La langue de l’ex-maire de Montréal

Gérald Tremblay annonçait tout à l’heure qu’il quittait la mairie de Montréal un an avant la fin de son mandat.

La dimension religieuse de son discours avait de quoi étonner : «passion» (au moins trois fois); «valeurs judéo-chrétiennes»; «paix»; «calvaire»; «pour toujours»; «vérité»; «ultime sacrifice». Pour @Hortensia68, sur Twitter, on devrait ajouter à la liste «trahison» et «amour». Autrement dit, voilà qui fleurait bon l’éducation religieuse québécoise d’antan. (Mauvaise langue, l’Oreille tendue, itou sur Twitter, a signalé l’absence de «veau d’or» dans la bouche d’un maire pourtant victime des «collusionnaires».)

Vérification faite, quand l’ex-maire parlait, dans son texte écrit, pas improvisé, de «moments et souvenirs intarissables», il ne faisait toutefois pas allusion à la Bible. (Mais à quoi donc ? La question est ouverte.)

 

[Complément du 6 novembre 2012]

Deux choses encore.

Twitter s’est beaucoup amusé de l’intertexte religieux de l’ex-maire. «J’ai cru qu’on allait voir apparaître la main de Dieu de Claude Ryan», a écrit @ChroniquesTrad, ce qui permettait de lier deux ex-membres du Parti libéral du Québec, un de ses anciens chefs, Claude Ryan, et un des anciens ministres, Gérald Tremblay. @Geneablogiste évoque «Moïse Tremblay et les sept plaies de Montréal !» C’est plutôt au verbe de la connaissance que l’on pense devant ceci : «C’est vrai que pendant l’acte d’amour il faut parfois savoir se retirer à temps» (@LeGrosRaTt).

Le lexique religieux de Gérald Tremblay est d’autant plus étonnant qu’il est mêlé au vocabulaire le plus actuel, celui du festif (le Quartier des spectacles), de la capitale («une ville UNESCO de design», «une métropole culturelle d’envergure internationale»), de l’ouverture sur le monde («un important rayonnement international»), du management («les processus et les mécanismes de contrôle»), du moderne à tout crin («le Technopole de la santé et celui de l’innovation»). L’ancien et le nouveau, bref.

Cachez cet adverbe que je ne saurais voir

C’est vous le blogueur ? — Effectivement.

«Acheter au Canada ? Absolument !» (la Presse, 1er novembre 2012 , p. A16, publicité)

Dans 99 mots et expressions à foutre à la poubelle, Jean-Loup Chiflet parle-t-il de l’adverbe d’affirmation ? — Tout à fait (p. 115).

René a envoyé promener Céline ? — J’espère !

Au retour du lock-out, les joueurs donneront-ils leur 110 % ? — Définitivement.

T’es sûr ? — Certain.

Tu penses qu’il y a des collusionnaires à Montréal ? — Mets-en.

En forme ? — Le faut.

«Tout le goût du Coca-Cola, zéro calorie.» — «Sérieux».

Il a déjà quitté ? — Exact.

«Si c’est bon de gagner de cette façon ? Yessssss ! Yessssss !» (la Presse, 3 juillet 2001)

Bref, toujours dire non à oui.

 

[Complément du 27 mars 2015]

Bel exemple de l’utilisation de certain par la traductrice des Retrouvailles des Carcajous (2015) :

— Alors tu m’appelles si tu changes d’idée ?
— Certain (p. 67).

 

[Complément du 24 juin 2015]

Deux autres cas, tirés de la pièce J’ai perdu mon mari de Catherine Léger (2015).

«[Mélissa] J’ai-tu le droit ? [William] Complètement» (p. 57).

«[Le pusher] On vit pas assez, man. [Évelyne] C’est clair» (p. 71).

 

Références

Chiflet, Jean-Loup, 99 mots et expressions à foutre à la poubelle, Paris, Seuil, coll. «Points. Le goût des mots», Hors série, inédit, P 2268, 2009, 122 p. Dessins de Pascal Le Brun.

Léger, Catherine, J’ai perdu mon mari, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 04, 2015, 101 p. Ill.

MacGregor, Roy, les Retrouvailles des Carcajous, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 19, 2015, 174 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2004.

Les zeugmes du dimanche matin et de la Presse

«L’heure du ménage et de rêver ?» (la Presse, 30 octobre 2012, cahier Sports, p. 4)

«Fibre entrepreneuriale et de carbone» (la Presse, 16 octobre 2012, cahier Portfolio PME innovations, p. 6).

L’Empreinte à Crusoé est un «long conte au souffle philosophique écrit avec application et créolité» (la Presse, 25 mai 2012, cahier Arts, p. 4).

Un triumvirat «doit sortir le Canadien de son marasme et surtout de la cave du classement» (la Presse, 26 mai 2012, cahier Sports, p. 3).

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Sacres gelés (Hommage à Rabelais)

Jo Nesbø, le Sauveur, 2012, couverture

«Il était appuyé au chambranle, les bras croisés, et regardait les gars porter des sacs-poubelle noirs depuis le camion jusque dans l’entrepôt du magasin. Les types soufflaient des phylactères blancs qu’ils remplissaient de jurons en dialectes et langues divers.»

Jo Nesbø, le Sauveur. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, traduction d’Alex Fouillet, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 552, 2012, 669 p., p. 75. Édition originale : 2005.

 

[Complément du 5 avril 2023]

Pourquoi cette allusion à Rabelais ? En 1552, dans son Quart livre, il intitule le chapitre LVI «Comment, entre les parolles gelées, Pantagruel trouva des motz de gueule». On y lit ceci : «Le pillot feist responce : “Seigneur, de rien ne vous effrayez. Icy est le confin de la mer glaciale, sus laquelle feut, au commencement de l’hyver dernier passé, grosse et felonne bataille, entre les Arismapiens et les Nephelibates. Lors gelerent en l’air les parolles et crys des homes et femmes, les chaplis des masses, les hurtys des harnoys, des bardes, les hannissements des chevaulx et tout aultre effroy de combat. À ceste heure la rigueur de l’hyver passée, advenente la serenité et temperie du bon temps, elles fondent et sont ouyes”» (p. 206). (Mieux vaut tard que jamais.)

 

Référence

Rabelais, François, le Quart Livre, dans Œuvres complètes. Tome II, introduction, notes, bibliographie et relevé de variantes de Pierre Jourda, Paris, Garnier, 1962, p. 1-260. Édition originale : 1552.