Accouplements 182

Réal Ouellet, Cet océan qui nous sépare, 2008, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Ouellet, Réal, l’Aventurier du hasard. Le baron de Lahontan. Roman, Québec, Septentrion, 1996, 435 p.

«Perds ta pagaie ou le canot si tu veux, mais pas la tête» (p. 89).

Ouellet, Réal, Cet océan qui nous sépare. Roman, Québec, Éditions Huit, coll. «Contemporains», 19, 2008, 254 p. Ill.

«Je ne vous dirai pas tous les projets qui bourdonnent dans ma tête, vous croiriez que je l’ai perdue» (p. 202).

Hotte, Sylvain, Attaquant de puissance, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 2, 2010, 219 p.

«Il perdait la tête en essayant d’arracher la mienne […]» (p.  142).

 

P.-S.—En effet, nous sommes en territoire de diaphore.

P.-P.-S.—Réal Ouellet est mort il y a quelques jours.

 

[Complément du jour]

L’Oreille tendue enseigne. Certains de ses anciens étudiants ont l’œil; c’est le cas de l’Oreille québecquoise, qui se souvient de la fin du film Ridicule (1996), réalisation de Patrice Leconte, scénario de Rémi Waterhouse :

Bellegarde : Mon chapeau ! Il est perdu !
Lord Bolingbroke : Cela vaut mieux que la tête, n’est-ce pas ?

Le zeugme du dimanche matin et de Charlotte Biron

Charlotte Biron, Jardin radio, 2022, couverture

«De l’autoroute jusqu’à la ville, de l’extérieur jusqu’à mon appartement, de grands roseaux, des oiseaux de proie et des chevreuils déjouent les bourrasques et les accidents avant que n’apparaissent des immeubles, des entrepôts et un bar de danseuses.»

Charlotte Biron, Jardin radio. Récit, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 166, 2022, 126 p., p. 85.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Julia Deck

Julia Deck, Monument national, 2022, couverture

«Geoffrey téléconférençait sur Zoom, il n’avait pas entendu. Sophie répéta. Il finit par tendre une oreille, la supposa toujours mal portante, car quelle femme dans son bon sens renoncerait aux avantages du nom et de la fortune pour une vie de divorcée ? Sophie considéra l’argenterie, la véranda sur le parc, reconnut qu’il y avait de la logique dans ce raisonnement.»

Julia Deck, Monument national. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2022, 204 p., p. 140-141.

In memoriam. Réal Ouellet (1935-2022)

Portrait de Réal Ouellet

 

«Bélanger salua d’un geste de la main,
enleva sa bougrine et son bonnet, puis s’assit devant son assiette.
Les épaules larges et hautes, le cheveu anarchique poivre et sel,
il parlait peu. On avait du mal à deviner son expression
tellement sa barbe envahissait tout son visage.»
L’Aventurier du hasard

Ces jours derniers, l’Oreille tendue travaillait sur l’œuvre de Louis-Antoine de Bougainville. Elle relisait alors des travaux de son collègue et ami Réal Ouellet. Au même moment, elle apprend sa mort, le 20 février.

Réal Ouellet était un des spécialistes les plus réputés du récit de voyage; d’abord centrées sur le XVIIIe siècle en Nouvelle-France, ses recherches s’étaient progressivement étendues historiquement — vers les XVIe et XVIIe siècles — et géographiquement — vers les Antilles. Sa bibliographie comporte autant des éditions de texte (Champlain, Sagard, Leclercq, Exquemelin, Pelleprat, Bouton, Saugrain, Lahontan, etc.) que des travaux critiques fondamentaux. Il laisse aussi des manuels sur l’étude du roman et du théâtre, des œuvres de fiction (poèmes, nouvelles, romans) et une anthologie de Nouvelles françaises du XVIIIe siècle.

En 2008, la Société canadienne d’étude du dix-huitième siècle en faisait un de ses membres d’honneur.

Premier président de notre société (1971-1972), organisateur du congrès de 1975 (Québec), Réal Ouellet a fait une fructueuse carrière au Département des littératures de l’Université Laval et enseigné à titre de professeur invité à Ferrare, en Martinique de même qu’en Colombie-Britannique. Spécialiste du roman classique, du théâtre, de la relation de voyage, des écrits missionnaires, de la représentation littéraire de la Nouvelle-France et des Antilles, en passant par les figures de l’Amérindien et du flibustier, Réal Ouellet a produit une œuvre critique sensible à toutes les formes d’altérité culturelle et géographique. Il s’est également illustré dans le domaine de l’édition critique (Lahontan, Sagard et Champlain, entre autres auteurs) et de la création littéraire (nouvelles, romans). Fondateur de la revue Études littéraires, membre actif du Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions (CELAT), M. Ouellet a vu son travail récompensé par la prestigieuse bourse Killam du Conseil des arts du Canada (1988-1989).

L’Oreille avait fait connaissance avec Réal Ouellet à la fin des années 1980, quand il était venu présenter une conférence à l’Université de Montréal devant la Société montréalaise du XVIIIe siècle. Au début des années 1990, il avait accepté de diriger ses recherches postdoctorales, à l’Université Laval et à l’Université Paris X-Nanterre, justement sur Bougainville. Au fil des ans, leurs chemins ont continué à se croiser, pour des conférences, dans des colloques, par courriel, au téléphone, avec des échanges de publications. La curiosité et la générosité de Réal Ouellet ne se sont jamais démenties, de même que sa faculté d’indignation («Voltaire a toujours déclenché chez moi une agressivité que j’ai du mal à contrôler», écrivait-il dans un courriel de février 2015; «Lui, c’est un insignifiant», disait-il de tel collègue peu apprécié, nonobstant son prestige).

Sa disparition, après celle de Gilles Marcotte, de Larry Bongie et de Laurent Mailhot touche l’Oreille. Ça commence à faire beaucoup — et ça ne va pas s’améliorer.

 

[Complément du 10 mars 2022]

Marie-Christine Pioffet a rendu hommage à Réal Ouellet pour le site de la Société canadienne d’étude du dix-huitième siècle.

 

Référence

Ouellet, Réal, l’Aventurier du hasard. Le baron de Lahontan. Roman, Québec, Septentrion, 1996, 435 p.

Quelques livres de Réal Ouellet