Rime rare

Hubert-Félix Thiéfaine, Tous ces mots terribles, 2008, pochette

Soit les deux vers suivants :

En plus d’l’alphabet du calcul
J’ai pris beaucoup de pieds au cul.

De deux choses l’une : ou bien la rime se fait avec calcul (kalkule) ou bien avec cul (ku).

Réponse chez Hubert-Félix Thiéfaine.

 

Référence

Thiéfaine, Hubert-Félix, «Tranche de vie», Tous ces mots terribles. Hommage à François Béranger, Meso Productions, 2008.

Progrès ?

«Menthez pas ça», conseillent les panneaux de McDonald à Montréal.

Un journaliste de la Presse n’en peut plus des publicités télévisées mettant en vedette Élyse Marquis (Swiffer) et François Massicotte (Sponge Towel). Dans quelle catégorie ranger icelles si on les trouve pénibles ? Le «malaisant» (22 mai 2010, cahier Arts et spectacles, p. 8).

Qu’une langue évolue, rien de plus naturel. On a cependant le droit de grincer des dents à l’occasion — d’autant que ça ne change rien à l’affaire : on n’arrête pas le progrès.

Citation dictionnairique du jour

Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation, éd. de 2001 (1966), couverture

«J’ai fait cent fois réflexion, en écrivant, qu’il est impossible, dans un long ouvrage, de donner toujours les mêmes sens aux mêmes mots. Il n’y a point de langue assez riche pour fournir autant de termes, de tours et de phrases que nos idées peuvent avoir de modifications. La méthode de définir tous les termes, et de substituer sans cesse la définition à la place du défini, est belle, mais impraticable; car comment éviter le cercle ? Les définitions pourraient être bonnes si l’on n’employait pas des mots pour les faire. Malgré cela, je suis persuadé qu’on peut être clair, même dans la pauvreté de notre langue, non pas en donnant toujours les mêmes acceptions aux mêmes mots, mais en faisant en sorte, autant de fois qu’on emploie chaque mot, que l’acception qu’on lui donne soit suffisamment déterminée par les idées qui s’y rapportent, et que chaque période où ce mot se trouve lui serve, pour ainsi dire, de définition.»

Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation, Paris, GF Flammarion, coll. «GF», 117, 2001, 629 p., livre second, p. 133, note. Chronologie et introduction par Michel Launay. Édition originale : 1762.

Locomotion Québec 101

L’usage du genre féminin est parfois troublant au Québec. Pour des raisons que l’Oreille tendue s’explique mal, c’est particulièrement le cas pour les moyens de locomotion.

On entend (trop) souvent une ascenseur, une escalier roulante, une avion. On ne s’étonnera pas, dans la mesure où quelqu’un dit une autobus, de le savoir prendre la 165 ou la 801. (Alexis Lefrançois l’avait bien vu, en 1971, dans son recueil de poésie 36 petites choses pour la 51.)

Comme toute bonne règle, celle-ci souffre néanmoins une exception : un ambulance.

 

[Complément du 29 septembre 2020]

Ajoutons au dossier cette pièce, diffusée sur Twitter :

«Valideurs à l’essai sur la 139», Twitter, 29 septembre 2020

Du qui qui

Joseph Dumais, le Parler de chez nous. 1922, couverture

Quiconque prête l’oreille dans la Belle Province aura entendu des interrogations en double qui, en construction simple ou complexe. Exemple (classique) de construction simple : Les amis de la garderie, qui qui veut des beignes à matin ? Complexe : De qui qui a peur ?

On aurait tort de penser qu’il s’agit d’une tournure récente. On la trouvait déjà (au moins) au début du XXe siècle.

Soit une brochure de 1922 : le Parler de chez nous. Conférence donnée à l’Hôtel de ville de Québec, sous le patronage de la Société des arts, sciences et lettres, par M. Joseph Dumais. Professeur de diction française, directeur du Conservatoire de Québec, membre de la Société des auteurs canadiens et de la Société des arts, sciences et lettres. L’auteur y traite surtout de phonétique, à la fois française et canadienne (comme on disait à l’époque). Non sans humour, il transcrit des phrases, de France et du Québec, «en gardant l’orthographe qui correspond à la prononciation» (p. 29).

L’une de ces transcriptions est datée du 18 mai 1918. Elle rapporte le difficile parcours scolaire d’un garçon appelé Nicole. Le texte se termine par une interrogation de la mère du petit : «Pou’ez-vous m’dir’ de qui qui quien ?» (p. 31)

Pouvez-vous me dire de qui il tient ? n’aurait certes pas eu le même charme.

 

[Complément du 23 mars 2012]

Pour en savoir plus sur Dumais, on pourra lire le Diable en ville. Alexandre Silvio et l’émergence de la modernité populaire au Québec (2012, p. 203-215).

 

[Complément du 26 mars 2019]

En 1937, la brochure le Bon Parler français considérait «Qui qui parle ?» comme une «question fautive» (p. 16).

 

Références

Le Bon Parler français, La Mennais (Laprairie), Procure des Frères de l’Instruction chrétienne, 1937, 24 p.

Dumais, Joseph, le Parler de chez nous. Conférence donnée à l’Hôtel de ville de Québec, sous le patronage de la Société des arts, sciences et lettres, par M. Joseph Dumais. Professeur de diction française, directeur du Conservatoire de Québec, membre de la Société des auteurs canadiens et de la Société des arts, sciences et lettres, Québec, Chez l’auteur, 1922, ii/41 p. Préface d’Alphonse Désilets, B.A., Homme de lettres, etc.

Lacasse, Germain, Johanne Massé et Bethsabée Poirier, le Diable en ville. Alexandre Silvio et l’émergence de la modernité populaire au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2012, 299 p. Ill.