Accouplements 222

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Lol. Qui rira le dernier, Prime, publicité, 2023

Diderot, Denis, le Neveu de Rameau, Genève, Droz, coll. «Textes littéraires français», 37, 1977, xcv/329 p. Édition critique avec notes et lexique par Jean Fabre.

«[Lui. —] Mais il est cinq heures et demie. J’entends la cloche qui sonne les vepres de l’abbé de Canaye et les miennes. Adieu, Mr le philosophe. N’est-il pas vrai que je suis toujours le meme ?

Moi. — Helas ! oui, malheureusement.

Lui. — Que j’aie ce malheur la seulement encore une quarantaine d’années. Rira bien qui rira le dernier» (p. 109).

Accouplements 221

Richard Wagamese, Indian Horse et Ed McBain, Pusher, couvertures, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Richard Wagamese, Indian Horse. A Novel, Madeira Park, Douglas & McIntyre, 2013, 220 p. Édition originale : 2012.

«Keewatin. That’s the name of the north wind. The Old Ones gave it a name because they believed it was alive, a being like all things. Keewatin rises out over the edge of the barren lands and grips the world in fierce fingers born in the frigid womb of the northern pole. The world slows its rhythm gradually, so that the bears and the other hibernating creatures notice time’s relentless prowl forward. But the cold that year came fast. It descended on us like a slap of a hand : sudden and vindictive» (p. 36).

Ed McBain, Pusher. An 87th Precinct Mystery, New York, Signet, 1973, 153 p. Édition originale : 1956.

«Winter came in like an anarchist with a bomb.
Wild-eyed, shrieking, puffing hard, it caught the city in cold, froze the marrow and froze the heart.
The wind roared under eaves and tore around corners, lifting hats and lifting skirts, caressing warm thighs with icy-cold fingers. The citizens blew on thir hands and lifted their coat collars and tightened their mufflers. They had been enmeshed in the slow-dying lethargy of autumn, and now winter was upon them, rapping their teeth with knuckles of ice. The citizens grinned into the wind, but the wind was not in a smiling mood. The wind roared and bellowed, and snow pilled from the skies, covered the city with white and then, muddied and dirtied, yielded to the wind and the cold and turned to teacherous ice.
The citizens deserted the streets. They sought pot-bellied stoves and hissing radiators. The drank cheap rye or expensive Scotch. They crawled under the covers alone, or they found the warmth of another body in the primitive ritual of love while the wind howled outside.
Winter was going to be a bitch this year» (p. 1, incipit).

Accouplements 220

Bondrée et Tangente vers l’est, couvertures, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Michaud, Andrée A., Bondrée, Montréal, Québec Amérique, coll. «qa», 2020. Édition numérique. Édition originale : 2014.

«Certains croyaient que Larue avait nommé sa fille Emma à cause de l’admiration qu’il portait à Flaubert et à Emma Bovary, mais ce n’était pas le cas. S’il appréciait Flaubert, il fuyait les Bovary comme la peste. C’était sa femme qui avait choisi ce prénom, y voyant une parenté avec le verbe “aimer”. Larue était trop stupide, à cette époque, trop amoureux pour la contredire et lui indiquer qu’Emma mettait le verbe au passé, j’aimai, tu aimas, il aima. Il le regrettait aujourd’hui, quand il songeait que sa fille portait le nom d’une héroïne dont l’amour dérivait dans le souvenir.»

Kerangal, Maylis de, Tangente vers l’est, Paris, Verticales, coll. «Minimales / Verticales», 2012, 136 p. Édition numérique.

«Ils se sont donné leurs prénoms, se sont donné du feu, se sont donné des clopes. Elle lui a précisé qu’elle était française, frantsouzkaïa et toujours ce geste de poser la paume sur le sternum en appuyant la seconde syllabe, frantsouzkaïa, et en face d’elle, Aliocha a hoché la tête. Une Française, il est déçu — ne sait pourtant rien des femmes françaises, rien, ne connaît d’elles que des Fantine, des Eugénie ou des Emma, femmes obligatoires dont il avait entrevu des fragments de psyché dans des manuels scolaires et reléguées loin de celles qui l’éblouissent, Lady Gaga en tête.»

 

P.-S.—En effet : ce n’est pas la première Emma que nous croisons chez Maylis de Kerangal (voir ici).

Accouplements 219

Naissance d'un pont et Madame Bovary, couvertures, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Flaubert, Gustave, Madame Bovary, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 86, 1966, 441 p. Chronologie et préface par Jacques Suffel. Édition originale : 1857.

«Une fois, au milieu du jour, en pleine campagne, au moment où le soleil dardait le plus fort contre les vieilles lanternes argentées, une main nue passa sous les petits rideaux de toile jaune et jeta des déchirures de papier, qui se dispersèrent au vent et s’abattirent plus loin, comme des papillons blancs, sur un champ de trèfles rouges tout en fleur» (p. 270).

Kerangal, Mailys de, Naissance d’un pont, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 5339, 2020, 336 p. Édition numérique. Édition originale : 2010.

«Avant de redémarrer la voiture, Shakira avait pris soin d’essuyer le sable collé sur ses pieds à l’aide de mouchoirs en papier glissés entre ses doigts de pied, puis froissés d’une pression sèche et jetés par la vitre, un par un, la boîte entière bientôt dilapidée. Sanche avait suivi du regard les kleenex blancs qui flottaient en l’air, voletaient doucement, déformés au moindre souffle, se redéposaient enfin au sol, maculant peu à peu tout le paysage.»

 

P.-S.—Toujours dans Naissance d’un pont : «un mouflon blanc aux grosses cornes ambrées recourbées en arceaux comme la coiffure à rouleaux de Mme Bovary».

P.-P.-S.—En sa jeunesse, l’Oreille tendue a consacré quelques lignes à la scène flaubertienne dite «du fiacre» : Melançon, Benoît, «Faire catleya au XVIIIe siècle», Études françaises, 32, 2, automne 1996, p. 65-81. https://doi.org/1866/28660

Accouplements 218

J.-H. Bernard, Manuel de diction. Parlons bien, 1905, p. 9

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Vinzenz Rohrer est joueur de hockey.

«C’est difficile, toutes les règles pour prononcer les mots. En espagnol, si je vois un mot, je sais comment le prononcer. Mais en français, il y a tellement de règles.» Il cite les mots «chien» et «Autrichien», et clairement, la prononciation nasale lui donne des difficultés. «Ça sonne comme du chinois pour moi ! Je peux rouler les “r”, on le fait en allemand. Mais ce son est difficile. C’est comme le “a” et le “u” deviennent un “o”. Et la dernière lettre d’un mot, est-ce que je la prononce ? Comment suis-je censé le savoir ?» (la Presse+, 9 novembre 2023)

Maria Candea est linguiste.

Pendant longtemps, l’écriture a été dissociée de l’orthographe. On apprenait d’abord à écrire et puis ensuite, éventuellement, à «mettre l’orthographe» en lien avec l’étude du latin et du grec. À l’époque, jusqu’au XIXe-XXe, l’orthographe n’est vraiment pas destinée à tous : c’est une pratique de distinction sociale. Cela a posé beaucoup de problèmes quand, à la fin du XIXe, avec la démocratisation de l’enseignement, il s’est agi d’enseigner à tout le monde quelque chose qui avait justement été inventé pour ne pas être pour tout le monde. On souffre actuellement de cette situation-là dans l’enseignement, par rapport à d’autres langues romanes comme l’espagnol, dont l’orthographe respecte bien davantage la prononciation et non l’étymologie (Ballast, 8 septembre 2017).

Vinzenz Rohrer et Maria Candea disent la même chose.