Chronique météorologique

 «Maintenant, donc, il parlait de l’eau.»
Jean Echenoz,
le Méridien de Greenwich

 

Il fait froid. À toutes les fois que cela arrive, l’Oreille tendue pense pompe.

Pas celle qu’elle n’arrivait pas à faire fonctionner, il y a jadis naguère, dans un chalet de location.

Pas non plus la «pompe à phynances» d’Alfred Jarry ni la «pompe foulante» de Jean-Jacques Rutlidge ni la «pompe à salive» de sa dentiste.

Non : l’Oreille tendue pense à la pompe à eau, comme dans C’est pas chaud pour la pompe à eau.

Remarque phonétique.
Pour des questions d’euphonie, on voit aussi (le plus souvent ?) la forme pompe à l’eau : «“Doit y avoir quelqu’un qui parle de moi, les oreilles me sillent” -La pompe à l’eau #paschaud» (@ChroniquesTrad).
Pomparleau est également attesté dans certaines sous-cultures familiales.

Mais quelle est cette pompe ?

Il va de soi qu’une pompe à eau, une vraie pompe à eau, doit être sensible au froid : impossible pour elle de faire son travail si l’eau gèle.

Mais n’est-il pas légitime d’imaginer, dans cette expression, une allusion (bien discrète) à une partie de l’anatomie qui sert, telle une pompe, à faire circuler les liquides ? L’Oreille ne voudrait cependant pas avoir l’esprit trop tordu.

P.-S. — Le Dictionnaire de la langue québécoise de Léandre Bergeron (1980) apporte de l’eau — façon de parler — au moulin de l’Oreille, qui donne pénis comme synonyme de pompe (p. 383).

 

[Complément du 31 décembre 2014]

Commentaire et question étymologique de @SentierDiscret, sur Twitter : «chez nous on utilise : “c’est pas chaud pour la pompe à l’eau”. La pompe des anciennes autos qui gelait facilement ?»

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Echenoz, Jean, le Méridien de Greenwich. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1979, 255 p.

La dame et le bonhomme

Le Québec ne manque pas de «grandes dames». En ville : «“Une grande dame de Montréal.” Hélène Desmarais fréquente les conseils» (le Devoir, 17 novembre 2010, p. C3). À l’école : «Elle était la grande dame de la laïcité scolaire […]» (le Devoir, 9 janvier 2013, p. A2). Dans la danse : «Décès d’une grande dame de la danse d’ici» (le Devoir, 1er novembre 2011, p. B8). Sur la scène : «Céline Dion, une grande dame» (la Presse, 5 décembre 2003).

Un fidèle lecteur de l’Oreille tendue, @GPinsonM19, lui fait remarquer que le commentateur sportif Richard Garneau, mort dimanche dernier, est souvent présenté dans les médias ces jours-ci comme un «bonhomme» ou un «grand bonhomme» (l’homme était en effet de grande taille). Exemples : «Un grand bonhomme que j’ai déjà eu sur mon plateau» (Josée Blanchette); «ce grand bonhomme à la figure angélique» (rds.ca); «Richard était un grand bonhomme» (François Godbout).

Interrogation : le bonhomme serait-il à l’homme ce qu’est la dame à la femme ?

Saguenayisme (de bon aloi ?)

Soit le tweet suivant de @MadameChos : «My god qu’ils sont giguons. #parvenus http://fb.me/1XFHAx4Ou.»

Soit cet extrait d’une chanson d’Alecka :

Coudon
Ben voyons don
Heille creton
C’est don ben bon
Heille creton
Dans l’fond
Bougon gigon
Ou bedon

Deux choses rassemblent @MadameChos et Alecka : un mot («giguons», «gigon»); une filiation régionale, le Saguenay—Lac-Saint-Jean. Conclusion provisoire ? Voilà un régionalisme.

Que signifie-t-il ? Le mot est évidemment péjoratif : si @MadameChos l’emploie pour parler de Beyoncé et Jay-Z (et de leur bébé), ce n’est pas à leur avantage («#parvenus»).

Que disent de ce mot les dictionnaires que l’Oreille tendue a sous la main ? Rien, du moins, dans Franqus. Dictionnaire de la langue française. Le français vu du Québec, le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, la Base de données lexicographiques panfrancophones, le Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français […], le Dictionnaire de la langue québécoise.

En revanche, le Supplément 1981 du dictionnaire de Léandre Bergeron a ceci, à «jigon, onne» : «adj. ou n. — Malpropre. Mal habillé. Ex. : Est jigonne tous les jours excepté le dimanche, celle-là. Être jigon ou faire le jigon. — Jouer des coups de cochon» (p. 113).

Dernier élément d’information : dans une famille dont un des membres est d’origine du Saguenay—Lac-Saint-Jean, on a déjà confié à l’Oreille que nono pouvait servir de synonyme à gigon.

Bref, avouons-le : l’Oreille a besoin d’aide, tant pour pour la graphie («giguon», «gigon», «jigon») que pour le sens («nono», «malpropre», «fourbe») de ce mot.

 

[Complément du 22 janvier 2013]

Définition d’une Jeannoise : «quelqu’un aux manières frustes, voire grossières», confirmée par une Saguenéenne.

Une autre confirmation, d’une autre Saguenéenne : «mal élevé, un peu “colon”».

Trois remarques encore de @clerc2000. Une première définition rejoint celles que l’on trouve ci-dessous : «s’apparente à l’expression colon (sans classe, malpoli, malpropre). lien avec la gigue peut-être…». Une deuxième s’accorde avec celle de Léandre Bergeron : «On peut aussi dire elle s’habille en gigon (comme la chienne de J)». En revanche, @clerc2000 ne voit pas de lien avec nono.

Merci Twitter.

 

[Complément du 23 mai 2014]

Plus fort que le gigon ? Le «power gigon» (la Déesse des mouches à feu, p. 84).

 

[Complément du 11 juin 2018]

Aux étymologies évoquées dans les commentaires ci-dessous, ajoutons celle-ci, lue aujourd’hui sur Twitter : «L’origine que j’ai entendue le plus souvent du mot gigon était que ce mot était utilisé pour ridiculiser les gens qui restaient à Rivière-du-Moulin (quartier de Chicoutimi qui était un village), qui étaient très pauvres et qui giguaient beaucoup comme activité sociale…»

 

[Complément du 7 octobre 2018]

Parmi les exemples d’expressions saguenéennes retenus par Jean-Sébastien Girard dans sa chronique «Voyager en Jeannorama» de l’émission La soirée est (encore) jeune du 6 octobre 2018, celui-ci est postélectoral : «As-tu vu la gigonne avec sa tuque qui vient d’être élue, Jean-Philippe ?»

 

[Complément du 27 septembre 2020]

Si l’on en croit la base de données Eureka, le mot est peu utilisé à l’écrit. Au cours des douze derniers mois, au Québec, ni jigon, ni jiguon, ni giguon n’y apparaissent. Gigon n’y est recensé que trois fois.

Le Wiktionnaire offre des exemples et une série de synonymes de gigon : cave, épais, imbécile, innocent, taouin / tawouin, tarla, troufion, zezon.

Toujours sous la forme gigon, le mot apparaît dans un ouvrage récent, la Langue de Charlevoix et du Saguenay—Lac-Saint-Jean (2020).

 

[Complément du 28 septembre 2020]

Hier soir, à l’émission radiophonique La soirée est (encore) jeune, l’Oreille tendue est allée dire quelques mots au sujet des jigons / gigons. C’est ici, à compter de la neuvième minute.

 

Références

Alecka, «Choukran», Alecka, 2011, étiquette Spectra musique.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Pettersen, Geneviève, la Déesse des mouches à feu. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 2014, 203 p.

Verreault, Claude et Claude Simard, la Langue de Charlevoix et du Saguenay—Lac-Saint-Jean : un français qui a du caractère, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Langue française en Amérique du Nord», 2020, 168 p.

Le zeugme du dimanche matin et de Laurent Mauvignier

Laurent Mauvignier, Des hommes, 2009, couverture

«Moi, j’avais repensé à Février racontant des choses insensées sur Mireille, comment Mireille dans une HLM ce n’était plus du tout la jeune fille arrogante et sûre d’elle qu’on avait connue à Oran, sifflant ses orangeades et les chansons de Sacha Distel ou de Dario Moreno en attendant sur un tabouret et en se vernissant les ongles, ou en mordillant les branches de ses grosses lunettes de soleil vertes.»

Laurent Mauvignier, Des hommes, Paris, Éditions de Minuit, 2009, 280 p., p. 114.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’arroseur arrosé ?

Citation bien vilaine dans le Devoir des 22-23 décembre 2012 : «L’introduction au numéro parle […] de “chercheur.es” et aussi de “professeur.es” et d’“étudiant.es”, dans une pure novlangue uqamiennne, pour inclure dans la même faute le masculin et le féminin» (p. E2).

Étrange arithmétique du même journal une dizaine de jours plus tôt au sujet de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue : «Les efforts ont néanmoins porté leurs fruits. Le taux de diplomation universitaire s’est amélioré. Fait à noter : les trois quarts des étudiantes sont des femmes» (p. A2). Commentaire de @MADandurand (merci pour la citation) : «L’autre 1/4 des étudiantes est de quel sexe ?».

La novlangue serait-elle partagée ?