Écho voltairien

«The Wheel», série Mad Men, première saison, treizième épisode, illustration

L’Oreille tendue, quelques années après tout le monde, s’est mise à la série télévisée Mad Men. Elle y repère, comme tout le monde, des allusions littéraires.

Elle avait noté, dans le sixième épisode de la première saison, une allusion à Marshall McLuhan, dans la bouche de Joan Halloway : «The medium is the message», disait la curviligne secrétaire à une collègue, Peggy Olson. Par là, les créateurs de la série pensaient faire réaliste. (C’est un anachronisme, mais ne chipotons pas.) C’est également dans «Babylon» qu’on voit le personnage principal, Don Draper, lire Exodus de Leon Uris. Son patron, l’excentrique Bert Cooper, ne jure que par Atlas Shrugged d’Ayn Rand.

Dans le dernier épisode de cette première série, le treizième, «The Wheel», il y a mieux, du moins pour qui apprécie le XVIIIe siècle français. La scène réunit le jeune publicitaire Pete Campbell, qui ne parle pas, sa femme Trudy et les parents de celle-ci, Tom et Jeannie Vogel.

Tom. — I was just saying that work isn’t everything, you know. It’s like that song says : Um, tend your own garden.

Trudy. — What song is that, Daddy ?

Tom. — Uh, I don’t know. People say it. It’s true.

Jeannie. — It is true.

Tom. — Yeah. Tend to your own garden. That means… you know, start growing things.

Trudy. — Daddy ! You’re embarrassing us…

Tom, en parlant de Jeannie. — Well it’ll be the best Christmas present this one ever had.

Une chanson contiendrait donc les mots «Tend your own garden» ? L’Oreille tendue ne sait pas si cette chanson existe, mais une chose est sûre : ces mots évoquent pour plusieurs le «il faut cultiver notre jardin» du XXXe chapitre de Candide.

Voilà Voltaire à la télé américaine, à côté de McLuhan, Uris et Ayn Rand, comme adjuvant conjugal (en contexte, «start growing things» a une forte dimension générative). On pourrait être étonné à moins.

 

[Complément du 27 septembre 2013]

Ce texte a été repris en revue : Melançon, Benoît, «Enquête sur la réception de Candide (X). Coordonnée par André Magnan», Cahiers Voltaire, 11, 2012, p. 215-216.

 

[Complément du 11 juin 2020]

L’Oreille a repris ce texte, sous le titre «Mad Men et Candide», dans le livre qu’elle a fait paraître au début de 2020, Nos Lumières.

 

Référence

Melançon, Benoît, «Enquête sur la réception de Candide (X). Coordonnée par André Magnan», Cahiers Voltaire, 11, 2012, p. 215-216; repris, sous le titre «Mad Men et Candide», dans Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, p. 80-81.

Laissez-nous tranquilles !

Vous faites dans la spéculation (immobilière, boursière, bancaire), dans l’énergie (le nucléaire, le gaz de schiste), dans le biomédical. Cela comporte des risques. La société civile, parfois à des moments de mobilisation citoyenne, rêve de vous demander des comptes. Votre réponse est toute prête, et il ne faut jamais, au grand jamais, en déroger : L’industrie doit s’autoréguler. N’en parlons plus : tout baigne.

P.-S. — Remerciements à @zefede et à @quitusais, dont les tweets (ici et ) ont attiré l’œil de l’Oreille tendue.

Bestiaire managérial

Une lettre ouverte sur la gestion de la maladie mentale aux États-Unis parue dans la livraison du 4 juillet du New Yorker contient une phrase sibylline : «the monkey falls onto the backs of increasingly stressed families and friends». Qu’est-ce que c’est que cette histoire de singe sur le dos («monkey […] onto the backs») ?

Il s’agit d’une allusion à un article célèbre de 1974, «Management Time : Who’s Got the Monkey ?», notamment reproduit dans la Harvard Business Review en 1999, repris en livre en 1984, et signé par William Oncken Jr. et Donald L. Wass. Pour résumer : celui qui a un problème à gérer a un singe sur les épaules; son réflexe normal est de faire sauter l’animal sur les épaules de quelqu’un d’autre, ce quelqu’un d’autre pouvant être son supérieur hiérarchique; libéré de son singe, il n’a plus de problème à gérer; son supérieur a été eu. Autrement dit, qui dit singe dit responsabilité, et responsabilité non partagée.

La langue a de ces raisons que la raison ne connaît pas.

P.-S. — La même livraison du New Yorker contient un article sur un baseballeur étonnant, Sam «Super Sam» Fuld : petit, diabétique, juif, fils d’un universitaire et d’une sénatrice, et diplômé en économie de Stanford. Aux murs du vestiaire de son équipe, les Rays de Tampa Bay, il peut lire des citations d’Alan Greenspan, de Virgile et de Camus. Ça ne s’invente pas.

 

Référence

Oncken Jr., William et Donald L. Wass, «Management Time : Who’s Got the Monkey ?», Harvard Business Review, vol. 77, no 6, novembre-décembre 1999, p. 178-186. Commentary by Stephen R. Covey. Édition originale : 1974.

Chronique gastronomique estivale

La Presse de samedi leur consacrait un reportage sur deux pages (2 juillet 2011, cahier Affaires, p. 2-3).

Ils s’appellent Chez Ben on s’bourre la bédaine (Granby), Henri la patate (Joliette) ou Chez Roger (Farnham). Quiconque voudrait y consacrer plus de temps qu’elle ne le souhaite elle-même pourrait trouver dans les branches basses de l’arbre généalogique de l’Oreille tendue un parent éloigné surnommé Mononc’ la patate.

Il s’agit d’une forme de restauration populaire au Québec (il y aurait des milliers de pareils restaurants, mais personne n’a jamais fait leur décompte). Ses caractéristiques ? Ces établissements — cantines, casse-croûte ou roulottes à patates — sont ouverts surtout l’été, ils sont situés hors des grands centres, le plus près possible (littéralement) d’un axe routier, ils ont souvent une dimension artisanale, leur budget de décoration est inexistant. Leur menu est résolument non santé : frites — graisseuses, dans le meilleur des cas —, poutines, hamburgers et hot-dogs, pogos, guedilles (ou guédilles). Les plus élaborés jouxtent un bar laitier — également nommée crèmerie —, histoire de rafraîchir (crème glacée oblige, molle ou dure) leur clientèle. C’est une forme de restauration rapide; elle n’a pourtant rien à voir avec les grandes chaînes, de McDonald à Quick, leurs menus standardisés et leur propreté calibrée. Les Américains parlent de «greasy spoon», mais cela ne rend pas la dimension saisonnière de ce type de cuisine de route (comme on dit cuisine de rue).

Pour appâter ses lecteurs, la Presse parle d’«incontournables de la gastronomie québécoise» (p. 1). C’est probablement vrai, encore que ce genre de péché, évidemment véniel, gagne à rester secret.

 

Référence

Théoret, Charles-Alexandre, Maudite poutine ! L’histoire approximative d’un plat populaire, Montréal, Héliotrope, 2007, 160 p. Photos de Patrice Lamoureux.