Une langue pleine de ressources

Le mot ressource est en voie de devenir un synonyme universel au Québec et aux alentours.

Il désigne le bois, le poisson, le poulamon, l’eau e tutti quanti. La ressource est menacée, dira un bûcheron, un pêcheur, un habitant de Sainte-Anne-de-la-Pérade, un embouteilleur, s’il craint pour son gagne-pain. Comme elle est menacée, il ne faut pas la dilapider : «Les évêques du Nouveau-Brunswick en appellent au partage de la ressource» (la Presse, 2 septembre 2000). Même le vent n’est plus le vent : c’est une ressource éolienne.

Dite naturelle, la ressource se trouve plus facilement hors des grands centres, dans les régions, d’où l’existence de régions ressources. Attention : selon l’Institut du Nouveau Monde, elles seraient elles aussi menacées («Le déclin des régions ressources», cahier inséré dans le Devoir du 25 février 2006).

Il y avait des personnes-ressources; maintenant ce sont plus simplement des ressources. Le système scolaire en abrite plusieurs (mais pas assez). Telle enseignante de sciences dans une école montréalaise signe ses missives «Mme XXXXXX / Ressource sciences». Même la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport partage ce vocabulaire, comme l’indique son message de la rentrée à l’ensemble des parents québécois : «Nous avons accru le nombre de ressources qui viennent en aide à vos enfants.»

Imaginons la scène dans une classe : Bonjour, je suis la ressource qui doit te venir en aide. On se réjouit par avance.

Citation indignée du jour

Georges Dor, Anna braillé ène shot, 1996, couverture

«Mais les temps ont bien changé et le Vous n’existe à peu près plus, depuis que les enfants sont à tu et à toi avec les adultes. Certains, toutefois, en garderaient, semble-t-il, la mémoire intuitive. Serait-ce à cause de cela que de nos jours on peut entendre, chez quelques-uns d’entre eux, l’inimaginable association du Tu et du Vous dans l’invraisemblable expression : Vous voulez-tu ? Oui, j’ai entendu cela à plusieurs reprises… et je ne vis pas sur une autre planète !»

Georges Dor, Anna braillé ène shot (Elle a beaucoup pleuré). Essai sur le langage parlé des Québécois, Montréal, Lanctôt éditeur, coll. «L’histoire au présent», 2, 1996, 191 p., p. 60.

À tu et à vous et à toi et à vous et à tu

Jeudi soir dernier, dans un centre commercial de l’île de Montréal :

Carrefour Angrignon, 23 juillet 2009

Pourquoi ce passage du tu au vous dans la publicité ?

Si l’on était dans un roman épistolaire classique, on y verrait un effet d’insistance amoureuse, comme dans l’incipit de la lettre CXLVIII des Liaisons dangereuses de Laclos, quand le chevalier Danceny écrit à la marquise de Merteuil : «Ô vous, que j’aime ! ô toi, que j’adore ! ô vous, qui avez commencé mon bonheur ! ô toi, qui l’as comblé» (éd. de 1964, p. 333).

Dans une chanson, ce pourrait être un exercice de style, comme dans «Rendez-vous courtois» de Jérémie Kisling, sur l’album le Ours en 2006. Tous les vers y mêlent tutoiement et vouvoiement. Cela donne lieu à des phrases déjantées : «Allez viens vous asseoir, il faut pas que vous te barre / Sous mon toit, vous serez à ton aise / Donne-moi votre main, couchez-moi contre ton sein / Je t’avoue que je vous aime bien.»

Les intentions des propriétaires de la boutique de jeux électroniques EBGames sont un peu moins claires.

(L’absence de s à «usagé» fait désordre.)

 

Référence

Laclos, Pierre Choderlos de, les Liaisons dangereuses, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «G-F», 13, 1964, 379 p. Chronologie et préface par René Pomeau. Édition originale : 1782.

Citation de la paroisse Saint-Louis-de-France / du jour

 

Marc Robitaille, Un été sans point ni coup sûr. Récit, 2004, couverture

«Quand on est arrivés au terrain, il y avait un gars qui attendait derrière le back-stop avec sa mitte et un monsieur.

“C’est toi le coach ?” a demandé le monsieur à mon père.

Mon père a dit oui, en faisant semblant de ne pas être trop énervé par le tutoiement même si je sais qu’il trouve ça excessivement malpoli de tutoyer les inconnus, à moins d’avoir déjà trait des vaches avec eux. Ou quelque chose comme ça.»

Marc Robitaille, Un été sans point ni coup sûr. Récit, Montréal, les 400 coups, 2004, 139 p., p. 76.

Humour ?

Le festival Juste pour rire sévit actuellement à Montréal. Parmi les publicités de ses commanditaires, celle-ci, de la bière Labatt Bleue, pour sa zone BBQ : «Tu vas bouffer de rire. Viens-t’en à la Place Labatt Bleue.»

Deux choses à noter.

Encore une fois, l’inévitable tutoiement.

Surtout, cette substitution déconcertante — bouffer au lieu de pouffer —, qui rend le slogan difficile à interpréter, du moins à la première lecture. Pour qui devrait logiquement viser l’efficacité, c’est un drôle de choix.