Accouplements 111

Daniel Carr et Denis Diderot, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Bouchard, Olivier, «Le match d’hier revu et colligé #82», Athlétique, 8 avril 2018.

«On ne saura probablement jamais pourquoi Daniel Carr a passé tout ce temps dans la Ligue américaine. Le gars a 30 points à forces égales en 94 matchs d’expérience dans la LNH, ce qui ne ressemble à rien en surface, mais sachant qu’il joue 10, 11 minutes par matchs sur une quatrième ligne, ça revient à, oh, 25 ou 26 points par saison ? J’ai toujours un peu de misère à croire que ce genre de contribution est purement fongible.»

Melançon, Benoît, Diderot épistolier. Contribution à une poétique de la lettre familière au XVIIIe siècle, Montréal, Fides, 1996, viii/501 p. Préface de Roland Mortier. https://doi.org/1866/11382

«Si la lettre peut troubler le destinataire au moment même qu’il la reçoit, cela ne revient pas à dire que son pouvoir disparaît pour autant par la suite : ni consomptible ni fongible, elle reste chargée de sens, on peut y revenir, la relire, la toucher de nouveau, lui donner un nouveau sens — ou le même —, comme texte et comme objet» (p. 209).

Dans la vie, on n’utilise pas assez le mot fongible.

Accouplements 110

Lettre de faire-part du futur décès, gravure de Henri Charles Guérard

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Boutet, Josiane, le Pouvoir des mots. Nouvelle édition, Paris, La Dispute, 2016, 256 p.

«Les pratiques d’euphémisation qui consistent, par exemple, à ne pas dire explicitement de quelqu’un qu’il est “mort”, mais qu’“il est parti”, “il est décédé”, “il n’est plus”, “il nous a quittés” s’apparentent aussi aux processus des mots tabous : ne pas dire le mot, c’est éloigner la chose» (p. 244).

Carrère, Emmanuel, D’autres vies que la mienne, Paris, P.O.L, 2009, 309 p.

Étienne : «Ça l’a mis en colère, se rappelle-t-il, qu’elle le réveille et surtout qu’elle dise “Juliette est partie” au lieu de “Juliette est morte”» (p. 293).

Barbe, Jean, Discours de réception du prix Nobel, Montréal, Leméac, 2018, 61 p.

«—Jean… Élaine est décédée.
Sur le coup, je n’ai rien dit. Je regardais le visage de mon frère, inquiet, triste, inquiet surtout, pour moi. J’ai crié :
— Elle n’est pas “décédée”… Elle est morte… Morte !
Puis je suis allé m’enfermer dans ma chambre avec la mort» (p. 19).

Office québécois de la langue française, Banque de dépannage linguistique

«Lorsqu’on parle de personnes, mourir convient dans tous les contextes.»

P.-S.—L’Oreille tendue le sait : son combat pour mourir (voir ici et ) est perdu d’avance. Pas besoin de le lui répéter.

 

Illustration : Lettre de faire-part du futur décès, gravure de Henri Charles Guérard, 1856-1897, Rijksmuseum, Amsterdam

Accouplements 109

Photo de Norbert Elias en 1987

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Dans le Devoir des 3-4 mars, en page B10, Stéphane Chalifour et Judith Trudeau publient une «Libre opinion» sous le titre «#MeToo et la poursuite du “processus de civilisation”». En page B11, dans la rubrique «Le Devoir de philo», on peut lire «Les tueries de masse témoignent d’un dérèglement des structures sociales» de Julien Gauthier Mongeon.

Ce qui unit ces deux textes ? L’un et l’autre s’appuient sur le travail du sociologue allemand Norbert Elias (1897-1990).

Ce n’est pas l’Oreille tendue qui va se plaindre, elle qui a essayé, il y a une vingtaine d’années, d’appliquer la pensée d’Elias à un corpus épistolaire, celui des lettres d’Élisabeth Bégon (1696-1755) — dans une perspective bien différente, il est vrai, de celle des articles du quotidien.

 

Illustration : Rob Bogaerts, photo de Norbert Elias en 1987, Anefo-Nationaal Archief, déposée sur Wikimedia Commons

 

Référence

Melançon, Benoît, «La configuration épistolaire : lecture sociale de la correspondance d’Élisabeth Bégon», Lumen. Travaux choisis de la Société canadienne d’étude du dix-huitième siècle. Selected Proceedings from the Canadian Society for Eighteenth-Century Studies, XVI, 1997, p. 71-82. https://doi.org/1866/31893

Accouplements 108

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

L’Oreille tendue possède un chien, photographe à ses heures. Un jour, chez un vétérinaire, elle tombe sur cette murale :

Murale, clinique vétérinaire, Verdun, Québec

Par les temps qui courent, elle avance, de peine et de misère, dans la lecture de la traduction française d’un roman historique espagnol, Deux hommes de bien, qui se déroule au XVIIIe siècle. Elle y lit ceci :

«Le matin, seul mon petit chien, Voltaire, et mes amis intimes ont la permission d’entrer ici» (p. 401).

Voltaire est un (nom d’) animal.

 

Référence

Pérez-Reverte, Arturo, Deux hommes de bien. Roman, Paris, Seuil, 2017, 501 p. Traduction de Gabriel Iaculli. Édition originale : 2015.

Accouplements 107

Article «Moustache», Encyclopédie, 1751-1772, incipit

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Pérez-Reverte, Arturo, Deux hommes de bien. Roman, Paris, Seuil, 2017, 501 p. Traduction de Gabriel Iaculli. Édition originale : 2015.

«Et sur le mur, au-dessus de cette bibliothèque éclectique, trois estampes en couleur forment une insolite combinaison d’effigies : Voltaire, Catherine de Russie et Frédéric de Prusse. À tous les trois Bringas a peint des moustaches, des cornes et autres attributs grotesques» (p. 282).

Senécal, Patrick, Malphas 2. Torture, luxure et lecture, Québec, Alire, coll. «GF», 18, 2012, 498 p.

«Je souris en poursuivant mon examen et tombe sur deux rangées remplies d’œuvres de Voltaire. Je lis les titres, impressionné. Bien sûr, j’y retrouve les incontournables, comme Candide, Zadig et Micromégas, mais plus de la moitié me sont parfaitement inconnus, comme Les Deux Consolés, L’Homme aux 40 écus ou Cosi-Sancta. Bref, il y a bien là une cinquantaine de livres, ce qui doit représenter tout près de l’œuvre complète de fiction de l’écrivain. Archlax est manifestement un exégète du célèbre auteur. Le littéraire en moi est tout à coup fasciné et je ne peux m’empêcher d’enlever mes gants, de prendre quelques bouquins du philosophe et de les feuilleter… Je tombe alors sur un exemplaire de L’Ingénu, édition qui comporte en quatrième de couverture un portrait de Voltaire… et je remarque qu’on lui a ajouté, à l’aide d’un crayon-feutre noir, des lunettes, une moustache et une verrue. Sans doute qu’Archlax a déniché ce livre dans une librairie d’occasion et que le visage était déjà barbouillé. Mais j’imagine mal DP acheter un volume qu’on aurait ainsi outragé. Pour en avoir le cœur net, je me mets à la recherche d’autres titres affichant la gueule de Voltaire et en trouve six. Trois des portraits sont intacts, mais les trois autres ont aussi été défigurés» (p. 249-250).

 

Illustration : incipit de l’article «Moustache» de l’Encycopédie de Diderot et D’Alembert, 1751-1772

 

P.-S.—L’Oreille tendue a étudié la présence du XVIIIe siècle dans les quatre volumes de la série Malphas : Melançon, Benoît, «Pot-pourri. Le projet Voltaire», Cahiers Voltaire, 16, 2017, p. 189-192; repris, sous le titre «Drame sadovoltairien chez Patrick Senécal», dans Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, p. 82-88.