Où faire le pli ?

Albert Chartier, Onésime, août 1981, case comportant les mots «Ça m’fait pas un pli !»

Le français de référence connaît l’expression ne pas faire un pli : «être sûr, assuré ou fatal» (Larousse). Le français populaire du Québec propose un autre sens : «laisser complètement indifférent» (Usito).

Exemples du premier usage :

«Deviennent-ils insolents ? il est aisé d’y remédier. On leur donne quelques coups de bâton; on les paie, et on les renvoie : cela ne fait pas le moindre petit pli» (Fougeret de Monbron, Margot la ravaudeuse, p. 98-99).

«Mais quand même en cinquième maison, Vénus conjointe, en principe ça ne faisait pas un pli» (Jean Echenoz, l’Équipée malaise, p. 50).

Exemples du second usage :

«Ça ne lui fait pas un pli. C’est drôle, quand ça ne la concerne pas ça l’ennuie» (Réjean Ducharme, Dévadé, p. 96).

«Il aurait pu m’enduire la tête de morve de bison, ça ne m’aurait pas fait un pli» (Suzanne Myre, Humains aigres-doux, p. 152).

Compliquons un peu les choses. Le pli québécois peut toucher diverses parties du corps.

Le pis, s’agissant de vaches : «Qu’on leur pique leur lait pour l’envoyer chez Provigo plutôt que de le donner à leur veau, ça ne leur fait pas un pli sur le pis» (Pierre Foglia, «Un vrai job, enfin», la Presse, 16 octobre 2010, cahier Plus, p. 2).

Le ventre : «À bien y penser, il n’est pas un restaurant dans Manhattan, in ou pas, où Lafleur ne pourrait pas dîner en paix avec sa femme, sans que son voisin de table ne se doute une seconde de qui il est et s’en douterait-il que ça ne lui ferait probablement pas un pli sur le ventre» (Pierre Foglia, «Flower Loves New York», la Presse, 22 octobre 1988).

La différence : «C’est juste que ma mère dit qu’il existe deux types de monde dans le monde : les ceuses qui se sentent solidaires avec un fugitif juste parce qu’il a échappé aux bœufs, même si c’est un criminel ou s’il a blessé ou volé du monde, pis les ceuses pour qui ça fait pas un pli sur la différence» (William S. Messier, Dixie, p. 136).

La poche : «Je pense à tous les astres en chute libre vers leur étoile et que ça ne fait pas un pli sur la poche à personne» (Marie-Andrée Gill, Uashtenamu, p. 16); «“Ça m’fait pas un pli su’a poche” / ça veut dire que quelque chose ne nous dérange / ne nous perturbe pas» (Fabien Cloutier, Trouve-toi une vie, p. 70).

À votre service.

P.-S.—Rappelons la polysémie québécoise de la poche.

P.-P.-S.—L’Oreille tendue a présenté Dixie en 2015 et Trouve-toi une vie en 2016.

 

Illustration : Albert Chartier, Onésime, août 1981 (éd. de 2011, p. 216)

 

Références

Chartier, Albert, Onésime. Les meilleures pages, Montréal, Les 400 coups, 2011, 262 p. Publié sous la direction de Michel Viau. Préface de Rosaire Fontaine.

Cloutier, Fabien, Trouve-toi une vie. Chroniques et sautes d’humeur, Montréal, Lux éditeur, 2016, 140 p. Dessins de Samuel Cantin.

Ducharme, Réjean, Dévadé. Roman, Paris et Montréal, Gallimard et Lacombe, 1990, 257 p.

Echenoz, Jean, l’Équipée malaise. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1986, 251 p.

Fougeret de Monbron, Margot la ravaudeuse, Cadeilhan, Zulma, coll. «Dix-huit», 1992, 119 p. Édition originale : 1750. Présentation de Michel Delon.

Gill, Marie-Andrée Gill, Uashtenamu. Allumer quelque chose, Saguenay, La Peuplade, 2025, 102 p.

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

Myre, Suzanne, Humains aigres-doux. Nouvelles, Montréal, Marchand de feuilles, 2004, 157 p.

Chantons le hockey avec Pierre Létourneau

Pierre Létourneau, «Maurice Richard», pochette

(Le hockey est partout dans la culture québécoise et canadienne. Les chansons sur ce sport ne manquent pas, plusieurs faisant usage de la langue de puck. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Pierre Létourneau, «Maurice Richard», 1970

 

Quand sur une passe de Butch Bouchard y prenait le puck derrière ses goals
On aurait dit qu’y portait le sort de tout l’Québec sur ses épaules
Pardonnez-moi si aujourd’hui j’vous en parle comme si y était mort
C’est qu’il était toute ma vie sous son chandail tricolore
C’est qu’il était toute ma vie sous son chandail tricolore

Mau-rice Rich-ard-ard-ard c’est pour toi que je chante
Mau-rice Rich-ard-ard-ard c’est pour toi que je chante

S’il voulait vaincre tous les records de ce fameux grand Canadien
Je vous assure que Bobby Orr f’rait mieux d’aiguiser ses patins
Ô mon Maurice ô mon idole ô mon numéro neuf en or
Sans toi mes samedis sont si dull que j’m’ennuie, je m’couche pis j’m’endors
Sans toi mes samedis sont si dull que j’m’ennuie, j’m’couche pis j’m’endors

Mau-rice Rich-ard-ard-ard c’est pour toi que je chante
Mau-rice Rich-ard-ard-ard c’est pour toi que je chante

Aujourd’hui derrière ton cigare perdu dans tes pantoufles de laine
Tu fais semblant d’vivre à l’écart de cette gloire qui fut la tienne
Mais je sais que sans aucun doute tu t’ennuies de plus en plus fort
Des quinze mille spectateurs deboutte au moind’body check de ta part
Des quinze mille spectateurs deboutte au moind’body check de ta part

Mau-rice Rich-ard-ard-ard c’est pour toi que je chante
Mau-rice Rich-ard-ard-ard c’est pour toi que je chante

Mau-rice Ri-chard
Mau-rice Ri-chard

 

P.-S.—Paroles traduites dans I. Sheldon Posen, «Sung Hero : Maurice “The Rocket” Richard in Song», dans Martin Lovelace, Peter Narváez et Diane Tye (édit.), Bean Blossom to Bannerman, Odyssey of a Folklorist : A Festschrift for Neil V. Rosenberg, St. John’s, Memorial University of Newfoundland, coll. «Folklore and Language Publications», 2005, p. 377-404.

 

[Complément du 12 mai 2025]

Nombre de créateurs se souviennent de cette chanson : Bernard Pozier (1991, p. 79), Claude Dionne (2012, p. 234, p. 241), Francis Desharnais et Pierre Bouchard (2013, p. 98), par exemple.

 

 

Références

Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 3. Comme dans le temps, Montréal, Éditions Pow Pow, 2013, 107 p.

Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.

Melançon, Benoît, «Chanter les Canadiens de Montréal», dans Jean-François Diana (édit.), Spectacles sportifs, dispositifs d’écriture, Nancy, Questions de communication, série «Actes», 19, 2013, p. 81-92. https://doi.org/1866/28751

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Édition revue et augmentée, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 159 p. Préface d’Olivier Niquet. Illustrations de Julien Del Busso. ISBN : 978-2-925079-71-2.

Pozier, Bernard, Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991. 84 p. Ill. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck, édition revue et augmentée de 2024, couverture

Évitons les pertes

Case de la bande dessinée Séraphin contenant le mot «gaspille»

Souvenez-vous : en 2010, dans la bouche d’une serveuse, le substantif québécois populaire gaspille.

De l’oral, passons à l’écrit.

Chez Michel Tremblay : «Pas de gaspille, finis ton assiette !» (p. 1355)

Chez Kevin Lambert : «Une feuille, une seule. On s’applique parce qu’on en aura pas d’autres, on a juste une chance, pas de gaspille» (p. 13).

Chez Christophe Bernard : «Elle était belle femme, la Charline, dans la fleur de l’âge. Restée vieille fille, pensa le Paspéya. Tu parles d’un gaspille» (p. 641).

Négatif : du gaspille.

Positif : pas de gaspille.

À votre service.

 

Illustration : Albert Chartier, dans Claude-Henri Grignon et Albert Chartier, Séraphin illustré, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p., p. 36. Préface de Pierre Grignon. Dossier de Michel Viau.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Lambert, Kevin, Tu aimeras ce que tu as tué. Roman, Montréal, Héliotrope, «série P», 2021, 209 p. Édition originale : 2017.

Tremblay, Michel, la Traversée du malheur, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 1253-1389. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2015.

De la Bretagne (et du Québec)

Jean Lecoulant et Ronan Calvez, En Bretagne ça se dit comme ça !, 2024, couverture

Plus tôt cette année, les éditions Le Robert lançaient, sous la direction de Médéric Gasquet-Cyrus, la collection «Ça se dit comme ça !» À ce jour, trois variétés du français hexagonal ont été abordées : à Marseille, dans le Nord et en Picardie, en Bretagne.

Allons voir du côté des Bretons.

Le livre est joli, sur du papier épais, avec de très nombreuses illustrations (dessins, cartes, photos). Les expressions propres à la Bretagne sont présentées de deux façons : par ordre alphabétique (de «ac’hi-ac’ha» [en bisbille] à «yec’hed mad» [bonne santé]») et par regroupements thématiques (oui, il y a deux pages sur les crêpes). S’ajoutent à cela un «Avant-propos» («Prêtons l’oreille à ce qui se dit et on aura du goût»), un index et une bibliographie. Les lecteurs sont interpelés à l’occasion.

Les auteurs, Jean Lecoulant et Ronan Calvez, sont constamment sensibles aux liens entre le «français standard», le breton et le gallo; c’est cela qui explique plusieurs particularités du «français régional» ou «local» de Bretagne. Ils donnent de nombreuses indications de prononciation et proposent des étymologies. Leur Bretagne n’est pas uniforme, mais plutôt faite de sous-régions.

Lu du Québec, l’ouvrage dépaysera souvent, mais pas toujours. Pour une oreille québécoise, en effet, quelques expressions ne posent aucun problème de compréhension : avoir de la misère (souffrir, avoir des difficultés, p. 14), chez nous (notre, p. 38), ramasser et serrer ses affaires (les ranger, p. 53), ce serait péché (ce serait dommage, p. 104), poquer (heurter, emboutir, p. 114), toujours (en tout cas, p. 128), trouver dur (avoir du mal, de la peine, p. 131), etc.

L’Oreille tendue a trouvé une expression qui la ravit en matière d’imbibition : «casser la soif» (p. 126). C’est adopté.

P.-S.—Déplorons une absence : l’entrée «menhir, dolmen» (p. 94-95) ne fait pas du tout allusion à Obélix.

 

[Complément du jour]

Au moment de mettre ceci en ligne, l’Oreille apprend la parution du quatrième volume de la collection… aujourd’hui : En Alsace ça se dit comme ça !

 

Références

Dawson, Alain et Liudmila Smirnova, Dans le Nord et la Picardie ça se dit comme ça !, Paris, Le Robert, coll. «Ça se dit comme ça !», 2024, 144 p. Ill.

Erhart, Pascale, En Alsace ça se dit comme ça !, Paris, Le Robert, coll. «Ça se dit comme ça !», », 2024, 144 p. Ill.

Gasquet-Cyrus, Médéric, À Marseille ça se dit comme ça !, Paris, Le Robert, coll. «Ça se dit comme ça !», », 2024, 144 p. Ill.

Lecoulant, Jean et Ronan Calvez, En Bretagne ça se dit comme ça !, Paris, Le Robert, coll. «Ça se dit comme ça !», », 2024, 143 p. Ill.