Néologicocratie du matin

Le suffixe -cratie (du grac kratos, «force», «puissance», selon le Petit Robert) est commun dans la création de nouveaux mots.

S’il existe des pédagocrates (la Presse+, 13 novembre 2016), c’est que la pédagocratie existe.

Au Québec, mais pas seulement, la festivocratie sévit depuis de nombreuses années (le Devoir, 16 février 2009); il y a nombre de festivocrates autour de nous (le Devoir, 5 avril 2013, p. A8). Philippe Muray est passé par là.

Antoine Robitaille, l’éditorialiste du quotidien le Devoir, emploie festivocratie et festivocrate, mais aussi médicalocratie. Le mot désigne la forte présence, au Québec, de médecins dans les hautes sphères du pouvoir (le Devoir, 12 juillet 2014).

On ne la confondra pas avec la sociocratie : ce «mode de gouvernance inventé par l’ingénieur Gerard Endenburg aux Pays-Bas […] existe depuis les années 70. Tout comme l’holacratie, la sociocratie fonctionne selon des cercles de concertation et rejette la pyramide hiérarchique pour les prises de décision» (la Presse, 20 juin 2015, cahier Affaires, p. 9).

Joan Fontcuberta parle d’iconocratie pour notre époque, où l’image «prévaut par-dessus [le sujet photographié]» (le Devoir, 5-6 septembre 2015, p. E1).

Comment dire un «système où les discours et les décisions sont dictés par l’émotion» ? Jean-Jacques Jespers, professeur de journalisme à l’Université libre de Bruxelles, a forgé émocratie (Alteréchos, 15 avril 2016).

Il y a même des gens pour annoncer les néologismes du futur : «Un fait divers isolé = une généralité = une polémique = une loi. On l’appellera dans les manuels l’anecdocratie…» (@Chouyo, 29 avril 2015).

Capotez-vous ?

«Décapotante», publicité automobile, 2012

Il est des mots qui peuvent dire une chose et son contraire. Ainsi, au Québec, d’écœurant, parfois synonyme de très bien, parfois pas du tout.

Capoter est un cas semblable. Voici comment l’Oreille tendue codéfinissait le terme en 2004 dans le Dictionnaire québécois instantané :

1. Beaucoup apprécier, voire tomber en extase. En écoutant le dernier album de Céline, j’ai capoté. Voir débile, extrême, full, hyper, masse (en ~), max, méchant, méga, moyen, os (à l’~), pas à peu près, phat, planche (à ~), super, torcher et über.

2. Devenir fou de rage. En écoutant le dernier album de Céline, j’ai capoté. Voir coche (sauter une ~) et fils (avoir deux ~ qui se touchent) (p. 35).

Pourquoi rappeler cela aujourd’hui ? À cause de ce tweet :

https://twitter.com/machinaecrire/status/810221102320521216

Outre l’emploi absolu (J’ai capoté) et l’emploi intransitif (J’ai capoté sur l’album de Céline), il existerait donc un emploi transitif (J’ai capoté ma vie), qu’on pourrait rapporter au modèle de J’ai pleuré ma vie.

C’est toujours bon à savoir.

 

[Complément du 9 février 2020]

Les anglophones (et les autres) apprécieront le tableau ci-dessus, vu sur Twitter.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

 

Le zeugme du dimanche matin et d’Alessandro Baricco

Alessandro Baricco, la Jeune Épouse, 2016, couverture

«Modesto esquissa une courbette reconnaissante et s’éloigna du lit en faisant les premiers pas à reculons. Puis il pivota sur lui-même, comme si un coup de vent et non un choix inopportun lui avait dicté ce mouvement. Enfin, il sortit de la pièce et de ce livre sans dire un mot.»

Alessandro Baricco, la Jeune Épouse. Roman, Paris, Gallimard, coll. «Du monde entier», 2016, 223 p., p. 220. Traduction de Vincent Raynaud. Édition originale : 2015.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)