Ricardo au Dollarama

Nicolas Dickner, le Romancier portatif, 2011, couverture

À compter du 26 avril, Ricardo, l’homme privé de patronyme, animera, à la télévision de Radio-Canada, une nouvelle émission, le Fermier urbain. Le voilà donc «gentleman-farmer urbain» (la Presse, 18 avril 2012, cahier Arts, p. 3).

Urbain ?

Lisons Nicolas Dickner : «Pourtant, le concept même de “valeur” est volatil. Prenez le mot “urbain”, un terme bien coté depuis trois ou quatre ans. D’abord avant-gardiste, il est vite devenu commun, avant de tomber dans l’utilisation à outrance, puis dans l’impropriété excessive. En ce moment, il se trouve quelque part dans le Dollarama du langage, à côté des napperons en bambou et des potiches pseudo-asiatiques» (éd. de 2011, p. 82).

Le décor de l’émission est déjà tout trouvé.

 

Référence

Nicolas Dickner, «Vaut mieux rester calme», Voir, 19 mars 2008, repris dans le Romancier portatif. 52 chroniques à emporter, Québec, Alto, 2011, p. 81-84, p. 82.

Causons

En 2004, pour leur Dictionnaire québécois instantané, l’Oreille tendue et son complice avaient recensé, au Québec, un nombre considérable de tables : d’aménagement, de concertation, de convergence, de prévention, de suivi, ronde, de conversion, des nations. Ils les avaient rapportées à d’autres manifestations du grégarisme des habitants de la Belle Province : les audiences, le carrefour, le chantier, la coalition, le comité, la commission, la concertation, le consensus, la consultation, les états généraux, le festival, le forum, le groupe, les partenaires sociaux, la rencontre, le salon et le sommet.

On pourrait aujourd’hui ajouter à l’énumération la table de pilotage — il existe une Table de pilotage du renouveau pédagogique du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec — et le café urbain — selon RueMasson.com, «Depuis un peu plus d’un mois, Rosemont s’est transformé en vaste lieu d’échange : les cafés urbains ont donné la parole aux habitants pour que leur quartier reflète davantage leurs préoccupations»; on y prépare notamment le Forum social de Rosemont qui aura lieu en mai prochain.

Il faudrait surtout faire une place à la conversation, par exemple la Conversation publique sur l’avenir minier du Québec. Quiconque connaît la langue de Shakespeare avait pu y repérer depuis longtemps le succès du mot conversation employé à toutes les sauces, des colloques universitaires aux débats publics. Le voilà donc maintenant en français.

Comme le disait un slogan célèbre du siècle dernier : «On est six millions, faut s’parler.

 

[Complément du 2 janvier 2014]

Une publicité (de pétrole ?) entendue à la télévision québécoise le 31 décembre 2013 se présente comme une «conversation». Même la publicité s’y met.

 

[Complément du 19 décembre 2014]

Au Québec, il arrive même qu’une table écrive.

Une table de concertation écrit à une ministre

 

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Périple laurentien, prise trois

De samedi en samedi, l’Oreille tendue poursuit ses aventures familiales sur l’autoroute des Laurentides (la 15, pour les intimes).

On a vu qu’on peut s’y sustenter et s’y amuser tard le soir.

On peut aussi habiter ses environs. Dès qu’on entre à Laval, un panneau publicitaire annonce en effet la construction de «condominiums urbains».

De deux choses l’une.

Ou Laval est une ville — et «condominium urbain» est un pléonasme.

Ou Laval n’est pas une ville — mais elle aimerait en devenir une : en attendant, elle donne un cachet urbain à ses condos.

Tout bien considéré, restons montréalais.

Propositions de moratoires lexicaux pour Noël (et au-delà)

Cela a commencé, le 16 décembre, par un tweet de @MFBazzo : «On devrait décréter un moratoire sur le mot FESTIF. Au 1er, 2ème ou 10ème degré, y a comme abus de joyeux ici. #CalvaireMêmeLePainEstFestif!» (Le lendemain, elle écrira : «Boooooon… Après “pain festif”, voici les “aubaines festives”! Un #moratoire sur le festif s’impose urgemment.»)

La balle a été saisie au bond par @PimpetteDunoyer. «Citoyen», «urbain», «gourmand», «exclusif» : voilà les mots qu’elle proposait de ne plus utiliser.

L’Oreille tendue n’allait pas laisser passer une si belle occasion de rebattre celles de ses lecteurs avec ses marottes et autres détestations : «problématique», «faire en sorte que», «au niveau de», «capitale», «leader», «extrême», «projet structurant», «d’ici», «saga», «mythe à déboulonner», «industrie qui s’autorégule». Elle avait déjà mis «métissé» sur sa liste avant de tomber sur le titre suivant : «Les Fêtes sont commerciales et métissées» (le Devoir, 17-18 décembre 2011, p. E2).

Ce n’est évidemment pas tout. On s’en est pris à «plomber» — comme dans «le titre de la compagnie X plombé par l’euro» (@mdumais) —, à «historique» (@JimCote), à «allumé» (@Catoo80) et à «émotif» (@Baroudeur52). Pour sa part, @capveranda ne manquait pas de suggestions : «incontournable», «décalé», «in», «out», «winner», «loser».

(@NieDesrochers a été plus radicale : dès le 16, elle a proposé un moratoire… sur «moratoire». Elle a été suivie le lendemain par @BLajeunesse.)

En matière de clichés, ce ne sont pas les occasions de râler qui manquent.

P.-S. — S’il fallait quitter le monde des mots pour celui de l’édition, on pourrait abolir, sans grande perte, les livres sur les chats et les romans dont le narrateur est un enfant. Ce serait déjà ça de pris.