L’oreille tendue de… Dino Buzzati

Dino Buzzati, le Désert des Tartares, éd. de 1980, couverture

«À ce moment-là, il entendit un second “floc”, comme le bruit de la chute d’un objet dans l’eau. Ce bruit allait-il se répéter encore ? L’oreille tendue, il guetta le bruit, bruit de souterrains, bruit de marécages, de maisons mortes abandonnées. Des minutes passèrent, immobiles, le silence absolu semblait, finalement, le maître incontesté du fort. Et de nouveau se pressaient autour de Drogo des images de la vie lointaine.»

Dino Buzzati, le Désert des Tartares, traduction de Michel Arnaud, Paris, Laffont, coll. «Le livre de poche», 973, 1980, 242 p., p. 37. Édition originale : 1940.

L’oreille tendue de… Pierre Lemaitre

Pierre Lemaitre, le Grand Monde, 2022, couverture

«Jean se retint à la poignée de la fenêtre, sa vue se brouilla, son cœur s’affola, il se tourna très lentement, il croyait entendre le pas pressé des policiers dans l’escalier, Geneviève, l’oreille tendue vers le poste, se servait du café en répétant : “C’est un monde, quand même !…”»

Pierre Lemaitre, le Grand Monde. Roman, Paris, Calmann-Lévy, 2022. Édition numérique.

L’oreille tendue de… Francis Ponge

Plaque, rue Francis-Ponge, Paris

«Merci, mais pardonnez-moi. Je ne saurais parler de Céline dont je n’ai jamais rien entendu. Il suffit de parler un peu fort pour que je n’y entende goutte. Telle est l’infirmité dont je souffre, — enfin dont je me persuade que je devrais souffrir, lorsque je vois certains visages frémir à l’écoute de telles ou telles explosives, ou rayonner à celle de telles ou telles fanfares dont j’aimerais bien, je vous l’assure, percevoir quelque chose, mais j’ai beau tendre l’oreille… C’est désespérant ! Le murmure de la moindre source, le chant de la moindre carpe pour moi couvre tout.»

Francis Ponge, «Réponse à une enquête sur Céline», dans Œuvres complètes, édition publiée sous la direction de Bernard Beugnot, avec la collaboration de Gérard Farasse, Jean-Marie Gleize, Jacinthe Martel, Robert Melançon, Philippe Met et Bernard Veck, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 487, 2002, t. II, p. 1393. Édition originale : 1962.

 

Illustration : plaque de la rue Francis-Ponge à Paris, photo déposée sur Wikimedia Commons

L’oreille tendue de… Pierre Nepveu

Pierre Nepveu, Géographies du pays proche, 2022, couverture

«Là où la politique n’est plus écoute, là où elle ne tend plus l’oreille aux complaintes humaines, à la douleur des corps et des esprits, aux drames des petites et grandes communautés, là où elle n’est plus que pouvoir et raison majoritaire, elle se condamne moralement elle-même.»

Pierre Nepveu, Géographies du pays proche. Poète et citoyen dans un Québec pluriel, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2022, 249 p., p. 102.

L’oreille tendue de… Arnaud Maïsetti

Arnaud Maïsetti, Saint-Just & des poussières, 2021, couverture

«La scène est atroce : l’Incorruptible devant la porte fermée de la prison exige qu’on lui ouvre, supplie qu’on le laisse croupir au-dedans des entrailles de la loi — refuse d’appeler aux armes contre la Convention sacrée. De force, on l’oblige à être libre, à être émeutier lui qui n’aspirait qu’au martyre, unique voie à ses yeux pour l’emporter. On hésite longtemps, on ne sait que faire, le garder, le libérer, le sauver pour le perdre : tout est renversé. La nuit est si noire. On tend l’oreille alors. Il est huit heures du soir : le tocsin sonne à l’Hôtel de Ville — la Commune appelle à l’Insurrection.»

Arnaud Maïsetti, Saint-Just & des poussières, Bordeaux, L’arbre vengeur, 2021, 327 p., p. 312-313.