Patiner avec Henri Beyle

Dans la Presse du 16 février, un cahier publicitaire du Réseau sélection : «[auQUOTIDIEN]. Cinquième édition.»

Deux fois (p. 1 et p. 8), il est indiqué que Les tours Angrignon, une maison pour retraités, sont, comme toutes celles du Réseau sélection, la «Résidence officielle des Anciens Canadiens de Montréal» — c’est du hockey.

En page 8, une photo de l’ancien joueur Henri Richard, le frère du Rocket, est accompagnée de la légende suivante : «Encore cette année, les résidents et leur famille ont eu la chance de patiner et de visiter la chambre des joueurs des Canadiens au Centre Bell.» Le slogan du personnel ? «“La vocation c’est d’avoir pour métier sa passion.” — Stendhal» (p. 3).

Ensemble, l’auteur de la Chartreuse de Parme et le «Pocket Rocket» ? On ne s’y attendait pas.

La totale

L’Oreille tendue écrivait, le 27 janvier 2011, que l’adjectif ultime semblait être en lice pour remplacer extrême (c’est ici).

À la Presse, on l’a bien vu. Le quotidien titrait, le 13 février 2012 : «Véhicules ultimes pour skieurs extrêmes» (cahier Affaires, p. 14).

Tout est dans tout, et réciproquement.

De Twitter comme observatoire linguistique

Parmi les nombreux usages de Twitter, celui-ci : se faire rappeler que la langue, et notamment la populaire, a bougé, bouge et continue de bouger.

Pour la seule journée d’hier…

Comment appeler la région qui entoure Montréal, et ses habitants ? Le(s) 450, comme dans «L’appel du 450».

Qu’est-ce qui est plus facile que le facile ? Le «fullfaf».

D’où vient cette expression ? De full, bien sûr : «J’aime full ta photo d’araignée-sorcière.»

On peut facilement utiliser full avec songé (qui a l’apparence, et parfois seulement l’apparence, de la profondeur) : «La politisation de la police au Québec. Version songée […] et version qui fesse.» Pour fesser (frapper fort), full risquerait d’être pléonastique.

Vous en avez marre de tout ça ? Gare à la montée de lait : «Ma loooongue montée de lait devant le bal des hypocrites SPVM/SQ/Dutil\DPCP.»

Vous vous mettez à utiliser des gros mots ? «[O]sti d’église à marde #gomezEtCHquigagne.»

Vous voulez détruire des formules religieuses ? «Je me permets de scraper la 1ere partie au nom de mon athéisme et de mon rationalisme post-Lumières.»

Vous refusez de rester figé dans le passé ? «[J]’allais pas rester staulée en d’anciennes époques?!»

Ce serait le signe que vous vous énarvez : «Le yoga, la méditation, l’“énergie”, la détente, la relaxation, toutes ces choses, ça m’énarve.»

Pour vous calmer, écoutez une toune. Vous serez en bonne compagnie : «j’aimais la toune, mais j’aime bien le clip !»; «Toujours hâte à la toune de @AndreRoy36 au @5a7RDS du jeudi»; «Ai entendu la toune de StarAc dans le taxi.»

Ou enfourchez votre vélo pour une ride : «Idyllique ride #veloboulot.»

Ou souvenez-vous de vos premier béguins : «Bianca de #USPP fut un de mes premiers kik d’adolescence.»

Ou riez : «Relire ce tweet. Être crampée.»

Ou soyez ému par un beau but, au risque de passer pour une mauviette : «Viens de voir le but de #Gomez. Traitez-moi de moumoune, mais l’accolade virile qui a suivi n’était pas sans beauté.»

Ou roulez un patin à quelqu’un que vous trouvez mignon : «tu pourras frencher Woody mon p’tit coco cute d’amour si t’es douce avec tes mains pis toute.»

Ça vous changera, du moins dans les médias, de ces articles hargneux que sont les jobs de bras : «Tanné de lire des articles de jobs de bras.»

Ou des publicités nulles : «Une pub poche avec Mr Shamwow à Télé-Québec.»

Est-ce que l’article suivant relève de cette catégorie ? «Francine Pelletier reprend sa plume ! heureuse nouvelle ! Cœur de pitoune http://huff.to/ysnUiF.» Vous pouvez y aller voir.

P.-S. — Sur Twitter, il y a même de la place pour les puristes : «On emploie généralement l’adjectif “second” quand il n’y a que deux éléments. Sinon on dira plutôt “deuxième”.»

Du doigté

Sandra Gordon, les Corpuscules de Krause, 2010, couverture

Dans une de leurs chansons sur le hockey, «Salut mon Ron» (2002), Les Cowboys fringants prêtent cette déclaration à un des auditeurs de l’émission radiophonique les Amateurs de sport : «J’ai une question totchée pour toé mon Ron

Dans son roman les Corpuscules de Krause (2010), Sandra Gordon met la réplique suivante dans la bouche d’un de ses personnages : «Écoutez, madame, c’est totché ces affaires-là» (p. 13).

Touchy, totché : voilà qui est délicat. Jusque dans l’orthographe.

 

Références

Les Cowboys fringants, «Salut mon Ron», Break syndical, disque audionumérique, 2002, étiquette Disques de La Tribu, TRICD-7200.

Gordon, Sandra, les Corpuscules de Krause. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 237 p.

De l’écrapou

Ceci, du plus récent Michael Connelly, The Drop (2011) : «The jumpers were called splats.» Les suicidés qui choisissent la voie des airs («jumpers») sont désignés par le son qu’ils font en arrivant au sol («splats»).

Existe-t-il un mot au Québec pour ce qui s’écrabouille ? Oui : écrapou, dont la popularité, sinon l’invention, reviendrait aux humoristes du groupe Rock et belles oreilles (RBO pour les intimes). On a pu dire d’eux qu’ils étaient les «rois de l’écrapou» (Progrès-Dimanche, 19 juillet 2009, p. 34).

«Application mobile RBO 3.0»

Exemples journalistiques : de nombreux amateurs de hockey «assuraient que les Red Wings de Detroit feraient “de l’écrapou” avec le Tricolore» (la Presse, 26 janvier 2012, cahier Sports, p. 2); «je suis aussi en faveur du remplacement de l’échangeur Turcot, ne serait-ce que pour ne pas finir écrapou dans ma vieille Passat sous une dalle de béton pourri» (la Presse, 10 mai 2011, p. A10).

Écrapou est, bien évidemment, l’apocope d’écrapoutir (synonyme : écraser). Le mot — tantôt substantif, tantôt adjectif — peut signifier un fait divers sanglant, notamment du Journal de Montréal, aussi bien que le produit, voire le résidu, de ce type de fait divers. Il est également utilisé pour décrire n’importe quelle chose réduite à sa plus plate expression.

Selon le Wiktionnaire, le féminin d’écrapou serait écrapoue. Spontanément, l’Oreille tendue aurait pensé écrapoute, mais cela n’engage qu’elle.

 

Référence

Connelly, Michael, The Drop. A Novel, New York, Little, Brown and Company, 2011. Édition numérique.