Hasards linguistiques

Tweet de Jean-François Roberge, 15 mars 2023

Le hasard fait (malheureusement) bien les choses.

La semaine prochaine, l’Oreille tendue sera à Halifax pour y présenter une conférence intitulée «Le français : une langue menacée ?» Parmi les menaces (supposées) qu’elle commentera, il devrait y avoir les nouvelles technologies, l’écriture inclusive, la domination mondiale de l’anglais et l’insécurité linguistique. Il sera aussi question du franglais. (Sur cette question, voir ici et .)

Hier, le ministre québécois de la Langue française, Jean-François Roberge, a mis en ligne une vidéo de trente secondes, accompagnée du texte suivant :

Au Québec, le français est en déclin. Ensemble, renversons la tendance.

Voici la nouvelle publicité du Ministère de la Langue française pour susciter une prise de conscience des Québécois au déclin du français au Québec.

L’objectif de la vidéo — qui associe la langue française à un oiseau de proie vulnérable — est clairement de s’en prendre à l’utilisation par les jeunes de mots anglais quand ils parlent français. En linguistique, on parlerait d’alternance codique (code-switching), mais, depuis un pauvre livre d’Étiemble, on utilise souvent le mot franglais pour désigner ce phénomène. Exemple : «Mais malgré que ses skills de chasse soient insane, l’avenir du faucon pèlerin demeure sketch

Il y aurait beaucoup de choses à dire de cette campagne publicitaire. Retenons-en trois.

Postuler que «le français est en déclin» au Québec est un discours alarmiste. L’est-il sur tous les plans ? Partout au Québec ? Pour toutes les tranches d’âge ? Dans toutes les situations de la vie privée et publique ? Le ministre ne pèche pas par excès de nuance. (Il n’est pas le seul.)

Laisser entendre que les phrases (évidemment inventées) de la publicité ne sont pas du français, ou sont du mauvais français, bute sur un écueil : ce sont des phrases en français — mais d’un registre tout à fait particulier. L’Oreille tendue a longtemps enseigné; elle n’a jamais lu de phrases semblables dans une copie d’étudiant. Autour d’une table, dans un repas familial, au stade ? C’est autre chose.

Penser que les jeunes Québécois vont changer leurs pratiques linguistiques parce que leur gouvernement s’attaque à celles-ci ne paraît pas être la stratégie la plus sûre pour qu’ils les transforment, si tant est qu’il soit impératif qu’ils le fassent.

 

P.-S.—Cela vous rappelle une publicité électorale du Parti québécois en 2022 ? Vous n’avez pas tort.

P.-P.-S.—Autre hasard : l’Oreille découvre cette vidéo au moment où elle lit un ouvrage d’Annette Boudreau, Dire le silence (2021). L’autrice y cite notamment deux extraits de chroniques rédigées pour le journal acadien l’Évangéline par Alain Gheerbrant en… 1967 et 1968 : «si personne ne se réveille, dans quinze ou vingt ans on ne parlera plus de l’Acadie comme d’une région de langue française» (20 novembre 1967, p. 164); «Personne ne peut nier de bonne foi que l’anglicisation ne galope — surtout dans certains secteurs comme les écoles — et c’est dans ce cas-là la faute des élèves» (10 septembre 1968, p. 165). Plus ça change…

 

Référence

Boudreau, Annette, Dire le silence. Insécurité linguistique en Acadie 1867-1970, Sudbury, Prise de parole, coll. «Agora», 2021, 228 p.

Mécaniques

Diderot dans la toponymie québécoise

Ce n’est pas pour se vanter, mais l’Oreille tendue, sur Twitter, a reçu hier un beau compliment : «Pour emprunter une expression de mon fils : tu flexes rare, là.»

Cela lui a rappelé cette phrase entendue en cours il y a deux ans : «Diderot, là, y flexe.»

Flexer ? Sous l’influence de l’anglais (to flex your muscles), rouler les mécaniques.

P.-S.—«Rare» ? (Vraiment) beaucoup, comme dans «J’étais rouge homard et brisé rare par l’univers» (Testament, p. 96).

 

Référence

Gendreau, Vickie, Testament. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 60, 2012, 156 p.

Fil de presse 033

Logo, Charles Malo Melançon, mars 2021

Petit ménage dans la besace bibliolinguistique de l’Oreille tendue.

Aphatie, Jean-Michel et Michel Feltin-Palas, J’ai un accent, et alors ?, Paris, Michel Lafont, 2020.

Avanzi, Mathieu, avec la complicité d’Alain Rey et Aurore Vincenti, Comme on dit chez nous. Le grand livre du français de nos régions, Paris, Le Robert, 2020, 240 p.

Babylonia. La Rivista per l’insegnamento e l’apprendimento delle lingue, 1, 2020. Dossier «Le français en Suisse… 20 ans après. Französisch in der Schweiz… 20 Jahre danach. Il francese in Svizzera… 20 anni dopo. Il franzos en Svizra… 20 ons suenter», sous la direction d’Amelia Lambelet, Jean-François de Pietro, Jeanne Pantet et Zorana Sokolovska.

Beaudoin-Bégin, Anne-Marie et Pascale Constantin, le Boss des bécosses. Les expressions du Québec en BD, Montréal, Auzou, 2020.

Boissieu, Christian de, les 100 Mots de la politique monétaire, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Que sais-je ?», 3969, 2020, 128 p.

Bouchard, Chantal, la Langue et le nombril. Une histoire sociolinguistique du Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Nouvelles études québécoises», 2020, 296 p. Édition originale : 1998.

Campese, Sandrine, Un petit dessin pour parler comme les grands, Paris, Le Robert, 2020, 128 p.

Derrida, Jacques, le Calcul des langues. Distyle, Paris, Seuil, coll. «Bibliothèque Derrida», 2020, 108 p. Édition établie par Geoffrey Bennington et Katie Chenoweth.

Develey, Alice et Jean Pruvost, Les mots qui ont totalement changé de sens. Un mou énervé !, Paris, Le Figaro édition, coll. «Mots & caetera», 2020.

Encel, Frédéric, les 100 Mots de la guerre, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Que sais-je ?», 4192, 2020, 128 p.

European Journal of Language Policy, 12, 1, 2020.

Francophonie, pour l’amour d’une langue, Bruxelles, Nevicata, en partenariat avec l’OIF, coll. «L’âme des peuples», 2020, 104 p.

Fuchs Catherine et Sylvie Garnier, Lexique raisonné du français académique. Tome 1. Les collocations verbo-nominales, Paris, Ophrys, 2020, 320 p.

Gaudu, François, les 100 Mots du droit, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Que sais-je ?», 3889, 2020, 128 p.

Glottopol. Revue de sociolinguistique en ligne, 34, juillet 2020. Dossier «Les “langues de France”, 20 ans après», sous la direction de Christian Lagarde.

Grant, Anthony P., The Oxford Handbook of Language Contact, Oxford, Oxford University Press, 2020, 792 p.

Guitton, René, les 100 Mots de Rimbaud, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Que sais-je ?», 4174, 2020, 128 p.

Hébert, Pierre, Bernard Andrès et Alex Gagnon (édit.), Atlas littéraire du Québec, Montréal, Fides, 2020, xvii/496 p.

L’Information grammaticale, 166, juin 2020. Dossier «La variation régionale en grammaire», sous la direction de Mathieu Avanzi et André Thibault.

Journal of Historical Sociolinguistics, 6, 2, octobre 2020. Dossier «Comparative Sociolinguistic Perspectives on the Rate of Linguistic Change», sous la direction de Terttu Nevalainen, Tanja Säily et Turo Vartiainen.

Lacroix, Frédéric, Pourquoi la loi 101 est un échec, Montréal, Boréal, 2020, 264 p.

Laflèche, Guy, l’Office québécois de la langue française et ses travailleuses du genre, Laval, Éditions du singulier, 2020.

Le Goffic, Pierre, Grammaire de la subordination, Paris, Ophrys, 2019, 306 p.

Linx. Revue des linguistes de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 80, 2020. Dossier «L’héritage de Jean Dubois et Françoise Dubois-Charlier», sous la direction de Laetitia Leonarduzzi.

Multilingua, 39, 5, septembre 2020. Dossier «Linguistic Diversity in a Time of Crisis : Language Challenges of the COVID-19 Pandemic», sous la direction de Jie Zhang and Jia Li.

Neologica, 14, 2020, 274 p. Dossier «Perception, réception et jugement des néologismes».

Nore, Françoise, Bizarre, vous avez dit bizarre. Cabinet de curiosités de la langue française, Paris, Opportun, 2020, 256 p.

Peled, Yael et Daniel M. Weinstock (édit.), Language Ethics, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2020, 264 p.

Pruvost, Jean, l’Histoire de la langue française [Un vrai roman], Paris, Le Figaro littéraire, coll. «Mots&Caetera», 2020.

Recherche en langue française, 2, 2020.

Reinke, Kristin (édit.), Attribuer un sens. La diversité des pratiques langagières et les représentations sociales, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Culture française d’Amérique», 2020, 320 p.

Remysen, Wim et Sandrine Tailleur (édit.), l’Individu et sa langue. Hommages à France Martineau, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Les voies du français», 2020, 296 p.

Römer, Thomas, les 100 Mots de la Bible, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Que sais-je ?», 4057, 2020, 128 p.

Siouffi, Gilles (édit.), Histoire de la phrase française. Des Serments de Strasbourg aux écritures numériques, Arles, Actes Sud, 2020, 376 p.

Soulié, Julien et M. la Mine, Et cetera, et cetera. La langue française se raconte, Paris, Éditions First, 2020, 144 p.

Trimaille, Cyril, Christophe Pereira, Karima Ziamari et Médéric Gasquet-Cyrus (édit.), Sociolinguistique des pratiques langagières de jeunes. Faire genre, faire style, faire groupe autour de la Méditerranée, Saint-Martin-d’Hères, UGA éditions, 2020.

Verdier, Marie (édit.), le Tour du monde du français, Paris, La Librairie Vuibert, 2019, 192 p.

Verreault, Claude et Claude Simard, la Langue de Charlevoix et du Saguenay—Lac-Saint-Jean : un français qui a du caractère, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Langue française en Amérique du Nord», 2020, 168 p.

Wakim, Nabil, l’Arabe pour tous. Pourquoi ma langue est taboue en France, Paris, Seuil, 2020, 208 p.

Walter, Henriette, les Petits Plats dans les grands. La savoureuse histoire des mots de la cuisine et de la table, Paris, Robert Laffont, 2020, 288 p.

In

Sophie Bienvenu, Autour d’elle, 2016, couverture

Qu’en est-il du mot out au Québec ? S’il faut en croire les narrateurs du roman Autour d’elle de Sophie Bienvenu (2016), il est commun.

«Faudrait que je déménage aussi, que Montréal passe au feu, que je me tape la tête contre tout ce qui passe pour que les chocs me fassent oublier, que plus jamais je dessaoule, parce que les seuls moments où j’ai pas pensé à toi, depuis que t’es plus là, les seuls moments où j’ai pas eu mal comme si on m’avait retourné la peau et vidé de mes tripes, c’est quand j’ai passé out à cause de l’alcool» (p. 88).

«Heille, guys, guys. Le plan de la soirée, c’était que mon chum se rappelle plus de rien le lendemain, pis là le soleil se lève, on est demain, et on dirait ben que c’est moi qui vas blacker out. C’est hot pareil» (p. 131).

P.-S.—Dans un cas comme dans l’autre, on notera que out est lié à une consommation excessive d’alcool.

 

Référence

Bienvenu, Sophie, Autour d’elle. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 206 p.

La dictée de l’Oreille tendue

Repassage extrême sur le Rivelin Needle (Rivelin Rocks)Toujours à l’affût des besoins de ses bénéficiaires, l’Oreille tendue leur a préparé une dictée. Elle dure deux minutes trente secondes et on peut l’entendre ici :

À ton crayon.

 

Illustration : repassage extrême sur le Rivelin Needle (Rivelin Rocks) près de Sheffield au Royaume-Uni, 2001, photo déposée sur Wikimedia Commons

 

[Complément du 1er mars 2017]

Corrigé

Là, là, les étudiants et les étudiantes, tu t’installes pour la dictée. Tu prends ton p’tit crayon, pis ton p’tit papier, pis tu tends bien l’oreille. T’es prêt ? On commence.

«Hier soir, j’ai quitté plus tôt que d’habitude. Je suis allé au bar à repassage. Il y avait un tournoi de repassage extrême. Ce tournoi se voulait à saveur compétitive. Le prix à gagner était un voyage dans la capitale urbaine du swag. Je me sentais décomplexé. Au niveau de mon repassage, ma problématique était bonne. À la fin du tournoi, les juges se sont assis et ils ont voté. On parle d’une décision difficile pour l’estime de soi.» [Il n’y avait évidemment pas de virgule dans la dernière phrase; c’était un piège.]

Bon, c’est fini, les étudiantes et les étudiants. Tu me donnes ta p’tite dictée, pis tu vas dans le parc-école. Je te dirai tout à l’heure si t’as un privilège ou si t’as une conséquence.