]

Grâce à @mhvoyer, l’Oreille découvre «les Boulathèques, hauts-lieux du billard implantés à Lévis, Rimouski et Baie-Comeau». (Merci.)

 

[Complément du 11 octobre 2016]

Si l’on croit ce tweet, il existerait dorénavant des tissuthèques.

 

[Complément du 10 février 2017]

Que forment des bibliothécaires engagés dans la résistance politique et armés d’une collection de ressources ? Une résisthèque, dixit @bibliomancienne.

 

[Complément du 20 février 2017]

Une fabricathèque ? Par .

 

[Complément du 17 octobre 2017]

Pour le patrimoine, il y a la patrimathèque.

Pour les didacticiels, il y a la didacthèque.

 

[Complément du 18 février 2018]

Jean Cabut, alias Cabu, fait partie des collaborateurs de Charlie hebdo assassinés en janvier 2015. Sa ville natale, Châlons-en-Champagne, vient de décider de rebaptiser son espace Cabu en Duduchothèque, en souvenir du personnage du Grand Duduche. On peut légitimement penser que ce sera un cas unique. (Source : Livres hebdo, 16 février 2018.)

 

[Complément du 29 août 2019]

Lancer un service de don et d’échange de vêtements ? La médiathèque Persépolis (Saint-Ouen) aura sa fringothèque. On ne la confondra pas avec la Fringuothèque.

 

[Complément du 25 novembre 2019]

Via @bibliomancienne : «Dans le livre “Le pouvoir des imaginaires” (édition Arkhé, 2018), on réfère aux “bricothèques” (p. 23) pour décrire ces premières initiatives de mutualisation d’outils.»

Via @PCHAMOISEAU : «Identifier dans sa bibliothèque ce qui pour soi est bouleversant, essentiel ou déterminant : une sentimenthèque.»

 

[Complément du 11 août 2021]

Pour emprunter des objets, il y a, évidemment, l’objethèque (dixit Twitter).

 

[Complément du 20 juin 2022]

À Madrid, on range les chats à la gatoteca. (Merci à Luc Jodoin.)

 

[Complément du 24 décembre 2023]

C’est la veille de Noël : pensez aux joujouthèques.

 

Références

Dickner, Nicolas, Tarmac, Québec, Alto, 2009, 271 p. Ill.

Dickner, Nicolas, «Marshall McLuhan chez IKEA», Voir, 6 janvier 2010, repris dans le Romancier portatif. 52 chroniques à emporter, Québec, Alto, 2011, p. 125-128.

Nicol, Patrick, Vox populi. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 98, 2016, 89 p.

Chronique gastronomique estivale

La Presse de samedi leur consacrait un reportage sur deux pages (2 juillet 2011, cahier Affaires, p. 2-3).

Ils s’appellent Chez Ben on s’bourre la bédaine (Granby), Henri la patate (Joliette) ou Chez Roger (Farnham). Quiconque voudrait y consacrer plus de temps qu’elle ne le souhaite elle-même pourrait trouver dans les branches basses de l’arbre généalogique de l’Oreille tendue un parent éloigné surnommé Mononc’ la patate.

Il s’agit d’une forme de restauration populaire au Québec (il y aurait des milliers de pareils restaurants, mais personne n’a jamais fait leur décompte). Ses caractéristiques ? Ces établissements — cantines, casse-croûte ou roulottes à patates — sont ouverts surtout l’été, ils sont situés hors des grands centres, le plus près possible (littéralement) d’un axe routier, ils ont souvent une dimension artisanale, leur budget de décoration est inexistant. Leur menu est résolument non santé : frites — graisseuses, dans le meilleur des cas —, poutines, hamburgers et hot-dogs, pogos, guedilles (ou guédilles). Les plus élaborés jouxtent un bar laitier — également nommée crèmerie —, histoire de rafraîchir (crème glacée oblige, molle ou dure) leur clientèle. C’est une forme de restauration rapide; elle n’a pourtant rien à voir avec les grandes chaînes, de McDonald à Quick, leurs menus standardisés et leur propreté calibrée. Les Américains parlent de «greasy spoon», mais cela ne rend pas la dimension saisonnière de ce type de cuisine de route (comme on dit cuisine de rue).

Pour appâter ses lecteurs, la Presse parle d’«incontournables de la gastronomie québécoise» (p. 1). C’est probablement vrai, encore que ce genre de péché, évidemment véniel, gagne à rester secret.

 

Référence

Théoret, Charles-Alexandre, Maudite poutine ! L’histoire approximative d’un plat populaire, Montréal, Héliotrope, 2007, 160 p. Photos de Patrice Lamoureux.

Chez Verne

Jules Verne, les Enfants du capitaine Grant, couverture

Petite, l’Oreille tendue a lu du Jules Verne. Il y a plus ou moins un lustre, elle a lu à son fils ainé le Tour du monde en 80 jours. Ces jours-ci, elle a découvert les Enfants du capitaine Grant.

On y va de surprises en rebondissements : parler des effets heureux du hasard serait un euphémisme, particulièrement à la fin. Verne n’a pas peur de faire surfer ses personnages sur un tremblement de terre ni de les montrer en train de faire entrer un volcan en éruption. Le racisme du narrateur — il en a surtout contre les Maoris — ne fait aucun doute, dans le même temps que l’imagologie le porte régulièrement, lui qui aime fort contraster les Écossais, les Anglais et les Français («Dans un Français il y a toujours un cuisinier»). Nombre de passages fleurent bon l’encyclopédisme didactique. Le début d’un chapitre comme «Le fleuve national» est une petite merveille de jeu sur le point de vue narratif.

En matière de langue, on est frappé par plusieurs choses.

La joie du lexique exotique («Il fallut passer des “canadas”, sortes de bas-fonds inondés») et du mot rare anime le narrateur et certains personnages, au premier rang desquels Jacques-Éliacin-François-Marie Paganel, «secrétaire de la Société de géographie de Paris, membre correspondant des sociétés de Berlin, de Bombay, de Darmstadt, de Leipzig, de Londres, de Pétersbourg, de Vienne, de New-York, membre honoraire de l’Institut royal géographique et ethnographique des Indes orientales», le type même du savant distrait. On ne peut noter tous ces mots rares : «extumescence», «axiome géométrographique», «émersion», «monticules ignivomes», «belluaires», «végétation silurienne», etc. L’Oreille tendue se réjouit de pareille phrase : «Cook visita deux villages défendus par des palissades, des parapets et de doubles fossés, qui annonçaient de sérieuses connaissances en castramétation.» Elle est quand même un brin étonnée de voir apparaître une «personne tabouée» (protégée par un tabou).

Qui s’amuserait à dresser un relevé systématique des noms propres pourrait vérifier l’impression qu’on a à la lecture que l’onomastique en miroir est fréquente dans le roman : «Mere-Mere», «Kidi-Kidi», «Kawa-Kawa», «Kirikiriroa», «Tetarata», «Hipapatua», «Hihi» et «Hihy». De la même façon (répétitive), une hache néo-zélandaise est un «patou-patou» et le «kakariki», une espèce de cacatoès.

Il est aussi certaines phrases qu’on ne peut manquer de relever. Est-il difficile de «se procurer un rayon de soleil» ? (Non.) Est-il commun qu’un ciel «s’encrasse» ? (C’est à voir.) Quand on est interrogé par Paganel, comment se tenir ? «Tolinié, qui était debout, ne pouvait se lever davantage.» Pourquoi «les naturels» de Nouvelle-Zélande sont-ils anthropophages ? «Tant que les Maoris ne seront pas membres de la société des légumistes, ils mangeront de la viande, et, pour viande, de la chair humaine.» De plus, il semble qu’ils n’hésitent pas à manger leurs semblables encore vivants : «Vers la partie orientale du détroit de Foveaux, cinq pêcheurs du Sydneg-Cove trouvèrent également la mort sous la dent des naturels.»

Il y a à boire et à manger chez Verne.

 

Référence

Verne, Jules, les Enfants du capitaine Grant, édition numérique, Project Gutenberg, 2004. Édition originale : 1868.

Mon royaume pour un a

Affiche fautive de restaurant, New York, 2011

Retour de New York, l’Oreille tendue se souvient qu’elle y a entendu pas mal de français (et de Français), notamment dans le domaine de l’alimentation : Au Bon Pain, Le Pain Quotidien, Pret A Manger. Les Américains en auraient-ils fini avec la transformation des French Fries en Freedom Fries ? Cela semble être le cas.

On pourrait cependant espérer que ce retour en grâce ne se fasse pas au détriment de l’orthographe.

Réponses de la Saint-Jean

Que célèbre-t-on en ce 24 juin, fête de la Saint-Jean-Baptiste et fête nationale, dans la Belle Province ? Ce qui est d’ici : la «Beauté d’ici» (la Presse, 22 juin 2001, cahier Arts et spectacles, p. 8), la «science d’ici» (publicité de Télé-Québec, la Presse, 4 janvier 2011, p. A2), le «fromage suisse d’ici» (publicité, novembre 2006) — bref, les «gens d’ici» («C’est dans les chansons», chanson de Jean Lapointe).

Est-il difficile de décrire, à la télévision, un match de basket en espagnol ? Si, affirme le Wall Street Journal du 8 juin, exemples à l’appui. (Merci à l’antenne québéco-angeleno de l’Oreille tendue.)

Existe-t-il un «lexique bio» ? Oui, comme le démontre Éric Chevillard sur l’Autofictif en date du 23 juin, s’agissant de galettes «à la farine de blé de meule».

Quelqu’un a-t-il pensé à établir un «Lexique des idées reçues littéraires» dans la France d’aujourd’hui ? Oui, et ça fait mouche : l’Empire des signes, le 22 juin.

Faut-il soigner sa typographie en distinguant bien les minuscules des majuscules ? Oui, sinon on risque de confondre, comme dans les Corpuscules de Krause de Sandra Gordon (2010), un «club optimiste des Basses-Laurentides» (p. 170) et un «club Optimiste des Basses-Laurentides», par exemple celui de Saint-Antoine.

Le Web offre-t-il des outils utiles pour la rédaction de discours politiques ? Oui, notamment le Générateur de langue de bois, conçu pour la présidentielle française de 2007, mais toujours d’actualité pour celle de l’année prochaine.

Quelqu’un a-t-il essayé, d’un point de vue sociolinguistique, de décrire «la norme grammaticale du français parlé» des élites du Québec ? Oui, Davy Bigot, dans le premier numéro d’une nouvelle revue numérique, Arborescences : revue d’études françaises. Sa conclusion ? «[Les] membres des élites sociale et culturelle du Québec emploient de façon homogène [en situation de communication formelle] un modèle grammatical oral très proche de celui présenté dans Le bon usage (donc de l’écrit).» Cette conclusion rejoint celle de Marie-Éva de Villers, qui s’intéressait dans son livre de 2005 au lexique québécois; on s’étonne d’autant de ne pas voir ce livre dans la bibliographie de l’article de Bigot. (En matière de français québécois, on préférera cet article à celui de Denyse Delcourt paru en 2006, qui est moins bien informé.)

 

Références

Bigot, Davy, «De la norme grammaticale du français parlé au Québec», article numérique, Arborescences : revue d’études françaises, 1, 2011. https://doi.org/10.7202/1001939ar

Delcourt, Denyse, «“Parler mal” au Québec», article numérique, Mondesfrancophones.com. Revue mondiale des francophonies, 4 avril 2006. http://mondesfrancophones.com/espaces/langues/parler-quebec/

Gordon, Sandra, les Corpuscules de Krause. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 237 p.

Villers, Marie-Éva de, le Vif Désir de durer. Illustration de la norme réelle du français québécois, Montréal, Québec Amérique, 2005, 347 p. Ill.

Marie-Éva de Villers, le Vif Désir de durer, 2005, couverture