Conseil vestimentaire du jour

Sandra Gordon, les Corpuscules de Krause, 2010, couverture

Soit la phrase suivante, tirée des Corpuscules de Krause de Sandra Gordon (2010) : «Du point de vue de l’automobiliste, ça devait être quelque chose de faire pleins feux sur une flâneuse livide fringuée comme la chienne à Jacques, pince-monseigneur à la main, à dix heures du soir» (p. 202).

Fringuée comme la chienne à Jacques ? On y peut voir un exemple d’alternance codique entre variétés du français, du plus hexagonal («fringuée») au moins hexagonal («la chienne à Jacques»). Il faut surtout y entendre un conseil : qui que soit Jacques, il ne faut pas s’habiller comme sa chienne. Qui s’habille comme elle n’est jamais à son avantage.

On ne l’oubliera pas.

 

[Complément du 24 novembre 2017]

Deux exemples théâtraux, tirés de J’aime Hydro de Christine Beaulieu (2017) :

«Il y avait à peu près juste 25 personnes, 90 % d’hommes, tous habillés chez Moores. Quand je suis entrée, ils m’ont tous regardée comme si j’étais la chienne à Jacques» (p. 62);

«je me suis dit “Moores, ç’a beau avoir un bon prix, une bonne coupe et une bonne réputation, c’est pas nécessairement imperméable, tandis que la chienne à Jacques, elle, au moins, elle est en phase avec la nature !”» (p. 67)

P.-S.—Oui : s’agissant de «Moores», l’auteure fait directement allusion à une publicité télévisée.

 

Références

Beaulieu, Christine, J’aime Hydro, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 13, 2017, 253 p. Illustrations de Mathilde Corbeil.

Gordon, Sandra, les Corpuscules de Krause. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 237 p.

Citation violente du mercredi matin

Réjean Ducharme, Gros mots, 1999, couverture«Dérision ou vrai piège à la retenir, sinon près de lui, à l’intérieur de lui, je dois tout exhumer mot à mot, piocher au fond du gâchis, des pattes de mouche et de cancrelat enchevêtrées, où ça se complique encore, bourré de fautes corrigées par des plus grosses ou des plus belles, trahissant en autres efforts impuissants celui d’échapper à la contamination culturelle, aux façons de parler devenues des façons de vivre, aux mots qui vous servent moins à vous exprimer qu’on ne se sert de vous pour s’exprimer à travers eux.»

Réjean Ducharme, Gros mots. Roman, Paris, Gallimard, 1999, 310 p., p. 38.

Autopromotion 020

Ce soir, entre 20 h et 21 h, l’Oreille tendue sera au micro de Marie-Louise Arsenault, à l’émission Plus on est de fous, plus on lit ! de la radio de la Première chaîne de Radio-Canada, pour parler de son Cabinet de curiosités épistolaires.

 

[Complément du jour]

On peut (ré)entendre l’entretien ici, à partir de la dix-neuvième minute.

 

Référence

Melançon, Benoît, Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires, Montréal, Del Busso éditeur, 2011, 165 p.

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture

Joueurs et lecteurs

Qui ne s’est pas un jour demandé ce que lisent les sportifs ? Plus précisément encore : les joueurs de hockey. En effet, les joueurs de hockey lisent.

Dans l’excellent recueil de quelques-uns de ses articles que vient de faire paraître Roy MacGregor, Wayne Gretzky’s Ghost and Other Tales from a Lifetime in Hockey (2011), on trouve des exemples de patineurs-lecteurs. L’inénarrable Don Cherry, aujourd’hui commentateur à la télévision, mais ci-devant joueur et entraîneur, raffole des livres d’histoire; il prétend même avoir lu tous les livres sur Horatio Nelson et la bataille de Trafalgar (p. 146). L’ex-gardien Gilles Gratton, un lecteur avide — «He reads constantly, even on the road» —, favorisait les livres d’astrologie, mais il ne dédaignait pas la lecture du Seigneur des anneaux (p. 158). Alexandre Daigle n’a pas eu la carrière qu’on lui promettait dans la Ligue nationale de hockey. Est-ce pour cela qu’il s’est mis à la lecture de Shakespeare et de Platon (p. 170 et p. 182) ? Ou l’inverse ?

Ken Dryden, qui fut gardien de but pour les Canadiens de Montréal avant de devenir député et ministre, a écrit des livres, dont un avec MacGregor (Home Game. Hockey and Life in Canada, 1989). En 1983, il publie The Game, un des rares classiques de la littérature sportive au Canada. Il y parle peu de ses propres lectures, bien qu’il cite Brecht (p. 128) et qu’il commente Freud (p. 190). En revanche, il décrit celles de ses coéquipiers Réjean Houle (des journaux et des biographies : Moshe Dayan, Martin Luther King, Pierre Elliott Trudeau [p. 69]) et Doug Risebrough (le même livre, ou une partie de celui-ci, durant toute une saison : Wind Chill Factor [p. 75]). Celles de Guy Lafleur ne sont pas abordées par Dryden, mais l’ailier droit en parle à Victor-Lévy Beaulieu en 1972 : «Je lis beaucoup de romans policiers, je lis toujours une centaine de pages avant de m’endormir. Je viens de terminer l’Édith Piaf de Simonne Berthaut, et le Parrain et Papillon» (p. 27).

L’actuel gardien des Flyers de Philadelphie aime bien exposer sa culture littéraire. C’est ce que souligne Jean Dion dans les pages du Devoir le 24 décembre 2011 : Ilya Bryzgalov trouverait réconfort «dans la lecture des philosophes grecs de l’Antiquité, Socrate (bien qu’il n’ait laissé aucun écrit), Platon, Aristote, chez Dostoïevski et Tolstoï» (p. C5).

Gratton, Dryden, Bryzgalov : ajoutons un quatrième cerbère — pour parler hockey — à cette courte liste, Jacques Plante. (On ne s’étonnera pas que les gardiens soient nombreux parmi les membres du peuple du livre hockeyistique : ils sont d’une espèce particulière.) Plante était connu tant pour avoir imposé le port du masque chez ses confrères que pour ses excentricités (il tricotait, il souffrait d’étranges troubles respiratoires, etc.). Il était dès lors attendu qu’il lise — mais à sa façon. S’il faut en croire Trent Frayne, dans The Mad Men of Hockey (1974), Plante, dans ses lectures, mêlait l’utile à l’agréable, tout en se méfiant de l’ennui :

Il attachait à sa chaussure un haltère de seize livres. Il lisait trois pages de son livre, faisait une pause pour lever l’haltère trois fois, de nouveau trois pages, puis trois autres levées. Il passait ensuite à l’autre jambe et, au besoin, à un autre livre (p. 41, traduction maison).

Plante pratiquait donc non seulement l’alternance des exercices, mais aussi des livres à lire. (Il s’agissait surtout de biographies, en anglais ou en français : Staline, Jacqueline Kennedy, Eisenhower, Churchill, Lénine, Khrouchtchev, Marx, Mao, Lester B. Pearson.)

Jean Béliveau fut un des plus célèbres coéquipiers de Jacques Plante. La lecture joue un rôle important dans son image publique. On le photographie en train de lire, ici par exemple. Il participe à des publicités pour la «Collection littéraire» des Éditions Marabout. Lecteur de romans policiers, Béliveau siège en 1956 au jury d’un prix québécois qui récompense un livre de Bertrand Vac, l’Assassin dans l’hôpital. Dans ses Mémoires, il se souvient de ses séances de lecture quand il habitait à Québec (p. 68 et p. 73), puis à Montréal (p. 136). Que lisait-il ? Ma vie bleu-blanc-rouge ne permet pas de répondre à cette question.

Jean Béliveau lecteur

Maurice Richard a joué avec Plante et Béliveau. On ne connaît pas avec beaucoup de précision ses lectures. S’il lui arrive d’être représenté un livre à la main, ce n’est jamais très instructif; sauf exceptions, on ne le dépeint qu’en présence de livres pour la jeunesse. Il signe la préface de quelques ouvrages, ce qui leur confère de la crédibilité, mais n’assure pas qu’il les ait lus. Lorsque sa famille met à l’encan une partie de la collection particulière du Rocket, il n’y a que quelques revues disponibles et peu de livres; toutes ces publications portent sur lui-même. C’est peu pour un portrait du marqueur en lecteur. Signalons un cas singulier : Richard et sa famille vantant un… dictionnaire.

Lecture du dictionnaire en famille chez Maurice Richard

On se gardera de tirer des conclusions d’un aussi petit échantillon, mais on peut néanmoins émettre une hypothèse : sauf pour Richard, les livres sur le hockey ne paraissent pas tenir une grande place dans les lectures des hockeyeurs. Mais les plombiers lisent-ils des livres sur la plomberie ?

P.-S. — L’Oreille a un fort vague souvenir de Rick Chartraw, un joueur des années 1970-1980 pour les Canadiens, parlant de sa lecture de Camus — mais peut-être a-t-elle rêvé.

 

[Complément du 16 mars 2017]

La chaîne Historia a consacré une série télévisée à Jean Béliveau. Selon la Presse+ du jour, on le voit en lecteur de Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy. C’est noté.

 

[Complément du 26 février 2023]

Sur son blogue, Stephen Smith évoque lui aussi des lectures de Jean Béliveau : Françoise Sagan et Tolstoï (il tiendrait un de ses ouvrages sur la photo évoquée ci-dessus).

 

Références

Beaulieu, Victor-Lévy, «Un gars ordinaire, qui vise le sommet», Perspectives (la Presse), 14 octobre 1972, p. 22, 24 et 27.

Béliveau, Jean, Chrystian Goyens et Allan Turowetz, Ma vie bleu-blanc-rouge, Montréal, Hurtubise HMH, 2005, 355 p. Ill. Préface de Dickie Moore. Avant-propos d’Allan Turowetz. Traduction et adaptation de Christian Tremblay. Édition originale : 1994.

Coucke, Paul, «Le prix du roman policier est décerné à Bertrand Vac», la Patrie, 31 janvier 1956, p. 24.

Dryden, Ken, The Game. A Thoughtful and Provocative Look at a Life in Hockey, Toronto, Macmillan of Canada, 1984, viii/248 p. Nombreuses rééditions et traductions. Édition originale : 1983.

Frayne, Trent, The Mad Men of Hockey, Toronto, McClelland & Stewart Limited, 1974, 191 p. Ill. Autre édition : New York, Dodd, Mead and Company, 1974, 191 p. Ill.

MacGregor, Roy, Wayne Gretzky’s Ghost and Other Tales from a Lifetime in Hockey, Toronto, Random House Canada, 2011, xx/369 p. Ill.

La capitalisation, sous ses deux espèces

Il y a, communément, l’«Action de capitaliser» (le Petit Robert, édition numérique de 2010). C’est affaire d’argent à amasser.

Une lectrice québécoparisienne de l’Oreille tendue propose, pour sa part, d’appeler capitalisation l’obsession de la capitale. L’Oreille se range volontiers à cette proposition.

Cette lectrice accompagne sa proposition d’un hyperlien. Icelui fait apparaître l’illustration suivante :

«Paris capitale», 2012

Est-ce à dire que la capitalisation ne serait pas un mal proprement québécois ? Il faudra se pencher sur cette question et voir quelles sont ses conséquences sur l’identité provinciale.