Néologisme estrien

Gilles Marcotte, le Manuscrit Phaneuf, 2005, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du roman policier (façon de parler) le Manuscrit Phaneuf de Gilles Marcotte (2005) :

Il alla voir les villages de Melbourne et d’Ulverton, dont un ami lui avait déjà vanté les charmes vétéro-britanniques (p. 73).

«Vétéro-britanniques» ? Le préfixe renvoie à l’ancien, comme dans vétérotestamentaire (relatif à l’Ancien Testament). Britanniques rappelle que les Cantons-de-l’Est, où se trouvent, au sud de Montréal, Melbourne et Ulverton, sont des lieux de vieille implantation anglophone.

Que faut-il retenir de cet assemblage néologique ? La profondeur historique (l’Ancien Testament) ? L’histoire plus récente (les Britanniques) ? Leur union en un seul espace ? Le mariage de la Bible et de la couronne d’Angleterre, de la religion et de la politique, de l’hébreu et de l’anglais ? Tout cela ?

Saluons à tout le moins la pénétration du regard et le sens de la formule.

 

Référence

Marcotte, Gilles, le Manuscrit Phaneuf. Roman, Montréal, Boréal, 2005, 216 p.

Réédition du jour

Élisabeth Bourguinat, Persifler au Siècle des lumières, 2016, couverture

 

En 1999, dans les pages de la revue savante Eigteenth-Century Fiction, l’Oreille tendue disait tout le bien qu’elle pensait de l’ouvrage d’Élisabeth Bourguinat le Siècle du persiflage (1998). Cet ouvrage était tiré de la thèse de doctorat de l’auteure (1995).

Extraits du compte rendu :

Le Siècle du persiflage est de ces ouvrages qui changent la façon commune de lire. Au sortir de sa lecture, l’on voit en effet le mot persiflage partout dans les œuvres du XVIIIe siècle et l’on ne peut cesser de s’interroger sur ses sens multiples !

[…]

Par son attention aux écrits mineurs comme aux grandes œuvres, par sa capacité à lier explication de texte et regard panoramique, par la nouveauté de ses hypothèses, par la précision de sa langue, par la fécondité des problèmes qu’elle soulève, par la qualité de sa documentation, par son attention à la moindre inflexion lexicale, Élisabeth Bourguinat mérite non seulement d’être lue, mais d’être contestée, interrogée, prolongée. C’est le signe d’un ouvrage stimulant et nécessaire.

Quelques mois plus tard, l’Oreille apprenait qu’Élisabeth Bourguinat avait mis fin à sa carrière universitaire (voir ici le texte d’une conférence de 2000 dans laquelle l’Oreille revient sur cet ouvrage «witty as hell»).

Bonne nouvelle au courrier d’aujourd’hui : l’ouvrage reparaît, chez Créaphis, avec une préface d’Arlette Farge.

Vous devriez le lire.

 

Références

Bourguinat, Élisabeth, «Le persiflage dans la littérature française du XVIIIe siècle (1735-1810) : modernité d’un néologisme», Paris, Université de Paris IV-Sorbonne, thèse de nouveau doctorat, 1995. Dir. : Jean Dagen

Bourguinat, Élisabeth, le Siècle du persiflage. 1734-1789, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Perspectives littéraires», 1998, 228 p.

Bourguinat, Élisabeth, Persifler au Siècle des lumières. Histoire du mot «persiflage» 1734-1789, Garne, Créaphis, coll. «Poche», 2016, 320 p. Préface d’Arlette Farge. Édition originale : 1998.

Melançon, Benoît, compte rendu d’Élisabeth Bourguinat, le Siècle du persiflage. 1734-1789 (Paris, Presses universitaires de France, coll. «Perspectives littéraires», 1998, 228 p.), Eighteenth-Century Fiction, 11, 4, juillet 1999, p. 511-514.

Melançon, Benoît, «I’d Love to be Thrilled. The Current State of Eighteenth-Century French Studies», conférence présentée devant le Eighteenth-Century Studies Group, University of Saskatchewan, Saskatoon, 9 mars 2000. https://benoitmelancon.quebec/saskatoon2000.html

Trente-deuxième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Substitution

Définition

«Dans une formule attendue, cliché, syntagme figé, proverbe, citation, idée “reçue”, on remplace certains lexèmes par d’autres, inverses, ou étonnants» (Gradus, éd. de 1980, p. 426).

Exemples

«Le Québec brillait par sa présence à la Journée de la Francophonie, plus de 700 participants à l’Institut français !» (@QuebecJapon)

«J’aime la chanson actuelle de toute ma faiblesse» («La rue s’allume», éd. de 1966, p. 28).

 

Références

Belleau, André, «La rue s’allume», Liberté, 46 (8, 4), juillet-août 1966, p. 25-28; repris dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 17-19; repris dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 59-63; repris dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 59-64. https://id.erudit.org/iderudit/30058ac

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Citer en public

Il y a ceux qui citent et qui le disent : «Je cite.»

Il y a ceux qui citent et qui marquent leurs citations de guillemets avec leurs doigts (air quotes, disent les anglophones).

Il y a ceux qui citent en utilisant une voix pour le texte et une autre pour les citations. (Promis juré : l’Oreille tendue a déjà assisté à cela.)

Variation. Il y a ceux qui lisent leur texte d’une voix posée et qui, comédiens souvent piètres ou frustrés, jouent les citations avec grandiloquence. (Bis : promis juré.)

Il y a, dit-on, ce duo où l’un faisait le texte et l’autre les notes — faisait-il aussi les citations ?

Il y a ceux qui lisent sur leur feuille la citation qu’ils projettent à l’écran avec un PowerPoint. Plus elle est longue, meilleur c’est, croient-ils.

Et il y a ceux qui s’arrangent pour que leurs auditeurs comprennent, comme des grands, qui parle, d’eux ou des auteurs cités.

P.-S. — On peut ajouter ce qui précède aux «Scènes de la vie de colloque» que publiait l’Oreille en 2008.

 

[Complément du 5 avril 2016]

Et il y a ceux qui citent et qui annoncent «Ouvrez les guillemets», puis «Fermez les guillemets». C’est donc à leur public de faire le travail.

 

Référence

Melançon, Benoît, «Scènes de la vie de colloque (extraits)», le Pied (journal de l’Association des étudiants du Département des littérature de langue française de l’Université de Montréal), 4, 29 février 2008, p. 12-13. Repris dans la Vie et l’œuvre du professeur P. Sotie, Montréal, À l’enseigne de l’Oreille tendue, 2022, p. 43-48. https://doi.org/1866/13167