Langue de campagne (18)

Les campagnes politiques sont faites pour attaquer ses adversaires. Au Québec, en 2012, de quoi s’accuse-t-on les uns les autres ? Les débats télévisés du mois d’août offrent quelques pistes de réflexion.

Le chef du Parti libéral trouve que celui de la Coalition avenir Québec change souvent d’idées. Pour Jean Charest, François Legault n’est «pas fiable».

Entre François Legault et Pauline Marois, la pomme de discorde est syndicale. Lui sur elle : elle a «les mains attachées avec les syndicats». Elle sur lui : «y haït les syndicats». En outre, le caquiste pratiquerait, si l’on en croit la péquiste, la «pensée magique». Inversement, elle représenterait le «statu quo»; pire, elle serait le chef des caribous.

François Legault a deux obsessions : les mains et la gêne. Contrairement aux autres, il n’a pas, lui, les mains «attachées» : les siennes sont «libres» et «propres». Il trouve que ses adversaires devraient se sentir mal de ce qu’ils ont fait ou dit : «Vous êtes pas gênée» (à Pauline Marois, le 19 août et le 22 août); «Vous êtes pas gênée» (à Françoise David, de Québec solidaire, le 22 août); «Vous devriez être gêné» (à Jean Charest, plusieurs fois, le 21 août); «C’est gênant, c’que vous faites» (à Pauline Marois, le 22 août).

Jean Charest se méfie, entre autres choses, de la cruauté de sa vis-à-vis du Parti québécois. Ses positions sur la santé, en effet, «ça donne des frissons à du monde».

Le «bon sens» paraît être une qualité enviable. Pauline Marois, Jean Charest et François Legault accusent leurs adversaires, individuellement ou collectivement, d’en manquer. De la même manière, il y aurait, quelque part, une «vraie vie»; c’est du moins la position de Jean Charest. Certains l’ignoreraient (à François Legault : «Ça marche pas comme ça la vie»).

Y a-t-il un ennemi commun à tous ? Évidemment : «la chicane». Personne ne la souhaite, et tous accusent l’autre de la fomenter. Ce sont des élections bien québécoises.

P.-S. — Ces attaques et insultes sont évidemment réversibles. François Legault a renvoyé son insulte («pas fiable») à Jean Charest et Pauline Marois l’a utilisée à l’égard de François Legault (la Presse, 29 août 2012, p. A1). Elle a aussi traité le chef de la Coalition avenir Québec de «presque caribou» (radio de Radio-Canada, 30 août 2012). On peut parfois s’y perdre.

Langue de campagne (17)

Très peu de néologismes ont été créés dans la campagne électorale québécoise de 2012.

Il a fallu inventer caquiste (pour la Coalition avenir Québec de François Legault) et oniste (pour l’Option nationale de Jean-Martin Aussant); rien là que d’utilitaire.

Félicitons toutefois Vincent Marissal de la Presse pour une trouvaille. Il y a des joueurnalistes, ces sportifs convertis en commentateurs médiatiques ? Parlons alors de policiens, «ces policiers à la retraite devenus candidats aux élections» (la Presse, 30 août 2012, p. A17). Bien vu.

Langue de campagne (16)

Un des points forts de la campagne électorale actuelle au Québec a été — ou aurait dû être, c’est selon — les rencontres télévisées entre les chefs des principaux partis politiques.

Le débat diffusé par la télévision publique (Radio-Canada, Télé-Québec, TV5) le 19 août était presque complètement exempt de langue populaire. Jean Charest (Parti libéral), Françoise David (Québec solidaire), François Legault (Coalition avenir Québec) et Pauline Marois (Parti québécois) s’étaient mis sur leur trente-six. Des exceptions ? Françoise David : «plate». François Legault : «se payer la traite», «tanné» (deux fois). Pauline Marois : «à soir» (deux fois), «cenne», «bein» (pour «bien»). Jean Charest : «J’peux-tu juste vous rappeler ?», «du monde qui font rien». Guère plus.

Les trois soirs suivants, le débat à quatre fut remplacé par des face-à-face (JC/PM, JC/FL, FL/PM), présentés sur les ondes d’une chaîne privée, TVA. La langue populaire s’est alors faite de plus en plus présente, surtout chez Pauline Marois : «trois mois de temps», «bein» (encore), «piasses», «Y a toujours bein un bout», «donner un break», «cenne», «fèque», «c’est plate à dire», «j’trouve ça pas pire», «à matin», «la djobbe», «y haït les syndicats» (s’agissant de François Legault), etc. Ses adversaires n’étaient cependant pas totalement en reste : «les djobbes dans l’nord, c’est des djobbes dans l’sud» (Jean Charest), «pis» (François Legault, deux fois), «J’peux-tu répondre» (Jean Charest, deux fois).

Sur Twitter, le soir du 20 août, @titocurtis se posait la question suivante : «Marois using some joual. Is it a coincidence that the debate’s on TVA ?» Peut-on, en effet, lier l’emploi de la langue populaire (le «joual», pour reprendre le terme de Curtis, tout contestable qu’il est) et la présence sur une chaîne commerciale ? D’autres raisons peuvent expliquer cette modification du lexique de la chef du Parti québécois (volonté de paraître moins «hautaine», cadre différent pour les échanges, etc.), mais la question mérite d’être soulevée.

P.-S. — L’Oreille tendue avoue ne pas trop savoir quoi faire d’une déclaration de Jean Charest le 19 août : «Quand y a des coches mal taillées, on les répare.» Comment peut-on «réparer» une «coche mal taillée» ? Langue populaire ou approximative ?

Langue de campagne (15)

Les chefs politiques québécois ont-ils le sens de la formule qui fait mouche et qui marque les consciences ? Dont les auditeurs — en l’occurrence ceux des débats télévisés d’août 2012 au Québec — vont se souvenir ?

Guère.

François Legault, le chef de la Coalition avenir Québec, le soir du 19 août, a lancé un «Pendant que les Québécois marchent, les autres courent» bien senti, et il l’a répété.

Le même soir, Françoise David, de Québec solidaire, a eu une fort piquante réplique pour le premier ministre et chef du Parti libéral : «À votre place, Monsieur Charest, je ne fanfaronnerais pas.» N’ayant pas été invitée aux face-à-face des jours suivants, elle n’a pas eu l’occasion de la marteler.

Il faut probablement être épistologue, comme l’Oreille tendue, pour apprécier l’accusation de Pauline Marois, du Parti québécois, envers le même Jean Charest : «On pratique, chez Monsieur Charest, le fédéralisme de correspondance.» L’actuel premier ministre provincial aimerait bien écrire à ses homologues fédéraux, qui ne lui répondraient pas. Joli.

Pour la phrase qui tue, donc, on repassera.

P.-S. — L’Oreille tendue s’en voudrait de ne pas souligner le franc-parler de Catherine Dorion, la candidate d’Option nationale dans la circonscription de Taschereau. Que dit-elle de la plateforme de son parti ? Que c’est «la plus bandante». Rien de moins.

Langue de campagne (14)

Il y a des mots neutres, sur lesquels tout le monde s’entend : candidat, circonscription, droit de vote.

Et il y a les objets de contentieux, ces mots dont les sens varient au fil des circonstances et des stratégies : démocratie, vote stratégique, intérêt supérieur de la nation (cette expression existe aussi au pluriel), chef (la question a été posée pour la Coalition avenir Québec), référendum (d’initiative populaire ou pas), cadre financier, classe moyenne (ou «contribuables moyens», pour le dire avec Amir Khadir, de Québec solidaire), valeurs, droite, gauche, néolibéralisme, identité, pays, autrement (comme dans «faire de la politique autrement»).

L’obscurité (potentielle) est à la fois un état de fait (linguistique) et une stratégie de communication (politique). Au Québec, mais pas seulement.