Dans la Presse+d’hier, rubrique «Mauvaise conduite», sept journalistes qui y couvrent le sport répondaient à la question «Quelle expression liée au sport vous irrite le plus ?» Réponses : le recours au «tu» collectif (Simon-Olivier Lorange), «éthique de travail» (Guillaume Lefrançois), «grande finale» (Mathias Brunet), «match sans lendemain» (Richard Labbé), «tir sans avertissement» (Justin Vézina), «équipe canadienne de soccer féminin» (Nicholas Richard), «vibrer les cordages» (Jean-François Tremblay).
L’Oreille tendue a beaucoup (trop) réfléchi à la langue du hockey. Que répondrait-elle à cette question ?
Elle choisirait probablement le verbe se blottir, si cher au cœur du commentateur Yvon Pedneault. Exemple : «X est allé se blottir derrière le défenseur.»
Au sens strict, cet usage peut se défendre, si l’on en croit les définitions du Petit Robert (édition numérique de 2018) : «Se ramasser sur soi-même, de manière à occuper le moins de place possible»; «Se mettre à l’abri, en sûreté.»
Cela étant, l’Oreille, quand elle entend se blottir, pense lit, couverture, confort. Le Petit Robert, encore : «Se blottir dans un coin, dans son lit, sous ses couvertures.»
Elle ne penserait jamais à cela en allant se placer derrière (l’ancien joueur) Zdeno Chára, 2,06 m, 116 kilos (souvent déposés peu délicatement sur un joueur adverse). Il y a des endroits plus accueillants dans la vie.
Bien sûr, vous vous blottissez où vous voulez sur la glace. Tous les dégoûts sont dans la nature.
Référence
Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.
Lire rend heureux. Quels sont les livres lus ou relus, parmi plusieurs autres, qui ont rendu l’Oreille tendue heureuse en 2021 ?
Par ordre alphabétique…
Bernard, Catherine, Laodamie, reine d’Épire et Brutus, dans Aurore Evain, Perry Gethner et Henriette Goldwyn (édit.), Théâtre de femmes de l’Ancien Régime. 3. XVIIe-XVIIIe siècle, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, coll. «La cité des dames», 8, 2011, p. 33-105 et p. 107-182. Éditions originales : 1689 et 1691.
Bouchard, Serge, Un café avec Marie, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2021, 270 p.
Boudreault, Simon, Je suis un produit, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2021, 157 p.
Grégoire, Julien, Jeux d’eau. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2021, 212 p.
Grisé, François, Tout inclus. Tome 1, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 26, 2021, 122 p. Ill. Précédé d’un «Mot des dramaturges» et suivi de «Contrepoint. La ruée vers l’or gris : risques et rentabilité» par Anne Plourde.
Guèvremont, Germaine, le Survenant. Roman, Paris, Plon, 1954, 246 p. Suivi d’un «Vocabulaire». Édition originale : 1945.
Hoedt, Arnaud et Jérôme Piron, Le français n’existe pas, Paris, Le Robert, 2020, 158 p. Préface d’Alex Vizorek. Illustrations de Xavier Gorce.
Le Tellier, Hervé, Toutes les familles heureuses, Paris, JC Lattès, coll. «Le livre de poche», 36181, 2021, 189 p. Ill. Édition originale : 2017.
Marivaux, la Fausse Suivante ou Le fourbe puni, dans Théâtre complet. Tome premier, Paris, Bordas, coll. «Classiques Garnier», 1989, p. 395-471 et p. 1066-1073. Texte établi, avec introduction, chronologie, commentaire, index et glossaire par Frédéric Deloffre. Nouvelle édition, revue et mise à jour avec la collaboration de Françoise Rubellin. Édition originale : 1724.
Ravey, Yves, Adultère. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2021, 140 p.
Thomas, Chantal, De sable et de neige, Paris, Mercure de France, coll. «Traits et portraits», 2021, 199 p. Avec des photos d’Allen S. Weiss.
Turgeon, David, l’Inexistence. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 156, 2021, 219 p.
Verne, Jules, le Pays des fourrures. Le Canada de Jules Verne — I, Paris, Classiques Garnier, coll. «Bibliothèque du XIXe siècle», 77, 2020, 549 p. Ill. Édition critique par Guillaume Pinson et Maxime Prévost. Édition originale : 1872-1873.
Il vous faut des lectures linguistiques ? Vous n’avez qu’à vous pencher.
Baillehache, Jonathan, le Désir de traduire. Penser la traduction selon Antoine Berman. Chateaubriand, Pound et Roubaud, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. «Interférences», 2021, 164 p. http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=5144
Candea, Maria et Laélia Véron, Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique, Paris, La Découverte, coll. «La Découverte Poche / Essais», 538, 2021, 224 p. Nouvelle édition suivie d’une postface inédite. Édition originale : 2019. https://www.editionsladecouverte.fr/le_francais_est_a_nous_-9782348069901
L’Oreille tendue a rendu compte de l’édition originale ici.
Éla. Études de linguistique appliquée, 201, 2021, 128 p. Dossier «Dictionnaires et culture numérique dans l’espace francophone. 2. Perspectives pragmatiques de la description numérique du français», sous la direction de Chiara Molinari et Nadine Vincent. https://www.cairn.info/revue-ela-2021-1.htm
Gollut, Jean-Daniel et Joël Zufferey, la Parole stylisée. Étude énonciative du discours indirect libre, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, coll. «Études linguistiques et textuelles», 2021, 176 p. http://www.lambert-lucas.com/livre/la-parole-stylisee/
Langage et société, 173, 2021, 264 p. Dossier «Charles Goodwin : l’interaction au carrefour du langage, du corps et de la société», sous la direction de Luca Greco et Lorenza Mondada. https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2021-2.htm
Letawe, Céline, Christine Pagnoulle et Patricia Willson (édit.), Langues et rapports de force. Les enjeux politiques de la traduction, Liège, Presses universitaires de Liège, coll. «Truchements», 3, 2021, 186 p. http://www.presses.uliege.be/jcms/c_22958/langues-et-rapports-de-force
Marimón Llorca, Carmen, Wim Remysen et Fabio Rossi (édit.), les Idéologies linguistiques : débats, purismes et stratégies discursives, Berlin, Berne, Bruxelles, New York, Oxford, Varsovie et Vienne, Peter Lang, coll. «Sprache – Identität – Kultur», 2021, 562 p. Ill. https://www.peterlang.com/document/1137130
Martin, Richard, Encyclopédictionnaire. Précédé de Réflexions diverses sur le mot-valise, Liège, Presses universitaires de Liège, coll. «Poche / Essais», 4, 2021, 328 p. http://www.presses.uliege.be/jcms/c_23054
«Ô vous, que j’aime !
ô toi, que j’adore !
ô vous, qui avez commencé mon bonheur !
ô toi, qui l’as comblé»
(Laclos, les Liaisons dangereuses, lettre CXLVIII).
Tu ou vous ? Quiconque a déjà parlé français a eu un jour à se poser cette question. Il n’est pas facile d’y répondre pour un francophone; imaginez la difficulté pour qui souhaite apprendre une langue qui n’est pas la sienne. Le sous-titre du petit livre que consacrait l’an dernier Étienne Kern au tu et au vous, L’art français de compliquer les choses, est parfaitement approprié.
Les pratiques d’interlocution décrites par Kern changent selon les langues (le français n’est pas seule à posséder des «pronoms d’adresse» avec des fonctions spécifiques), les milieux sociaux (on ne se parle pas de la même façon dans les familles de la vieille bourgeoisie française et dans la classe moyenne) et les espaces (on tutoie plus facilement au Québec que dans l’Hexagone). C’est la même chose dans le temps : certains présidents de la République favorisaient la deuxième personne du pluriel (de Gaulle, Mitterrand), alors que Nicolas Sarkozy est un «hypertutoyeur» (p. 80).
La principale conclusion du livre est incontestable : essayer de déterminer les règles de l’emploi de tu / vous est voué à l’échec. «En fait de tu et de vous, existe-t-il autre chose que des cas particuliers ? Il n’y a de tutoiement ou de vouvoiement qu’au sein d’une situation d’énonciation donnée et, à ce titre, éminemment singulière» (p. 16).
Comment Étienne Kern procède-t-il pour exposer la multiplicité de ces «situations d’énonciation» ? Il chasse les citations et les exemples, souvent inattendus : dans Notre-Dame-de-Paris, de Victor Hugo, Esméralda vouvoie sa chèvre (p. 14). Les anecdotes personnelles qu’il rapporte sont toujours pertinentes, de même que ses statistiques. Citant un article d’Alex Alber paru en 2019, il rappelle «qu’en entreprise, 70 % des hommes tutoient leur chef, contre 49 % des femmes» (p. 21). Autrement dit : «Il n’y a décidément pas d’égalité des sexes devant les tu et les vous» (p. 40).
Le point de vue de l’auteur n’est pas celui du spécialiste, même si sa réflexion est nourrie scientifiquement : «Ce petit livre, ami lecteur, n’est […] l’œuvre ni d’un linguiste, ni d’un sociologue» (p. 23). L’auteur compare le français à d’autres langues, modernes ou anciennes. Il se penche aussi bien sur les échanges amoureux et socioéconomiques que sur le BSDM et la religion («Notre Père qui es / êtes aux cieux»). Il rappelle des entreprises de transformation de la langue promulguées, sans succès durable, par des autorités politiques, en France durant la Révolution, en Italie sous Mussolini.
Étienne Kern clôt ses réflexions sur un «Éloge du vacillement» :
Oui, nous y perdons notre latin, nous hésitons, nous faisons des faux pas; oui, nous pouvons envier le minimalisme d’un you. Mais ce que nous offrent le tu et le vous dépasse ce qu’ils nous coûtent. Et parmi tout ce qu’ils nous offrent, outre la nuance, outre la liberté, il y a aussi, tout simplement, la joie. Qui n’en a pas fait l’expérience ? Telle personne que vous aimez ou que vous admirez profondément vous propose, un jour, de la tutoyer : vous vous sentez alors grandis, adoubés, désirés (p. 192).
Oui, en effet.
P.-S.—Vous ne rêvez pas : l’Oreille tendue parlait de ce sujet hier à la radio.
Références
Alber, Alex, «Tutoyer son chef. Entre rapports sociaux et logiques managériales», article électronique, Sociologie du travail, 61, 1, janvier-mars 2019. https://doi.org/10.4000/sdt.14517
Aujourd’hui, vers 17 h 45, l’Oreille tendue sera au micro d’Annie Desrochers, à l’émission le 15-18 de la radio de Radio-Canada, pour parler de tutoiement, à l’occasion de la parution de l’ouvrage suivant :