Pas derrière Zdeno Chára

Dans la Presse+ d’hier, rubrique «Mauvaise conduite», sept journalistes qui y couvrent le sport répondaient à la question «Quelle expression liée au sport vous irrite le plus ?» Réponses : le recours au «tu» collectif (Simon-Olivier Lorange), «éthique de travail» (Guillaume Lefrançois), «grande finale» (Mathias Brunet), «match sans lendemain» (Richard Labbé), «tir sans avertissement» (Justin Vézina), «équipe canadienne de soccer féminin» (Nicholas Richard), «vibrer les cordages» (Jean-François Tremblay).

L’Oreille tendue a beaucoup (trop) réfléchi à la langue du hockey. Que répondrait-elle à cette question ?

Elle choisirait probablement le verbe se blottir, si cher au cœur du commentateur Yvon Pedneault. Exemple : «X est allé se blottir derrière le défenseur.»

Au sens strict, cet usage peut se défendre, si l’on en croit les définitions du Petit Robert (édition numérique de 2018) : «Se ramasser sur soi-même, de manière à occuper le moins de place possible»; «Se mettre à l’abri, en sûreté.»

Cela étant, l’Oreille, quand elle entend se blottir, pense lit, couverture, confort. Le Petit Robert, encore : «Se blottir dans un coin, dans son lit, sous ses couvertures.»

Elle ne penserait jamais à cela en allant se placer derrière (l’ancien joueur) Zdeno Chára, 2,06 m, 116 kilos (souvent déposés peu délicatement sur un joueur adverse). Il y a des endroits plus accueillants dans la vie.

Bien sûr, vous vous blottissez où vous voulez sur la glace. Tous les dégoûts sont dans la nature.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Benoît Melançon, Langue de puck. Abécédaire du hockey, 2014, couverture

Le zeugme du dimanche matin et d’André Carpentier

André Carpentier, Journal de mille jours, 1988, couverture

«Je doute si je suis jamais plus près de l’incendie ! Des ouvriers qui creusaient un trou devant la maison avec une excavatrice ont touché des fils de l’Hydro et ont arraché le fil d’alimentation de l’entrée d’électricité dans la salle de lavage. Si cela s’était produit durant mon absence […], j’aurais sans doute retrouvé la maison brûlée; les deux creuseurs ne voyaient, joli zeugma, ni la fumée ni l’utilité d’appeler les pompiers.»

André Carpentier, Journal de mille jours. Carnets 1983-1986, Montréal, XYZ éditeur et Guérin, coll. «Guérin littérature», 1988, 354 p., p. 207.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Autopromotion 703

«Dessein», deuxième volume des planches de l’Encyclopédie, Paris, 1763, planche XXXVII

La 561e livraison de XVIIIe siècle, la bibliographie de l’Oreille tendue, est servie.

La bibliographie existe depuis le 16 mai 1992. Elle compte 66 043 titres.

Illustration : «Dessein», deuxième volume des planches de l’Encyclopédie, Paris, 1763, planche XXXVII

Accouplements 206

Le restaurant Madame Bovary, à Boucherville, présenté dans la Presse+ en 2017

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Dans la Presse+ du jour, Dominic Tardif rend compte du premier roman d’Étienne Tremblay, le Plein d’ordinaire (Montréal, Les Herbes rouges, 2023, 320 p.), et interviewe son auteur.

À un moment, ils causent Flaubert :

Inspiré par l’aversion pour la métaphore d’un Paul Léautaud — «J’apprécie les belles images, mais je n’ai pas beaucoup de patience pour la fumisterie des artifices inutiles» —, Étienne Tremblay dit aussi avoir été marqué par l’absence de jugement avec laquelle Flaubert considère ses personnages. Votre journaliste lui souligne que son flemmard de narrateur a beaucoup en commun avec une certaine Emma Bovary, qui ne parvenait à pleinement exister que par l’entremise de sa riche imagination.

«C’est vrai qu’il y a un certain bovarysme bouchervillois chez Mathieu», acquiesce le jeune auteur en riant, fort probablement la première fois de l’histoire de l’humanité que ces deux mots furent prononcés dans la même phrase.

L’association des mots bovarysme et bouchervillois n’irait donc pas de soi. Ça se discute.

En effet, dans la même Presse+, le 24 juin 2017, une chronique gastronomique s’intitule «Flaubert à Boucherville». Elle porte sur le restaurant Madame Bovary.

Méditons sur ces liens plus fréquents qu’on ne le pense.

P.-S.—Tardif offre une belle diaphore à ses lecteurs : «Mathieu vend de l’essence et s’éloigne peu à peu de la sienne.»

Les mystères de la conception expliqués aux enfants et au XVIIIe siècle

Mouhy, Mémoires d’Anne-Marie de Moras, éd. de 2006, couverture

Le chevalier de Mouhy (1701-1784) est un prolifique auteur du Siècle des lumières. La première édition de son roman Mémoires d’Anne-Marie de Moras paraît en 1739.

On y trouve un échange entre deux personnes du sexe, l’une âgée de dix ans, l’autre, de treize.

La première s’interroge :

Je conçois bien que le mariage unit un cavalier avec une demoiselle; que ces deux personnes vivent ensemble étroitement si l’inclination est mutuelle, qu’il provient de cette union des enfants, qui portent le nom de l’époux; mais je ne conçois pas comment tout cela se fait (éd. de 2006, p. 53).

La seconde répond :

Ne vous souvenez-vous pas d’avoir vu faire des bouteilles [des bulles] de savon aux petites filles ? […] Hé bien, continua Julie, voilà le secret que vous me demandez. […] Le brin de paille par lequel on souffle l’eau de savon, la bouteille qui est d’abord petite, et puis qui s’enfle peu à peu. Voilà l’énigme. Ne m’en demandez pas davantage; on ne m’en a pas plus appris, et vous m’interrogeriez vainement (éd. de 2006, p. 55).

Voilà : vous savez tout.

P.-S.—Il y a des façons plus crues de dire la même chose.

 

Référence

Mouhy, Mémoires d’Anne-Marie de Moras. Roman, Paris, Desjonquères, coll. «XVIIIe siècle», 2006, 232 p. Version de 1769. Texte établi, annoté et postfacé par René Démoris.