Découverte bien tardive

Claude Steben, dans le rôle du Capitaine Cosmos, les Satellipopettes, 1978-1987

L’Oreille tendue savait déjà que l’expression «Deux morceaux de robot», au Québec, récompensait une bonne réponse.

Exemple :

«— Tu veux dire que le projet de troisième lien destiné aux automobiles à Québec n’a jamais eu de sens ?
— Deux morceaux de robot pour toi !»

L’Oreille ne s’était jamais toutefois demandé d’où venait cette expression.

L’exposition De Pépinot à la Pat’ patrouille. Notre enfance télévisuelle du Musée canadien de l’histoire lui a fourni l’explication.

Dans l’émission pour enfant les Satellipopettes (1978-1987, soit bien après l’enfance de l’Oreille), le Capitaine Cosmos, joué par Claude Steben, «est l’animateur d’un populaire jeu de questions et d’adresse opposant des élèves de deux écoles primaires. / Lorsqu’une équipe gagne, elle remporte un ou des morceaux en vue de construire son robot.»

À votre service.

Hasards linguistiques

Tweet de Jean-François Roberge, 15 mars 2023

Le hasard fait (malheureusement) bien les choses.

La semaine prochaine, l’Oreille tendue sera à Halifax pour y présenter une conférence intitulée «Le français : une langue menacée ?» Parmi les menaces (supposées) qu’elle commentera, il devrait y avoir les nouvelles technologies, l’écriture inclusive, la domination mondiale de l’anglais et l’insécurité linguistique. Il sera aussi question du franglais. (Sur cette question, voir ici et .)

Hier, le ministre québécois de la Langue française, Jean-François Roberge, a mis en ligne une vidéo de trente secondes, accompagnée du texte suivant :

Au Québec, le français est en déclin. Ensemble, renversons la tendance.

Voici la nouvelle publicité du Ministère de la Langue française pour susciter une prise de conscience des Québécois au déclin du français au Québec.

L’objectif de la vidéo — qui associe la langue française à un oiseau de proie vulnérable — est clairement de s’en prendre à l’utilisation par les jeunes de mots anglais quand ils parlent français. En linguistique, on parlerait d’alternance codique (code-switching), mais, depuis un pauvre livre d’Étiemble, on utilise souvent le mot franglais pour désigner ce phénomène. Exemple : «Mais malgré que ses skills de chasse soient insane, l’avenir du faucon pèlerin demeure sketch

Il y aurait beaucoup de choses à dire de cette campagne publicitaire. Retenons-en trois.

Postuler que «le français est en déclin» au Québec est un discours alarmiste. L’est-il sur tous les plans ? Partout au Québec ? Pour toutes les tranches d’âge ? Dans toutes les situations de la vie privée et publique ? Le ministre ne pèche pas par excès de nuance. (Il n’est pas le seul.)

Laisser entendre que les phrases (évidemment inventées) de la publicité ne sont pas du français, ou sont du mauvais français, bute sur un écueil : ce sont des phrases en français — mais d’un registre tout à fait particulier. L’Oreille tendue a longtemps enseigné; elle n’a jamais lu de phrases semblables dans une copie d’étudiant. Autour d’une table, dans un repas familial, au stade ? C’est autre chose.

Penser que les jeunes Québécois vont changer leurs pratiques linguistiques parce que leur gouvernement s’attaque à celles-ci ne paraît pas être la stratégie la plus sûre pour qu’ils les transforment, si tant est qu’il soit impératif qu’ils le fassent.

 

P.-S.—Cela vous rappelle une publicité électorale du Parti québécois en 2022 ? Vous n’avez pas tort.

P.-P.-S.—Autre hasard : l’Oreille découvre cette vidéo au moment où elle lit un ouvrage d’Annette Boudreau, Dire le silence (2021). L’autrice y cite notamment deux extraits de chroniques rédigées pour le journal acadien l’Évangéline par Alain Gheerbrant en… 1967 et 1968 : «si personne ne se réveille, dans quinze ou vingt ans on ne parlera plus de l’Acadie comme d’une région de langue française» (20 novembre 1967, p. 164); «Personne ne peut nier de bonne foi que l’anglicisation ne galope — surtout dans certains secteurs comme les écoles — et c’est dans ce cas-là la faute des élèves» (10 septembre 1968, p. 165). Plus ça change…

 

Référence

Boudreau, Annette, Dire le silence. Insécurité linguistique en Acadie 1867-1970, Sudbury, Prise de parole, coll. «Agora», 2021, 228 p.

Les Lumières du Devoir, prise deux

Goethe, les Souffrances du jeune Werther, éd. 1965, couverture

Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a récemment émis un avis au sujet d’un roman (posthume) de François Blais, le Garçon aux pieds à l’envers (2022) : il déconseille aux enseignants, aux bibliothécaires et aux libraires d’en faire la promotion Motif ? Ce roman pourrait inciter des adolescents à se suicider.

Le quotidien le Devoir, dans son édition du 5 janvier, commente l’affaire :

On appelle cet effet d’entraînement vers l’abîme le syndrome de Werther, à cause des effets du roman de jeunesse de Goethe. Les souffrances du jeune Werther (1774), après la mort volontaire du héros en mal d’amour, avait entraîné une épidémie de suicides.

C’est aller un peu vite en affaire. Les chercheurs sont loin de s’entendre sur la réalité de cette «épidémie de suicides». Certains y croient (Nicholas Karadaras, en 2022); d’autres sont plus réservés (Jan Thorson et Per-Arne Öberg, en 2003).

Coupons la poire en deux : «Les souffrances du jeune Werther (1774), après la mort volontaire du héros en mal d’amour, aurait entraîné une épidémie de suicides.»

P.-S.—«Prise deux» ? Il y eut, en effet, une première prise.

 

Références

Blais, François, le Garçon aux pieds à l’envers. Les chroniques de Saint-Sévère, Montréal, Fides, 2022, 320 p.

Kardaras, Nicholas, «How Goethe’s Sorrows of Young Werther Led to a Rare Suicide Cluster. Dr. Nicholas Kardaras on the Dangers of Social Contagion», article électronique, Literary Hub, 15 septembre 2022. https://lithub.com/how-goethes-sorrows-of-young-werther-led-to-a-rare-suicide-cluster/

Thorson, Jan et Per-Arne Öberg, «Was There a Suicide Epidemic After Goethe’s Werther ?», article électronique, Archives of Suicide Research, 7, 1, 2003. https://doi.org/10.1080/13811110301568

Du bazou

Maxime Raymond Bock, Morel, 2021, couverture

En août 1938, le poète québécois De Saint-Denys Garneau écrit à son ami Jean Le Moyne qu’il dispose dorénavant d’un «vieux bazou» (De Saint-Denys Garneau, p. 375).

Dans le roman Morel (2021), de Maxime Raymond Bock, on lit ceci : «Un voisin s’est parqué en sens inverse, à moitié monté sur le trottoir, pour câbler un bazou qui a rendu l’âme» (p. 22).

Bazou, donc : «Automobile démodée ou en mauvais état», selon Usito.

Si l’on en croit Sylvain Hotte, une motoneige peut aussi être un bazou (Attaquant de puissance, p. 64).

À votre service (mécanique).

P.-S.—«Câbler un bazou» ? Faire démarrer un tacot par survoltage.

 

[Complément du 2 janvier 2022]

Le bazou est, évidemment, une minoune. Exemple : «Québec s’en prend aux “minounes”» (la Presse, 8 décembre 2011, p. A18).

 

[Complément du 23 janvier 2022]

En français de référence : un tacot.

 

[Complément du 2 avril 2023]

Vue aujourd’hui, dans le cadre de l’excellente exposition «Hochelaga. Montréal en mutation», de Joannie Lafrenière, au Musée McCord Steward, cette photo.

«Achetons vieux bazous», photographie de Joannie Lafrenière, Musée McCord Steward, Montréal, 2 avril 2023

 

[Complément du 26 mai 2023]

Patrice Desbiens publiait récemment le recueil Fa que. En épigraphe, on trouve une citation de De Saint-Denys Garneau. Page 14, on lit le poème «Les vieux bazous». Tout est dans tout, et réciproquement.

En couverture ? Un bazou.

Patrice Desbiens, Fa que, 2023, couverture

 

Références

Biron, Michel, De Saint-Denys Garneau. Biographie, Montréal, Boréal, 2015, 450 p. Ill.

Desbiens, Patrice, Fa que, Montréal, Mains libres, 2023, 69 p. Ill.

Hotte, Sylvain, Attaquant de puissance, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 2, 2010, 219 p.

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.