L’oreille publicitaire

Maison Corbeil mène une campagne publicitaire sur le thème «L’accent québécois». On peut lire ce slogan sur des affiches le long des routes et dans un encart publicitaire distribué dans le journal la Presse, où il est développé.

Théoriquement, d’abord :

Maison Corbeil est fière de vous proposer ce qui se fait de plus beau et de plus séduisant dans le monde du design.
Pour souligner la créativité québécoise, nous vous présentons notre collection de meubles conçus et fabriqués dans notre belle province.

Pratiquement, ensuite. Sur une double page grand format (55 cm de largeur par 54 cm de hauteur), sous le titre «Pure laine», avec fond de décor moderne épuré, les concepteurs ont choisi onze expressions de la langue parlée au Québec (en majuscules, en bleu foncé) et les ont accompagnées de leur équivalent en français hexagonal (dans une police plus petite, en bleu très pale). Dans l’ensemble, les équivalents sont bien choisis.

Parmi ces expressions, quatre ont été recensées par l’Oreille tendue.

Mouiller à sciaux / Pleuvoir à verse, en grande abondance

Ne pas niaiser avec la puck / Agir rapidement

Être gorlot / Être ivre

Guidoune / Personne habillée de façon provocante

Changer quatre trente sous pour une piastre / Changer une situation pour n’y voir aucun avantage

Attache ta tuque avec de la broche / Sois prêt à affronter des difficultés

Gosser / Bricoler ou taper sur les nerfs

Écornifler / Fouiner

Accouche qu’on baptise / Dépêche-toi

Avoir de la broue dans le toupet / Être débordé

Être habillé comme la chienne à Jacques / Être vêtu de mauvais goût

Page suivante, cette illustration de souche.

Maison Corbeil, publicité, 2013

En dernière page est annoncée la création du «nouvel espace la fabricq entièrement consacré aux produits créés et fabriqués au Québec».

Du travail bien fait, avec humour.

Espèces dissonantes et trébuchantes

L’argent — le mot, pas le fait d’en avoir, ou pas — pose problème, du moins au Québec.

De genre. Les billets verts des voisins du Sud seraient de l’argent américaine. (Il y a bien sûr de l’argent canadienne, mais moins et de moindre valeur.)

De nombre. Il est souvent question, surtout dans les médias, surtout chez ceux qui dépensent, surtout chez ceux qui ne veulent pas dépenser, des argents. Les argents sont rares.

De genre et de nombre. Les argents neuves sont rares.

De prononciation. On l’entend moins aujourd’hui, mais à une époque il était commun de parler d’argint. Les exemples pullulent dans la bande dessinée Séraphin illustré d’Albert Chartier et Claude-Henri Grignon.

Pour régler la question, quelques-uns ont choisi de remplacer ce mot problématique par un autre, qui est sa version infantilisée : sous. Exemple : «C’est une perte pour les étudiants parce que ce sont des sous que nous aurions dirigés en totalité vers les étudiants» (une vice-rectrice, le Devoir, 13 janvier 2000); «Comment générer du sens et des sous par le travail ?» (le Devoir, 18 septembre 2000). Ce n’est pas mieux.

Remarque

Le mal est ancien. Étienne Blanchard dénonçait l’emploi d’argent au féminin dès 1919 (p. 25). Pour le pluriel, Chantal Bouchard, dans Méchante langue (2012), cite une remarque des années 1840 (p. 149).

P.-S. — Comme avion, escalier roulant, autobus et ascenseur, l’argent serait-il un moyen de locomotion ?

 

Références

Blanchard, Étienne, Dictionnaire du bon langage, Montréal, 1919, 256 p. Troisième édition.

Bouchard, Chantal, Méchante langue. La légitimité linguistique du français parlé au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Nouvelles études québécoises», 2012, 171 p.

Grignon, Claude-Henri et Albert Chartier, Séraphin illustré, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p. Préface de Pierre Grignon. Dossier de Michel Viau.

Dictionnaire des séries 48

Le gardien de but, tantôt cerbère, tantôt portier, défend son filet ou sa cage.

On entend aussi net.

Pis i s’en va t’la t’la crisser dans’l net
(Vincent Vallières, «1986», chanson, 2003).

Et goals.

Les goals seront bien gardés
(Denise Émond, «La chanson des étoiles du hockey», 1956)

Quand sur une passe de Butch Bouchard i prenait le puck derrière ses goals
(Pierre Létourneau, «Maurice Richard», chanson, 1971)

C’est donc un goaler (à prononcer gôleur).

Pour c’qui concerne nos «Goalers»,
Ce sont tous de très bons joueurs
(J. Roméo Guay, «Le Sorelois, 1924», chanson, dans le Passe-temps, vol. 30, no 748, 26 janvier 1924, p. 31)

I mesure six pieds et demi
I va vite comme une souris
Du Chicago pis du Ranger
Déjoue ben tous les goalers
(Les Jérolas, «La chanson du hockey», 1960)

Si on veut gagner la coupe Stanley
Sont bien mieux d’changer de goaler
(Louis Bérubé, «La game de hockey», chanson, 2009)

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

Dictionnaire des séries 40

Bâton et ruban gommé

Taper : au hockey, recouvrir des parties de son bâton de ruban gommé («tape», dans la langue de Bobby Hull). L’orthographe n’est pas fixée, mais la prononciation, si : téper.

Les bâtons ben tépés quat’ briques pour faire les buts
(Sylvain Lelièvre, «La partie de hockey», chanson, 1971)

 

[Complément du 4 juin 2019]

La graphie en a peut porter à confusion. Dans le recueil Si j’étais un motel, j’afficherais jamais complet de Maude Jarry (2019), on lit le vers suivant : «la bouche tapée à celle de l’autre» (p. 73). On doit (évidemment) comprendre que cette bouche n’est pas tapée, mais tépée.

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

 

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Référence

Jarry, Maude, Si j’étais un motel, j’afficherais jamais complet. Poésie, Montréal, Éditions de ta mère, 2019, 83 p.

Autopromotion 071

L’Oreille tendue sera, autour de 9 heures, chez Catherine Perrin, à l’émission Médium large de la radio de Radio-Canada, pour proposer l’inclusion de quelques mots aux dictionnaires courants. Elle sera en compagnie d’Antoine Robitaille (le Devoir) et de Catherine Perreault-Lessard (Urbania).

Reprendra-t-elle les exemples évoqués hier ? On verra.

 

[Complément du jour]

Les trois invités devaient répondre à une quadruple commande.

Faire une suggestion de nom propre (choix de l’Oreille : Lady Gaga)

L’Oreille a fait cette proposition pour contester la décision de Laurence Laporte, directrice éditoriale du Petit Robert 2014, de ne pas retenir le nom de l’artiste dans la nouvelle version du dictionnaire. Mme Laporte a déclaré au Nouvel Observateur : «J’étais surprise du nombre de votes pour Lady Gaga. Je m’y suis opposée. On avait fait entrer Madonna sans problème. Mais Lady Gaga, ça me semblait un peu tôt. Voire un peu tard : on en entend moins parler, ces temps-ci.»

En date d’hier, @ladygaga avait 37 950 291 abonnés sur Twitter. Le Petit Robert 2014 lui a préféré Olivier Adam, Christine Angot et Marc Dugain. Bref, la culture lettrée parisienne de l’heure, oui; la culture populaire mondialisée, non.

Faire une suggestion de nom commun (choix de l’Oreille : snoro)

Sur le «sn(o)(ô)(au)r(o)(ô)(eau)(aud)», voir l’entrée du 17 décembre 2011 et les commentaires étymologiques qui la suivent.

Revoir une définition (choix de l’Oreille : tabernacle)

Pour un Québécois, la définition de ce mot dans le Petit Robert (édition numérique de 2010) est nettement insuffisante : «Petite armoire fermant à clé, qui occupe le milieu de l’autel d’une église et contient le ciboire.»

L’Oreille a beaucoup écrit sur ce juron, son favori. Les modifications qu’elle a proposées en ondes se retrouvent dans cette entrée du 2 septembre 2010.

Toutes les occasions étant bonnes de souligner la richesse phonétique et morphosyntaxique des jurons québécois, et de tabarnac / tabarnak en particulier, il fallait saisir celle-là.

Proposer un nom pour un nouveau dictionnaire (choix de l’Oreille : le Diderot)

Voilà la contribution de l’Oreille à la commémoration du tricentenaire de la naissance du codirecteur de l’Encyclopédie, Denis Diderot.

Créer une version québécoise de ce dictionnaire, le Diderot Québec, pourrait porter à confusion avec Hydro-Québec. On ne le fera pas.

On peut (ré)entendre l’entretien ici.

 

[Complément du 10 mai 2014]

Non.

Le Figaro, 9 mai 2014Source : le Figaro, 9 mai 2014.

 

[Complément du 4 septembre 2014]

La presse française, qui maîtrise mal les jurons québécois, raffole de «tabernacle». La preuve ? Ce site : http://cariboutabernacle.tumblr.com/. L’Oreille tendue est jalouse. (Merci à @PimpetteDunoyer pour le lien.)

 

[Complément du 10 février 2017]

Le duo français Volo lançait, le 27 janvier 2017, un album intitulé Chanson française, étiquette Play On (!) / Sony ATV. On y trouve la pièce «Tabarnak». La prononciation du mot est excellente. Merci.