Ne se veut pas qui veut

Se vouloir. En bonne logique, ce verbe ne devrait pas être employé avec un sujet inanimé.

Il n’y a donc aucune raison d’écrire : «Apocalypse se veut une mémoire vive pour les jeunes générations» (le Devoir, 7-8 novembre 2009, p. B8). Une série documentaire ne peut pas avoir de volonté.

Et l’Oreille tendue ne parle même pas de cette bien étrange «mémoire vive».

Trop, c’est comme pas assez

Il y a ces mots qu’on économise,  dont l’Oreille a eu l’occasion de parler.

Il y a aussi ces mots de trop, qu’on devrait, eux, économiser. Exemples.

Dans 87,6 % des cas — statistiques provisoires —, faire que suffirait, là où l’on met faire en sorte que.

Quelque part, malgré les apparences médiatiques, n’a besoin ni de à (à quelque part) ni de en (en quelque part).

Un lecteur de l’Oreille tendue lui signale une tendance à l’abandon de l’élision devant les noms et prénoms de personnes commençant par une voyelle : le livre de André remplacerait fréquemment, sans raison, le livre d’André.

Dans la plupart des cas, attester est un verbe transitif et il se passe donc de de.

On parle d’un bouchon de quarante-cinq minutes ? Ce n’est ni plus ennuyeux, ni moins, qu’un bouchon de quarante-cinq minutes.

En toutes choses, le juste milieu, pourtant, ce n’est pas plus mal.

À tu et à vous et à toi et à vous et à tu

Jeudi soir dernier, dans un centre commercial de l’île de Montréal :

Carrefour Angrignon, 23 juillet 2009

Pourquoi ce passage du tu au vous dans la publicité ?

Si l’on était dans un roman épistolaire classique, on y verrait un effet d’insistance amoureuse, comme dans l’incipit de la lettre CXLVIII des Liaisons dangereuses de Laclos, quand le chevalier Danceny écrit à la marquise de Merteuil : «Ô vous, que j’aime ! ô toi, que j’adore ! ô vous, qui avez commencé mon bonheur ! ô toi, qui l’as comblé» (éd. de 1964, p. 333).

Dans une chanson, ce pourrait être un exercice de style, comme dans «Rendez-vous courtois» de Jérémie Kisling, sur l’album le Ours en 2006. Tous les vers y mêlent tutoiement et vouvoiement. Cela donne lieu à des phrases déjantées : «Allez viens vous asseoir, il faut pas que vous te barre / Sous mon toit, vous serez à ton aise / Donne-moi votre main, couchez-moi contre ton sein / Je t’avoue que je vous aime bien.»

Les intentions des propriétaires de la boutique de jeux électroniques EBGames sont un peu moins claires.

(L’absence de s à «usagé» fait désordre.)

 

Référence

Laclos, Pierre Choderlos de, les Liaisons dangereuses, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «G-F», 13, 1964, 379 p. Chronologie et préface par René Pomeau. Édition originale : 1782.