Le sens de la famille

Les familles combattent le fascisme !, 2013, couverture

En 2004, l’Oreille tendue cosignait un Dictionnaire québécois instantané. L’entrée «famille dysfonctionnelle» y tenait en un mot : «Pléonasme» (p. 88).

Les éditions montréalaises Le Quartanier semblent partager le point de vue de l’Oreille. En quatrième de couverture de Les familles combattent le fascisme ! de Jacob Wren, on lit en effet : «Un théoricien du complot apparaît sur le pas de la porte d’une famille normale, c’est-à-dire dysfonctionnelle, et loue une chambre au sous-sol.»

 

[Complément du 7 décembre 2022]

Dans une entrevue accordée au magazine The New Yorker, Robert McKee abonde dans le même sens : «McKee is from the suburbs of Detroit, the son of an engineer and a real-estate agent. “I was raised in a family—dysfunctional, of course,” he said. “Then I raised a family—dysfunctional, of course. I think all the best families are. You don’t want a happy childhood!”»

 

Références

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Wren, Jacob, Les familles combattent le fascisme !, Montréal, Le Quartanier, coll. «Nova», 10, 2013, 48 p. Traduction de Christophe Bernard.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Moyennant moyenner

Y a toujours moyen de moyenner, film de Denis Héroux, 1973

L’Oreille tendue a eu plusieurs occasions de le dire : elle est une lectrice assidue des Notules dominicales de culture domestique de Philippe Didion.

Dans la livraison servie le 24 novembre, le Notulographe, s’agissant du roman Au Bon Beurre de Jean Dutourd, écrit : «J’ai retrouvé aussi, comme cela s’est déjà produit chez Fallet, des expressions qu’il m’arrive d’employer et que je n’avais jamais vues écrites, comme “si y a moyen de moyenner” ou “aller au chlofe”.»

L’Oreille ne connaît pas aller au chlofe. Y a moyen de moyenner, si, car l’expression est fréquente au Québec. Définition du Wiktionnaire : «Trouver une solution malgré certaines difficultés.» Exemple, tiré des débats parlementaires, toujours selon le Wiktionnaire : «J’ai toujours pensé qu’il y avait moyen de moyenner puis d’arranger les choses en tenant compte des opinions […]. — (Assemblée nationale du Québec, Journal des débats, 14 novembre 1996).»

Les gens de la génération de l’Oreille se souviennent d’un film de 1973, signé Denis Héroux, qui portait ce titre. Ce n’est pas exactement un classique du cinéma québécois.

Citation pleine de bon sens du samedi matin

Victor Hugo, portrait

«[La] langue française n’est point fixée et ne se fixera point. Une langue ne se fixe pas. L’esprit humain est toujours en marche, ou, si l’on veut, en mouvement, et les langues avec lui. Les choses sont ainsi. […] Toute époque a ses idées propres, il faut qu’elle ait aussi les mots propres à ces idées. Les langues sont comme la mer : elles oscillent sans cesse. À certains temps, elles quittent un rivage du monde de la pensée et en envahissent un autre. Tout ce que leur flot déserte ainsi sèche et s’efface du sol. C’est de cette façon que des idées s’éteignent, que des mots s’en vont. Il en est des idiomes humains comme de tout. Chaque siècle y apporte et en emporte quelque chose. Qu’y faire ? cela est fatal. C’est donc en vain que l’on voudrait pétrifier la mobile physionomie de notre idiome sous une forme donnée. C’est en vain que nos Josué littéraires crient à la langue de s’arrêter; les langues ni le soleil ne s’arrêtent plus. Le jour où elles se fixent, c’est qu’elles meurent.»

Victor Hugo, Préface de Cromwell, édition d’Anne Ubersfeld, dans Œuvres complètes. Vol. 12. Critique, présentation de Jean-Pierre Reynaud, Paris, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1985, xiii/761 p., p. 1-44, p. 30-31. Édition originale : 1827.

Bell et la linguistique

L’Oreille tendue le disait l’autre jour : la compagnie de télécommunications Bell méprise la langue française et, par là, ses clients, actuels et potentiels, et les téléspectateurs qui sont exposés à ses publicités. Elle semble refuser de le reconnaître, mais, pour certains, «ça leur dérange».

(Félicitons au passage la Société Radio-Canada qui a retiré de ses ondes le message dont il était question ici le 21 octobre. Le Réseau des sports n’a pas eu le même courage. Il est vrai qu’il est propriété… de Bell.)

Le plus récent message télévisé de Bell ne comporte pas de fautes de langue aussi grossières que le précédent. Il repose toujours, en revanche, sur le recours aux stéréotypes : ici, celui de la belle-mère qui ne se mêle pas de ses affaires. En outre, il prend appui sur une erreur de conception linguistique commune au Québec : le personnage de la belle-mère y postule en effet que «“on” exclut la personne qui parle».

On entend beaucoup, et depuis longtemps, cette fausseté. Comment démontrer que ce n’est pas vrai ? Un exemple devrait suffire.

Quand un des membres d’un couple dit Ce soir, chéri(e), toi et moi, on fait l’amour, on peut légitimement déduire qu’il ne pense pas à s’exclure de l’invitation. Du moins, on ne le lui souhaite pas.

P.-S. — Ce n’est pas la première fois qu’il est question de cette supposée exclusion chez l’Oreille. Voir ici.