Accouplements 17

Éric Chevillard, le Désordre azerty, 2014, couverture(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Le 15 octobre 1759, Diderot écrit à Sophie Volland :

On parla ensuite d’un monsieur de St. Germain qui a cent cinquante à cent soixante ans, et qui se rajeunit quand il se trouve vieux. On disait que si cet homme avait le secret de rajeunir d’une heure, en doublant la dose, il pourrait rajeunir d’un an, de dix, et retourner ainsi dans le ventre de sa mère (éd. Chouillet 1986, p. 170).

En 2014, Éric Chevillard, dans le Désordre azerty :

Le quinquagénaire d’aujourd’hui avait trente ans au XIXe siècle. Le trentenaire de l’époque avait lui-même dix-huit ans et le garçonnet de dix ans n’était pas né encore (p. 79).

La littérature : machine à remonter le temps.

 

[Complément du 30 novembre 2016]

On peut retourner dans le ventre de sa mère ou ne pas naître. On peut aussi sortir du temps, comme dans «Jouvence», court texte que publie Nicolas Guay en 2015.

Cette crème rajeunissante promettait «dix ans de moins en dix minutes». La petite Jessica, cinq ans, trouva le pot dans la pharmacie et reconnut la pommade que sa maman utilisait tous les matins. Vous savez comment sont les enfants, ils aiment bien imiter leurs parents. Ainsi, Jessica se badigeonna généreusement le visage du produit. Moins de dix minutes plus tard, la petite disparaissait. On eut beau la chercher partout, on ne trouva que ses vêtements et le pot vide de crème rajeunissante.

Encore une fois, c’est mathématique.

 

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté le Désordre azerty le 28 mars 2015.

 

Références

Chevillard, Éric, le Désordre azerty, Paris, Éditions de Minuit, 2014, 201 p.

Chouillet, Jacques, Denis Diderot-Sophie Volland. Un dialogue à une voix, Paris, Librairie Honoré Champion, coll. «Unichamp», 14, 1986, 173 p.

Guay, Nicolas, Comme un léger malentendu, Chez l’auteur, 2015. Édition numérique.

Accouplements 16

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Le samedi, tu vas au Musée d’art contemporain de Montréal pour l’exposition de Sophie Calle, «Pour la dernière et pour la première fois». Tu en profites pour visiter itou celle de Simon Starling, «Métamorphologie». Dans celle-ci tu vois, au mur, l’œuvre intitulée «Flaga 1972–2000» (2002) : il s’agit d’une voiture Fiat 126 rouge et blanche, mêlant pièces italiennes et pièces polonaises.

Simon Starling, «Flaga 1972–2000», 2002

Le dimanche matin, tu ouvres la Presse+ et tu tombes sur la photo suivante, de Karam Al-Masri, de l’Agence France-Presse, dont la légende est «Un jeune garçon passe devant une barricade de fortune faite d’épaves d’autobus à Alep, en Syrie» :

Alep, Syrie, 2015

Et tu te dis que les images du monde, de l’horizontalité à la verticalité, dialoguent parfois entre elles de façon inopinée.

Accouplements 15

Liberté, 207, printemps 2015, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Le plus récent numéro de la revue Liberté comporte un dossier intitulé «La moitié du monde. Comment le féminisme pense la société» (numéro 307, printemps 2015). On peut y lire des textes de Maïté Snauwaert, Annelyne Roussel, Catherine Mavrikakis, Mélanie Loisel, Martine Delvaux, Marie-Andrée Bergeron et Anne-Marie Régimbald. Le dossier est précédé d’un entretien avec Francine Pelletier, «De la Vie en rose à aujourd’hui». (L’Oreille tendue apprécie fort le titre d’Annelyne Roussel, «Attention à nos femmes… C’est peut-être la vôtre.» Explication ici.) Extrait de la présentation du dossier par La rédaction : «Le féminisme s’emploie à lire le monde autrement» (p. 19).

À la fin du numéro, Robert Lévesque tient une chronique de potins littéraires rétros, «Le lecteur impuni». On peut y lire un subtil portrait de Nathalie Sarraute — «seule femme du groupe assez hommasse d’allure mais un peu vieille pour faire garçonne» (p. 70) — et une fine allusion à la compagne d’Alain Robbe-Grillet — «une échangiste» (p. 71).

On peut imaginer que Lévesque — sa prose de mononc’ l’atteste — n’a pas lu le dossier. Il aurait pourtant eu intérêt à réfléchir au texte de Marie-Andrée Bergeron, «Une étrange façon de reconduite l’absence» : «J’ai toujours cru qu’il n’y avait pas de place pour les femmes à Liberté» (p. 38).

 

[Complément du 17 juin 2018]

Dans le Devoir de la fin de semaine, le même Robert Lévesque rend hommage au comédien Gabriel Gascon. Citation : «Je lui dis que je m’apprête à visionner le documentaire La passion selon Gabriel, que la nièce de Georges Groulx (autre grand comédien de sa génération, née dans les années 1920, embarquée dans la création du TNM en 1951) lui consacre» (p. B11). La «nièce de Georges Groulx» a un nom : elle s’appelle Sylvie Groulx.

Accouplements 14

Claire Legendre, le Nénuphar et l’araignée, 2015, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Le chiffre du jour ? 27.

«À vingt-sept ans, j’ai commencé à redouter la mort. C’était nouveau» (le Nénuphar et l’araignée, p. 18).

«Je venais d’avoir vingt-sept ans, l’âge parfait pour les résolutions. La jeunesse s’éloigne de soi à cet âge (du moins son innocence) et on entre, pour le meilleur et pour le pire, dans le monde adulte, on doit faire face, résoudre les problèmes et attaquer son avenir pour ne pas qu’il nous détruise» (Requiem pour un couple épuisant, p. 60).

 

Références

Chassay, Jean-François, Requiem pour un couple épuisant et autres nouvelles, Montréal, Leméac, 2015, 163 p.

Legendre, Claire, le Nénuphar et l’araignée, Montréal, Les Allusifs, 2015, 100 p.