Accouplements 169

Tintin aujourd’hui. Images et imaginaires, 2021, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Une fois de plus, l’Oreille tendue se met à une série télévisée longtemps après tout le monde, en l’occurrence Designated Survivor.

Hier, elle regardait «La mission», le cinquième épisode de la première saison. On y voit le président désigné des États-Unis, Tom Kirkman (Kiefer Sutherland), discuter avec un responsable de l’unité d’élite des Navy SEALs, au moment de planifier l’enlèvement d’un terroriste caché en Algérie. Kirkman lui demande comment leur mission doit se dérouler : «Amateurs talk tactics, sir. Professionals talk logistics.» Le succès militaire serait donc affaire de logistique. Ce responsable y est sensible, car il ne veut pas mettre la vie de ses hommes en danger.

Plus tôt dans la journée, l’Oreille avait reçu par la poste l’ouvrage collectif Tintin aujourd’hui. Images et imaginaires (2021). Tout à l’heure, en feuilletant la table des matières, elle tombe sur l’article de Pascal Robert, «Les Aventures de Tintin. Une affaire de logistique» (p. 67-85). Que peut-on y lire ? Souvent, chez Tintin, «il s’agit de rattraper quelque méchant, de rejoindre un ami en danger, etc. Le temps presse, et cela peut être une question de vie ou de mort» (p. 67).

Hergé / Sutherland : même combat.

P.-S.—Oui, l’Oreille est tintinologue à ses heures.

Accouplements 167

Wikipédia, logo, 9 juin 2021

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Melançon, Benoît, «Journal d’un (modeste) Wikipédien», dans Rainier Grutman et Christian Milat (édit.), Lecture, rêve, hypertexte. Liber amicorum Christian Vandendorpe, Ottawa, Éditions David, coll. «Voix savantes», 32, 2009, p. 225-239. https://doi.org/1866/11380

7 avril 2008. Mario Roy est éditorialiste au quotidien La Presse, où il ne manque jamais une occasion de fustiger les vilains intellectuels. Dans l’édition du 31 mars, il reprend la même lamentation, s’agissant cette fois de Wikipédia. S’il fallait l’en croire, Wikipédia serait l’objet de critiques non fondées de la part des intellectuels : «les classes intellectuelles et culturelles dominantes n’ont jamais été très à l’aise avec la dissémination prolétaire, anarchique, incontrôlée, du savoir et de la culture». Quelques lignes plus haut, on pouvait lire que l’encyclopédie numérique était «la seule incarnation réelle de l’idéal communiste». Communisme, prolétariat, classes : voilà convoqué le vocabulaire marxiste pour parler de la plus états-unienne des entreprises, du moins en son principe. Pour proposer une lecture politique de Wikipédia, le libéralisme serait une bien meilleure catégorie que le communisme : ce qui unit les Wikipédiens n’est pas le rejet du capitalisme, mais plutôt un supposé égalitarisme social et intellectuel, selon lequel un amateur peut discuter (presque) d’égal à égal avec un Prix Nobel, ainsi qu’une conception un peu simpliste de la démocratie, conçue comme discussion sans médiation. Se greffe encore à cela le pragmatisme réputé des États-Uniens (p. 230).

Menand, Louis, «Wikipedia, “Jeopardy!,” and the Fate of the Fact», The New Yorker, 23 novembre 2020. https://www.newyorker.com/magazine/2020/11/23/wikipedia-jeopardy-and-the-fate-of-the-fact

Wikipedia is neoliberalism applied to knowledge.

Accouplements 166

Chantal Thomas De sable et de neige, 2021, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Au moment de son ouverture, l’Oreille tendue a beaucoup fréquenté la (nouvelle, à l’époque) Bibliothèque nationale de France. Dans un article de la revue le Débat qu’elle a consacré à cette fréquentation, «Quai François-Mauriac, 25 novembre 1998-29 janvier 1999», elle écrivait ceci :

Le chercheur, tel que se l’imaginent les concepteurs du site Tolbiac de la Bibliothèque nationale de France, est une bien étrange créature. Il ne laisse derrière lui ni brouillons ni notes : aucune corbeille dans les salles de lecture. Il ne doit jamais se défaire de sa montre : on a oublié les pendules. Il ne boit pas d’eau : pas une fontaine dans l’édifice. S’il apprécie la randonnée — on le force à l’apprécier, gigantisme oblige —, c’est à l’intérieur : d’un lieu au suivant, il parcourt des dizaines ou des centaines de mètres, sa carte d’abonné à la main, et l’entrée du jardin lui est interdite. (Il est vrai que l’allure des arbres qu’on y a plantés, soutenus par de complexes réseaux de câbles, n’invite pas à la flânerie.) (p. 152)

[L’architecte] qui est parvenu à aménager des toilettes sans le moindre bouton, sans la plus petite manette, sans même de robinet, a érigé le lisse en esthétique (p. 155).

Son collègue Jean M. Goulemot a participé au même dossier du Débat sur la BnF et, en 2006, il a publié l’Amour des bibliothèques. On trouve dans ce livre une réflexion sur les graffitis madrilènes (p. 109-110) et français (p. 140-142 et p. 272). Que dire de ceux de la nouvelle bibliothèque ?

Au site Mitterrand, les graffitis sont rares. Ni politiques ni sexuels. Mais absents. Certains avancent que les matériaux des toilettes — acier poli, automatisation des commandes d’évacuation, robinetterie que le passage des mains suffit théoriquement à déclencher, carrelages qui évoquent l’hôpital ou la clinique — invitent peu aux graffitis ardents. Pour d’autres, la longue descente des escalators au milieu des draperies métalliques et du béton réveilleraient en chacun le sens du péché et la mémoire de Dante, ce qui écarterait la tentation du graffiti obsessionnel (p. 141).

Lisant le récent ouvrage de Chantal Thomas De sable et de neige (2021), l’Oreille tendue a dû, une fois de plus, revenir sur ses impressions de 1998, dans une perspective à laquelle elle n’avait pas songé alors. L’auteure décrit les graffitis qui recouvrent un bunker au Cap Ferret :

tracés en hautes lettres aussi agressives que fières d’elles, au contraire des honteuses pattes de mouche en noir ou en bleu des nombreux graffitis inscrits dans les toilettes de la bibliothèque Richelieu du temps d’avant la Bibliothèque nationale de France François-Mitterrand, laquelle est impossible à consteller de sournoises obscénités. L’obsession sexuelle s’égare dans la fatigue des longs trajets à pied que le lecteur studieux est sans cesse en train d’y effectuer (p. 27).

Dans le Débat, l’Oreille n’avait pris en compte ni l’impossibilité des graffitis à la Bibliothèque nationale de France, ni l’obsession sexuelle de ses usagers, ni leur sens du péché. Elle offre ses plus plates excuses à ses lecteurs.

 

Références

Goulemot, Jean M., «Fragments du journal d’un lecteur ordinaire», le Débat, 105, mai-août 1999, p. 130. 139. https://doi.org/10.3917/deba.105.0130

Goulemot, Jean M., l’Amour des bibliothèques, Paris, Seuil, 2006, 292 p.

Melançon, Benoît, «Quai François-Mauriac, 25 novembre 1998-29 janvier 1999», le Débat, 105, mai-août 1999, p. 152-156. https://doi.org/1866/28723

Thomas, Chantal, De sable et de neige, Paris, Mercure de France, coll. «Traits et portraits», 2021, 199 p. Avec des photos d’Allen S. Weiss.

Accouplements 165

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Des goûts et des couleurs…

Tremblay-Gaudette, Gabriel, «“Écrire ce qui vient naturellement” : la langue dans l’histoire de la bande dessinée québécoise», dans Aline Francœur (édit.), Adaptation de l’expression française dans les cultures francophones, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Culture française de l’Amérique», 2016, p. 111-135.

«il tire à boulets rouges sur le journalisme jaune» (p. 117).

Guillaume Ancel, Un Casque bleu chez les Khmers rouges, 2021, couverture