Sacre fusion

Pierre Vadeboncoeur, croquis

L’autre jour, causant juron, l’Oreille tendue saluait la richesse de crisse.

La lecture récente d’un recueil (posthume) de croquis de l’essayiste québécois Pierre Vadeboncoeur lui donne l’occasion d’ajouter un mot aux constructions dans lesquelles entre crisse.

On le trouve dans le titre d’un des croquis de Vadeboncoeur : «Qui-dame déconcrissée» (p. 41).

Qui est déconcrissé ne se porte pas bien, est défait, déconstruit. Léandre Bergeron (1980, p. 170) lui connaît deux synonymes : «Découragé. Déprimé.»

Si l’adjectif est attesté, le mot peut aussi être un verbe, encore que sous une forme parfois légèrement différente. On voit en effet aussi décocrisser, sans n, par exemple dans la chanson «Engagement» de Robert Charlebois (1968) : «Ça s’décocrisse» et «Ça m’décocrisse». Bergeron signale l’adjectif décocrissé dans son supplément de 1981 (p. 89), mais pas le verbe.

Encore une fois et toujours : on ne prête qu’aux riches.

 

[Complément du 20 mai 2015]

Un substantif avec ça ? Hervé Bouchard propose «déconchrission» (2014, p. 180 et 181).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Bouchard, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 14, 2014, 238 p.

Charlebois, Robert, «Engagement», Robert Charlebois-Louise Forestier, 1968, disque 33 tours, étiquettes Gamma GS-120 et Barclay 920.068 (Europe); repris dans l’Histoire de Robert Charlebois, 1977, disque 33 tours, étiquette Gamma GS-601, dans Collection souvenir, 1990, disque audionumérique, étiquette DMI 2-61190, dans Robert Charlebois-Louise Forestier, 1991 (1968), disque audionumérique, étiquette G277 et dans Québec love. La collection, disque audionumérique, 1993, étiquette Gamma GCD-501.

Vadeboncoeur, Pierre, Petite comédie humaine. Croquis, Montréal, Del Busso éditeur, 2011, 191 p. Ill. Présentés par Réjean Beaudoin.

Non, ce n’est pas douteux

Soit les définitions suivantes de l’adjectif douteux : «Dont l’existence ou la réalisation n’est pas certaine»; «Dont la nature n’est pas certaine; sur quoi on s’interroge»; «Qui n’a pas ou ne semble pas avoir les qualités qu’on en attend; dont la qualité est mise en cause» (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

L’Oreille s’étonne toujours de l’entendre ou de le lire chez les commentateurs sportifs : «Sauf que le Canadien perdait 3 à 1, et que sur les trois buts accordés par Théodore, deux étaient douteux» (la Presse, 20 février 2001). Les buts ont été marqués ou pas ?

Son étonnement est semblable devant tel fait divers : «Un incendie douteux fait une victime» (la Presse, 14 août 2002). Il y a eu incendie ou pas ?

Le Devoir du 1er décembre dernier était plus troublant encore : «Décès douteux», sous-titrait-il (p. B5). Il y avait un mort ou pas ?

Rien de tout cela ne paraît douteux à l’Oreille, mais peut-être est-elle dure d’oreille.

Onzième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Palindrome

Définition

«(gr. palindromos = qui court en sens inverse, qui revient sur ses pas). Forme particulière d’anagramme : mot ou phrase, voire petit texte, qui peut indifféremment être lu de gauche à droite ou de droite à gauche en conservant le même sens. Ex. : été, radar, Laval, Ésope reste ici et se repose; ou, en anglais, ce petit dialogue plaisant : “Madam, I’m Adam. — Sir, I’m Iris”. Grand virtuose de l’Oulipo, Georges Perec est connu pour avoir écrit un palindrome de plus de 5000 signes !» (Dictionnaire des termes littéraires, p. 344).

Exemples

«Not so, Boston» (Roger Angell, du New Yorker, au sujet des Red Sox, l’équipe de baseball de Boston).

«Sexe vêtu, tu te vexes ?» (Luc Étienne, le Magazine littéraire, 316, décembre 1993, p. 79).

«Je vois le nom Canam Manac à l’entrée nord-ouest qui est un drôle de palindrome pour une compagnie» (Mahigan Lepage, Vers l’ouest, 2009).

P.-S. — On ne confondra par le palindrome avec le boustrophédon. Ce dernier est une «Transcription graphique de droite à gauche» (Gradus, éd. de 1980, p. 95). C’est aussi le nom d’un bateau dans l’Équipée malaise de Jean Echenoz.

 

[Complément du 18 juillet 2015]

Bâtir l’intrigue d’un film sur un palindrome (kayak) ? C’est ce que fait Bruno Podalydès en 2014 avec Comme un avion.

 

[Complément du 17 juin 2016]

Palindrome avec «Dammit»

 

[Complément du 26 juin 2016]

Le palindrome peut être constitué de lettres. Il peut aussi être constitué de chiffres. Exemple («note palindrome, Épinal [Vosges], 6 décembre 2014») emprunté à la livraison du jour des Notules dominicales de culture domestique de Philippe Didion.

Ph. Didion, «note palindrome, Epinal (Vosges), 6 décembre 2014»

 

[Complément du 9 juillet 2016]

Laval, en banlieue de Montréal, aura l’an prochain un nouvel équipement sportif. Les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — pensent y installer une équipe. Comment l’appeler ? Quel personnel embaucher ? Deux suggestions glanées sur Twitter hier.

«Je suggère “Les Palindromes de Laval”», Gabriel Béland, Twitter, 8 juillet 2016

«Joel Otto ferait un bon coach. Lupul capitaine ?», Patrick Leduc, Twitter, 8 juillet 2016

 

 

[Complément du 28 février 2017]

Joli tweet que celui-ci :

Palindromes et xanax, Bob Phillips, Twitter, 26 février 2027

 

Si votre trouble obsessionnel compulsif (OCD : Obsessive-Compulsive Disorder) implique l’usage de palindromes, n’est-il pas normal que l’on vous traite avec du Xanax ?

 

[Complément du 2 février 2020]

Grosse journée pour les palindromes aujourd’hui : 02 02 2020.

 

[Complément du 14 novembre 2022]

Sur Twitter, gracieuseté de Clara Dealberto, une carte des villes de France dont le nom est un palindrome.

Carte des villes de France dont le nom est un palindrome, par Clara Dealberto

[Complément du 6 novembre 2023]

Palindrome funéraire, gracieuseté de Philippe Didion.

Tombe de Léon Noël, cimetière du Père-Lachaise, Paris. Photographie de Philippe Didion

 

[Complément du 23 juin 2024]

Twitter est un bon réservoir de palindromes.

«“Ressasser” est le plus long palindrome de la langue française. Sachez-le» (30 novembre 2013).

«Engage le jeu, que je le gagne. #PalindromeDuJour» (7 mai 2013).

«Oui, “La malade pédala mal” peut se lire dans les deux sens. Mais la malade, elle, ne peut pédaler que dans UN sens. Le monde est mal fait» (8 juin 2012).

 

[Complément du 26 mars 2025]

Il arrive que certains palindromes marchent particulièrement bien. C’est le cas d’un mot en anglais : «it’s kind of delightful that the word ROTATOR is a palindrome» (Bluesky).

 

Références

Brasseur, Roland, «Perec sur ordinateur», le Magazine littéraire, 316, décembre 1993, p. 79-80.

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Echenoz, Jean, l’Équipée malaise. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1986, 251 p.

Lepage, Mahigan, Vers l’ouest, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Décentrements», 2009. Édition numérique.

Van Gorp, Hendrik, Dirk Delabastita, Lieven D’hulst, Rita Ghesquiere, Rainier Grutman et Georges Legros, Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Honoré Champion, coll. «Dictionnaires & références», 6, 2001, 533 p.

Méfions-nous

Derrière les apparences se cachent parfois des choses troubles. Les journaux ne cessent de le répéter : là, c’est sombre.

«Le côté sombre de l’art public» (la Presse, 3 décembre 2011, cahier Arts, p. 20).

«Le côté sombre de Bobby Hull» (la Presse, 15 octobre 2011, cahier Sports, p. 3).

«Le côté sombre d’une grande actrice» (la Presse, 24 février 2011, cahier Arts et spectacles, p. 10).

«Le côté sombre de l’Ohio» (la Presse, 30 juillet 2010, cahier Arts et spectacles, p. 1).

«Le côté sombre d’une victoire» (le Devoir, 3 novembre 2009, p. A3).

«Le côté sombre du modèle» (la Presse, 6 décembre 2003, cahier Plus, p. 3).

«Le côté sombre de l’assiette» (la Presse, 20 juin 2009, cahier Cinéma, p. 6).

«Le côté sombre des Golden Globes» (la Presse, 21 janvier 2004, cahier Arts et spectacles, p. 1).

«Le “côté sombre” des nouvelles technologies» (la Presse, 15 mai 2006, cahier Auto, p. 5).

«Le côté sombre des nouvelles technologies» (le Devoir, 6 mai 2002).

«Le côté sombre de Stephen Harper» (le Devoir, 9 décembre 2008, p. A8).

Mais il n’y a pas que sombre. Il y a aussi obscur, négatif ou noir.

«Le côté obscur du cœur» (le Devoir, 21-22 août 2010, p. E7).

«Le côté obscur de Herbert Black» (la Presse, 26 novembre 2005, cahier Affaires, p. 1).

«Le côté obscur de Miami» (le Devoir, 29-30 juillet 2006, p. E5).

«Le côté obscur de Wall Street» (le Devoir, 15 septembre 2003).

«Le côté obscur de l’internet» (la Presse, 15 février 2010, cahier Affaires, p. 3).

«Le côté négatif de l’embourgeoisement» (la Presse, 21 novembre 2004, cahier Plus, p. 3).

«Le côté noir des femmes» (la Presse, 8 mars 2002).

Ce n’est pas rassurant tout ça.