Toi, mon pâté chinois

Le pâté chinois, plat québécois

 

Les défenseurs de la cuisine québécoise se plaignent souvent de son manque de reconnaissance sur la scène publique. Outre la poutine, autrefois mise en livre par Charles-Alexandre Théoret (2007), il faudrait encenser les richesses de la cuisine d’ici.

Ce souhait est parfois accompagnée d’une interrogation sur la place du pâté chinois dans la culture québécoise. Pâté chinois ? Pour aller vite, trois couches : steak haché, maïs (blé d’inde), pommes de terre en purée. Autrement dit, un parent du hachis parmentier. Ce pâté a lui aussi ses livres, signés Bernard Arcand et Serge Bouchard (1995), André Montmorency (1997) ou Jean-Pierre Lemasson (2009).

Ce plat basique — du moins en sa forme canonique — peut également servir à décrire une personne. Exemple tiré de la Presse+ du 21 octobre 2016, où il est question de deux joueurs des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, Carey Price et Shea Weber : «Il n’y a rien de compliqué avec ces deux-là, ils sont du type “steak-blé d’Inde-patates” et on doute fortement qu’ils aient des problèmes de tension.»

Qu’on ne s’y trompe pas : c’est un compliment.

 

Références

Arcand, Bernard et Serge Bouchard, Du pâté chinois, du baseball, et autres lieux communs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1995, 226 p.

Lemasson, Jean-Pierre, le Mystère insondable du pâté chinois, Verdun, Amérik média, 2009, 139 p. Ill.

Montmorency, André, la Revanche du pâté chinois, Montréal, Leméac, 1997, 253 p.

Théoret, Charles-Alexandre, Maudite poutine ! L’histoire approximative d’un plat populaire, Montréal, Héliotrope, 2007, 160 p. Photos de Patrice Lamoureux.

L’odeur ou la saveur ?

L’Oreille tendue n’hésite pas à se répéter; elle est comme ça.

À plusieurs reprises, elle a signalé combien l’expression à saveur avait envahi la langue médiatique québécoise. Une des dernières fois, c’était le 13 janvier 2016.

Il lui est aussi arrivé de repérer, derrière une expression tarabiscotée, une autre forme, banale mais correcte.

Elle a eu le même sentiment en lisant un article sur l’humour québécois paru dans le quotidien le Devoir des 22 et 23 octobre : «La star montante Louis T incarne la tendance de l’humour en odeur journalistique» (p. A4).

En odeur journalistique ? Voilà un journaliste qui fait des efforts pour ne pas dire à saveur journalistique.

L’Oreille n’aurait jamais pensé dire cela : c’est un cas où elle s’ennuie de à saveur.

Rousseau et le tourisme, bis

Promenade à Ermenonville et à ses environs, 1954, couverture

Le 24 octobre 1776, revenant d’herboriser, Jean-Jacques Rousseau, alors âgé de 64 ans, est renversé par un grand chien danois (sans majuscule). Il raconte la scène dans la «Deuxième promenade» de ses Rêveries du promeneur solitaire (1782, posthume) :

J’étois sur les six heures à la descente de Menil-montant presque vis-à-vis du galant jardinier, quand des personnes qui marchoient devant moi s’étant tout à coup brusquement écartées je vis fondre sur moi un gros chien danois qui s’élançant à toutes jambes devant un carrosse n’eut pas même le tems de retenir sa course ou de se détourner quand il m’apperçut. Je jugeai que le seul moyen que j’avois d’éviter d’être jetté par terre étoit de faire un grand saut si juste que le chien passât sous moi tandis que je serois en l’air. Cette idée plus prompte que l’éclair et que je n’eus le tems ni de raisonner ni d’executer fut la derniére avant mon accident. Je ne sentis ni le coup, ni la chute, ni rien de ce qui s’ensuivit jusqu’au moment où je revins à moi (éd. de 1996, p. 1004-1005).

Outre Rousseau, au XVIIIe et au XIXe siècle, une quarantaine de personnes ont évoqué, avec plus ou moins de réalisme ou de fidélité, cet événement traumatique.

Parmi elles, il y a la marquise de Créquy, qui fait allusion à la scène dans ses Souvenirs. On la cite dans une brochure du Touring club de France dont la deuxième édition date de 1954 :

Après avoir dit tout le chagrin que lui causait la mort inattendue de Rousseau : «Je ne pouvais, dit-elle, m’empêcher de larmoyer sous mon coqueluchon» elle termine irrévérencieusement par ces mots où pointe son dépit : «Il est inhumé comme un chien danois, au milieu d’une grenouillère, et sur un îlot, dans une manière de sépulcre, à la hauteur de trois ou quatre pieds» (p. 23).

L’Oreille tendue vous l’a déjà dit : elle serait bien en mal de vous expliquer ce que fait cette brochure dans sa bibliothèque.

 

Références

Promenade à Ermenonville et à ses environs, Paris, Touring Club de France, 1954, 31 p. Ill. Deuxième édition.

Rousseau, Jean-Jacques, les Rêveries du promeneur solitaire, dans Œuvres complètes. I. Les Confessions. Autres textes autobiographiques, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 11, 1996, cxviii/1969 p., p. 993-1099. Édition publiée sous la direction de Bernard Gagnebin et Marcel Raymond. Édition originale : 1782 (posthume).

Souvenirs de la marquise de Créquy, Paris, Fournier jeune, 1834-1835, sept tomes.

Citation grammatico-biblique du jour

Évelyne de la Chenelière et Justin Laramée, Nous reprendrons tout ça demain, 2016, couverture

«Du plus loin que je me souvienne, deux livres ont façonné ma façon d’envisager le monde, deux livres qui ont tracé en moi leur cartographie impitoyable. C’est le Précis de grammaire française et la Bible. Ces livres ont en commun leur rigueur sans appel, leur intransigeance, et le spectre de la Faute.»

Évelyne de la Chenelière et Justin Laramée, Nous reprendrons tout ça demain, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 09, 2016, 94 p., p. 30.

Les zeugmes du théâtre et du dimanche matin

Évelyne de la Chenelière et Justin Laramée, Nous reprendrons tout ça demain, 2016, couverture

«J’ai passé beaucoup de temps à m’interroger sur mon rapport à la concupiscence et à la chair et les cours de catéchèse me rendaient malade et anxieuse, mais j’en voulais toujours plus, je voulais comprendre la Parole, je voulais m’élever, je voulais être touchée par la Grâce ou par n’importe qui» (p. 29-30).

«Mais ton ami t’obligerait pour ton bien à remonter à la surface de la terre et des choses» (p. 38).

Évelyne de la Chenelière et Justin Laramée, Nous reprendrons tout ça demain, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 09, 2016, 94 p. Ill.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)