BDHQ, la suite

Shawn Sirois et Jean-François Vachon, Planète Zoockey, 2012, p. 50

Maurice «Rocket» Richard est le plus mythique des joueurs des Canadiens de Montréal — c’est du hockey.

Il a été l’objet de toutes sortes d’écrits : des articles de périodiques et des textes savants, des biographies et des recueils de souvenirs, des contes et des nouvelles, des romans et des livres pour la jeunesse, des poèmes et des pièces de théâtre. On lui a consacré des chansons, des sculptures, des peintures, des films et des émissions de télévision. Son visage a orné des vêtements, des jouets, des publicités. On a donné son nom à des lieux publics. Et il est représenté dans des bandes dessinées.

Parfois, on y évoque des moments forts de sa carrière : certaines de ses bagarres légendaires — c’est du hockey —, celles avec Robert «Killer» Dill (Ullman, 2014); un de ses buts les plus célèbres (Beaudet et Boily 2011); un match d’exception, celui du 28 décembre 1944 (Bouchard, 2014); une finale de la coupe Stanley (Achdé, 2011); ou l’émeute du 17 avril 1955, qui a joué un rôle si important dans sa carrière et sa mythification (Arsène et Girerd, 1975; Ullman 2011).

À d’autres moments, le nom de Richard apparaît sans qu’il s’agisse de rappeler un de ses hauts faits d’armes. C’est le cas chez Albert Chartier à quelques reprises, et chez Duguay, Goulet et Vaillancourt en 2010. Le Marcel Rageur de Shawn Sirois et Jean-François Vachon (2012) est évidemment inspiré du numéro 9 des Canadiens. Dans Motel Galactic. 3. Comme dans le temps (2013), de Francis Desharnais et Pierre Bouchard, l’allusion au Rocket passe par la citation d’une chanson bien connue de Pierre Létourneau, «Maurice Richard» (1970).

Rares sont les bandes dessinées biographiques sur Richard. Il n’en existe que deux, en anglais, et anciennes : celle du Babe Ruth Sports Comics de 1950, «Maurice “The Rocket” Richard. Hockey’s Battling Terror», et celle des World’s Greatest True Sports Stories de Bill Stern en 1952, «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard», les deux publiées aux États-Unis.

 

Bill Stern, «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard», World’s Greatest True Sports Stories. Bill Stern’s Sports Book, 1952, case

Ce qui nous amène à une bande dessinée que faisait paraître la Presse+, la version pour tablette du quotidien montréalais la Presse, le 3 mai dernier. Intitulée «Les gants magiques», signée André Rivest, cette histoire en dix cases raconte les prouesses inattendues du numéro 18 des Canadiens, Marcel Bonin, pendant les séries éliminatoires de 1959. On ne s’attendait pas à ce que ce joueur robuste — ce qu’on appelle aujourd’hui un policier — marque dix buts et obtienne cinq passes en onze parties.

Rivest, André, «Les gants magiques», la Presse+, 3 mai 2015

Comment a-t-il réussi cela ? En jouant avec les vieux gants de Maurice Richard, alors blessé, ce Richard qui est dans cinq des dix cases de la bande dessinée.

On ne prête qu’aux riches.

[Ce texte reprend des analyses publiées dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]

 

[Complément du 2 juin 2016]

L’Oreille tendue vient de publier un article sur ce sujet :

Melançon, Benoît, «BDHQ : bande dessinée et hockey au Québec», dans Benoît Melançon et Michel Porret (édit.), Pucks en stock. Bande dessinée et sport, Chêne-Bourg (Suisse), Georg, coll. «L’Équinoxe. Collection de sciences humaines», 2016, p. 101-117. https://doi.org/1866/28749

 

Références

Achdé, les Canayens de Monroyal. Saison 3. Filet garni !, Boomerang éditeur jeunesse, 2011, 46 p. Couleur : Mel.

«Albert Chartier. A Retrospective on the Life and Work of a Pioneer Quebecois Cartoonist», Drawn & Quarterly, 5, 2003, p. 116-191. Traduction de Helge Dascher. Calligraphie de Dirk Rehm.

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p. Premier et unique épisode des «Enquêtes de Berri et Demontigny».

Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus, Brossard, Un monde différent, 2011, 49 p.

Bouchard, Pierre, Je sais tout, Montréal, Éditions Pow Pow, 2014, 106 p.

Chartier, Albert, Onésime. Les aventures d’un Québécois typique, Montréal, L’Aurore, coll. «Les p’tits comiks», 1, 1974, [s.p.].

Chartier, Albert, Une piquante petite brunette, Montréal, Les 400 coups, coll. «Strips», 2008, 222 p. Publié sous la direction de Jimmy Beaulieu.

Chartier, Albert, Onésime. Les meilleures pages, Montréal, Les 400 coups, 2011, 262 p. Publié sous la direction de Michel Viau. Préface de Rosaire Fontaine.

Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 3. Comme dans le temps, Montréal, Éditions Pow Pow, 2013, 107 p.

Duguay, Goulet et Vaillancourt, Lionel et Nooga 1. Bandes et contrebandes, Montréal, Les 400 coups, coll. «Rotor», 2010, 60 p.

«Maurice “The Rocket” Richard. Hockey’s Battling Terror», Babe Ruth Sports Comics, 1, 6, février 1950, [s.p.]. Reproduite par Paul Langan dans Classic Hockey Stories. From the Golden Era of Pulp Magazines, 1930s-1950s (Chez l’Auteur, 2021, p. 219-221).

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Rivest, André, «Les gants magiques», la Presse+, 3 mai 2015.

Sirois, Shawn et Jean-François Vachon, Planète Zoockey, Montréal, Le petit homme, 2012, 50 p. Idée originale de Bob Sirois.

Stern, Bill, «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard», World’s Greatest True Sports Stories. Bill Stern’s Sports Book, hiver 1952, [s.p.].

Ullman, Robert et Jeffrey Brown, «Libérez le Rocket», dans Old-Timey Hockey Tales, Volume One, Greenville, Richmond et Minneapolis, Wide Awake Press, 2011, [s.p.].

Ullman, Robert, «The Rocket vs. “Killer” Dill», dans «Old-Timey» Hockey Tales, Volume Two, Wide Awake Press, 2014, [s.p.].

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Du flau/flot/flow/flo

Soit un enfant, au Québec. Un de ses synonymes pose deux problèmes.

1. De graphie

Dans l’Hiver de force, Réjean Ducharme écrit «flaux» (1973, p. 130).

Hervé Bouchard préfère «flots», tant dans Numéro six (2014, p. 51) que dans Parents et amis sont invités à y assister (2014, p. 18).

«Flows», avance Jocelyn Bérubé (2003, p. 27).

La graphie «flo(s)» est probablement la plus fréquente. On la trouve chez Alice Michaud-Lapointe (2014, p. 159), chez Beaudet et Boily (2011, p. 22), chez Pierre Szalowski (2012, p. 228), chez Léandre Bergeron (1980, p. 229).

Ça fait désordre.

2. D’étymologie

Il y a les explications fausses (et méchantes). Dans son Dictionnaire québécois instantané, l’Oreille tendue définissait ainsi le «flo» : «Gniard, chiard, moutard (par attraction avec fléau)» (2004, p. 96). Ephrem Desjardins va dans le même sens (2002, p. 84).

Il y a les explications poétiques. Le mot est populaire en Gaspésie, région québécoise «entourée des eaux du fleuve Saint-Laurent au nord, du golfe St-Laurent à l’est et de la baie des Chaleurs au sud» (merci Wikipédia). L’énergie des enfants évoquerait le mouvement de l’eau. Dans ce cas, il faudrait favoriser la graphie flot.

Il y a les explications bretonnes. Selon @revi_redac, flau/flot/flow/flo viendrait de floc’h (damoiseau).

Il y a les explications anglaises. Le dictionnaire en ligne Usito cite l’Index lexicologique québécois qui lui-même cite le Dictionnaire Bélisle de la langue française au Canada de 1957, cela pour évoquer une origine liée à fellow.

Ça fait aussi désordre.

P.-S. — Toujours selon Usito, floune serait le féminin de flo. Voilà qui alimentera la banque québécoise des mots en –oune.

 

Références

Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus, Brossard, Un monde différent, 2011, 49 p. Bande dessinée.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bérubé, Jocelyn, Portraits en blues de travail, Montréal, Planète rebelle, coll. «Paroles», 2003, 94 p. Ill. Préface de Jean-Marc Massie. Accompagné d’un cédérom.

Bouchard, Hervé, Numéro six. Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant, Montréal, Le Quartanier, 2014, «série QR», 80, 2014, 170 p.

Bouchard, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 14, 2014, 238 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Michaud-Lapointe, Alice, Titre de transport, Montréal, Héliotrope, coll. «K», 2014, 206 p.

Szalowski, Pierre, Mais qu’est-ce que tu fais là, tout seul ?, Montréal, Hurtubise, 2012, 360 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

BDHQ, en anglais

Mickey et Keir Cutler, The Glory Boys, 1979, couverture

L’Oreille tendue a eu plusieurs occasions de parler de la bande dessinée sur le hockey au Québec (BDHQ). Ici même, c’était le 12 décembre 2011, le 23 décembre 2011, le 28 décembre 2011, le 19 juillet 2012, le 25 juin 2013 et le 12 juin 2014. Il lui est aussi arrivé d’aborder le sujet à la radio.

Un des coauteurs de l’ouvrage On the Origin of Hockey (2014), Jean-Patrice Martel, vient de lui faire découvrir une autre bande dessinée à ajouter à sa collection.

D’abord publiées dans le quotidien anglo-montréalais The Gazette, les courtes histoires (une page ou deux) de Mickey et Keir Cutler sont rassemblées dans The Glory Boys en 1979. Beaucoup sont constituées de trois cases, la quatrième de la planche étant occupée par un portrait. Le graphisme (en noir et blanc) est rudimentaire, comme le contenu. Les histoires reposent sur les mêmes lieux communs que les bandes dessinées francophones contemporaines : violence et, surtout, humour.

Mickey et Keir Cutler, The Glory Boys, 1979, Ken Dryden

 

Mettant en scène les Canadiens de Montréal, l’équipe championne de la deuxième moitié des années 1970, elles supposent que leur lecteur soit un amateur. Il comprendra ainsi portraits et allusions : Ken Dryden, le gardien, s’ennuie pendant les matchs, au point de s’endormir; Pierre Bouchard, un dur à cuire, et Michel Larocque, le gardien susbstitut, ne jouent presque pas; les mises en échec de Larry Robinson sont puissantes; l’entraîneur Scotty Bowman est sans pitié avec ses joueurs; un commentateur de Toronto, Foster Hewitt, fait preuve de favoritisme envers l’équipe de sa ville, les Maple Leafs. Les joueurs sont représentés comme de grands enfants, un peu bêtes, voire incultes.

 

Mickey et Keir Cutler, The Glory Boys, 1979, Guy Lafleur

Les auteurs sont bien informés : ils savent que Guy Lafleur a écrit des poèmes quand cela allait mal pour lui, au début de sa carrière : «he used to sit in a dark living room writing depressing poetry about the meaningless existence of man». Question de Mickey à propos de ces poèmes : «Oh, really Keir ? Were they any good ?» Réponse de son frère : «They were great !» À la suite de cet échange apparaît un portrait de Lafleur, accompagné de la phrase «I score, therefore I am» (Je marque, donc je suis). On peut légitimement se demander ce que vient faire là le cogito cartésien («Je pense, donc je suis»).

À l’occasion («Bilingual», «Le [sic] politique du sport», «The Chartraw solution»), on sent l’aigreur des frères Cutler devant la transformation du paysage démolinguistique du Québec de cette époque et la place grandissante qui y est accordée à la langue française.

Nous sommes bien en 1979 à Montréal.

 

[Complément du 2 juin 2016]

L’Oreille tendue vient de publier un article sur ce sujet :

Melançon, Benoît, «BDHQ : bande dessinée et hockey au Québec», dans Benoît Melançon et Michel Porret (édit.), Pucks en stock. Bande dessinée et sport, Chêne-Bourg (Suisse), Georg, coll. «L’Équinoxe. Collection de sciences humaines», 2016, p. 101-117. https://doi.org/1866/28749

 

Références

Cutler, Mickey et Keir, The Glory Boys, Montréal, Toundra Books, 1979, s.p. Parution initiale dans le journal The Gazette.

Gidén, Carl, Patrick Houda et Jean-Patrice Martel, On the Origin of Hockey, Stockholm et Chambly, Hockey Origin Publishing, 2014, xv/269 p. Ill.

Pour Clarence Campbell

Clarence Campbell, Forum de Montréal, 17 mars 1955

 «Le sort s’appelait, jeudi, M. Campbell;
mais celui-ci incarnait tous les adversaires
réels ou imaginaires que ce petit peuple rencontre.»
André Laurendeau, 1955

Clarence Sutherland Campbell est né le 9 juillet 1905 à Fleming, en Saskatchewan. Il est mort le 24 juin 1984, jour de la Fête nationale des Québécois, à Montréal. On le connaît surtout comme le troisième président de la Ligue nationale de hockey, de 1946 à 1977.

C’est dans cette fonction que, le 16 mars 1955, il a suspendu Maurice Richard, le joueur vedette des Canadiens de Montréal, pour les trois matchs qui restaient à la saison 1954-1955 et pour toute la durée des séries éliminatoires, car Richard s’en était pris à un officiel lors d’un match à Boston le 13 mars 1955. Cela mènera à une émeute célèbre, quatre jours plus tard. Pour beaucoup de francophones d’hier comme d’aujourd’hui, le vilain, c’est Campbell. Il aurait traité injustement l’idole canadienne-française par excellence.

Le 17 mars 1955, devant le Forum de Montréal, c’est précisément ce qui se disait, mais dans les deux langues officielles du Canada. Des manifestants s’y étaient regroupés dès avant le début du match et ils brandissaient des pancartes : «Richard le persécuté», «Révoltante décision», «Injustice au Canada Français», «Injustice envers les sportifs», «Campbell» (avec des dessins de porc ou de… poire), «Stupid puppet Campbell», «Vive Richard», «Vive le Rocket», «On veut Richard», «Pas-de-Richard pas-de-Coupe», «Down with Campbell», «À bas Campbell», «Dehors Campbell !!», «J’y vais pas — et vous ? I’m not going, are you ?», «Tout-péché se pardonne. Campbell. Vive Richard», «Destruction du sport national». Le président de la Ligue nationale n’était manifestement pas le bienvenu. Il se présente néanmoins au match. Plusieurs ont dit que c’est cette décision qui avait fait naître l’Émeute.

«Libérez le Rocket» de Robert Ullman et Jeffrey Brown (2011)

Extrait de la bande dessinée «Libérez le Rocket»
de Robert Ullman et Jeffrey Brown (2011)

Mais qui est Clarence Campbell ? Les textes qui portent sur lui tournent autour de trois lieux communs.

Le premier est l’intelligence qu’on lui prête. Campbell a en effet été boursier Rhodes. Cette bourse, parmi les plus prestigieuses du monde anglo-saxon, est remise à des étudiants parmi les plus doués. Un documentaire de 1971, Peut-être Maurice Richard, de Gilles Gascon, donne à voir cette supériorité intellectuelle supposée. Alors que Maurice Richard est l’homme d’une seule idée — marquer des buts — et qu’il parvient difficilement à s’exprimer, Clarence Campbell, lui, est capable de faire plusieurs choses à la fois : donner une entrevue parfaitement claire, lire des notes et classer les papiers sur son bureau, par exemple. Voilà quelqu’un qu’on ne peut ramener à une seule dimension.

On insiste également beaucoup sur le fait que Campbell a été procureur, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, au procès de Nuremberg. Dans l’image publique de Campbell, cela joue sur deux tableaux. D’une part, comme pour la bourse Rhodes, cela montre que Campbell est bien autre chose qu’un simple amateur de sport : ce n’est pas un jock. De plus, derrière l’apparent conflit de personnalités avec Richard, se profile, en arrière-fond, un vieux contentieux, périodiquement ranimé : les Canadiens français auraient refusé de se battre pendant la Deuxième Guerre mondiale, ce que ne sauraient accepter d’ex-militaires comme Campbell et Connie Smythe, le propriétaire des Maple Leafs de Toronto qui a recruté Campbell. Ce qui se passe en 1955 aurait ses racines dans la crise de la Conscription des années 1940, quand plusieurs milliers de jeunes Canadiens français ont refusé d’être enrôlés de force pour aller à la guerre. Que Maurice Richard ait été prêt à se battre, lui qui a été réformé à deux reprises, ne compte pas. Le discours public n’est pas fait de distinctions subtiles. Dans sa pièce les Canadiens (1977, p. 106-110), Rick Salutin ne manque pas d’utiliser l’image de la guerre quand il fait dialoguer Campbell et Richard.

The Toronto Telegram, début des années 1950

Bert Grassick, caricature représentant
Maurice Richard et Clarence Campbell,
The Toronto Telegram, début des années 1950.
Au tableau, à droite, une allusion à Hitler.

Enfin, Campbell aurait été l’incarnation par excellence du mange-Canayen. S’il a suspendu Richard, ce ne serait pas à cause de la gravité des gestes du Rocket — pour la deuxième fois de la saison, il attaquait, à répétition, un joueur de l’équipe adverse à coups de bâtons; pour la deuxième fois de la saison, il s’en prenait à un officiel —, mais parce qu’il n’aimait pas les Canadiens français.

C’est ce que Maurice Richard lui-même racontait, par plume interposée, dans l’hebdomadaire Samedi-Dimanche, dès 1954, quand il parlait de Campbell comme d’un «dictateur» :

D’après bon nombre d’amis qui surveillent le président Campbell durant les joutes, au Forum, de sa loge du côté sud de l’amphithéâtre, M. le président afficherait une partialité évidente dans ses réactions au jeu, il sourit et affiche ouvertement sa joie quand le club adverse compte un but contre nous et on sait d’ailleurs qu’à plusieurs occasions il a toujours rendu ses décisions contre les joueurs du Canadien. […] J’ai l’impression que M. Campbell serait partial (cité dans l’Idole d’un peuple, éd. de 1976, p. 227).

En 1971, dans Les Canadiens sont là !, il sera encore plus précis : Campbell est un «aristocrate anglais du Canada» (p. 225).

Ce qui aurait été vrai de l’attitude générale de Clarence Campbell envers les Canadiens français aurait été encore plus net au moment de l’émeute de 1955. À la suite de celle-ci, la revue Parlons sport titre «Votez pour le renvoi de Campbell» et organise un «Référendum populaire» (voir le bulletin de vote ici).

Au moment de la célébration du soixantième anniversaire de l’émeute, Donald Cuccioletta reprend donc des lieux communs vieux de plus d’un demi-siècle quand il est interviewé par le Orange County Register :

«He was the symbol of the powerful English Canadians and how they treated French Canadians,» Cuccioletta said. «Campbell was condescending to French Canadians, he looked down his nose at French Canadians. He worked in Montreal but wouldn’t even take the time to learn how to speak a few French phases.»

Puissant, condescendant, unilingue : le portrait n’est pas flatteur.

Cette caractérisation de Campbell — intelligent, patriote, méprisant —, peu de créateurs vont essayer de la problématiser.

En 1959, dans le roman les Vivants, les morts et les autres, de Pierre Gélinas, ce sont des gestes de Campbell que discute le narrateur, qui le considère responsable de l’Émeute : «la partie commencée, la nouvelle de sa présence avait été aussitôt transmise à l’extérieur; elle retint sur les lieux le premier noyau de l’émeute qui, autrement, se serait sans doute dispersé» (p. 256). C’est lui la victime des «griffes de bête hurlante» de l’«assistance» (p. 257), c’est lui que l’on veut mettre à mort (p. 251 et p. 259). Le personnage de Maurice Richard dans la pièce de théâtre de Jean-Claude Germain Un pays dont la devise est je m’oublie (1976) est plus succinct : il traite Campbell de «vieux batarre» (p. 131). Un des personnages des Taches solaires de Jean-François Chassay n’est pas moins clair quand il parle de «l’horrible président de la ligue, Clarence Campbell» (2006, p. 345). L’adjectif n’est pas le même chez Michel-Wilbrod Bujold, mais il n’est pas plus positif : «regrettable» (les Hockeyeurs assassinés, 1997, p. 98).

Il n’y a guère que de rares Canadiens anglais à faire exception et à traiter longuement de Clarence Campbell au moment de l’émeute du 17 mars 1955. Trois exemples (auxquels on pourrait ajouter celui de John Farrow).

En mars 1955, dans les semaines, sinon les jours, qui suivent l’Émeute, Bob Hill lance une chanson sur ce qui vient de se produire, «Saga of Maurice Richard». Le narrateur de la chanson se définit comme un Canadien quand il parle de «notre sport national» («our national game») et, dans le même souffle, comme Montréalais quand il parle de «notre ville» («our town») et de «notre Forum» («our Forum»). Il rappelle ce qui s’est passé à Boston le 13 mars et il en profite pour expliquer le comportement de Richard :

One evening in Boston they struck at his head
And cut him right over the ear
With his temper so red, and the way that he bled
His thinking could not have been clear
In all the confusion before they subdued him
He’d struck an official, I hear.

Richard a été atteint à la tête par des adversaires sans nom («they struck at his head»), ce qui l’a blessé près de l’oreille («cut him right over the ear») et fait saigner («the way that he bled»). Lui qui a si mauvais caractère («his temper so red»), il a en outre été victime de la confusion qui régnait («all the confusion») avant qu’on se saisisse de lui («before they subdued him»). Il est probable qu’il n’était dès lors plus en mesure de penser clairement («His thinking could not have been clear»). En revanche, la symétrie des coups ne fait aucun doute : on l’a frappé («they struck at his head») et il a frappé à son tour («He’d struck an official»). Dubitatif, le narrateur module son récit par un «I hear» («me suis-je laissé dire»).

Entre alors en scène Clarence Campbell : «he [Richard] trod on the toe / Of Campbell, the man without fear.» Marcher sur les pieds («trod on the toe») d’un homme sans peur («the man without fear») coûtera cher à Richard, fût-il la crème de la crème à Montréal («quite the cream of the Montreal team», «you are a great star»).

Says Campbell, «Young man, that stick in your hand
«Has put you in trouble, by gar
«Though you needed five stitches, you’re too big for your britches
«Just who do you think that you are?
«Now you’ve done this before, and you’ve made me quite sore
«And although you are a great star
«You’re through for the year, do I make myself clear
«Mister Maurice “The Rocket” Richard?»

Campbell va le punir pour plusieurs raisons : parce qu’il a utilisé son bâton («that stick in your hand»), parce qu’il se prend pour un autre («you’re too big for your britches») et parce qu’il récidive («you’ve done this before»). La saison de Richard est terminée («You’re through for the year»). On notera la condescendance prêtée à Campbell, qui feint de s’adresser à un jeune homme («Young man») et qui insiste pour s’assurer d’avoir été compris («do I make myself clear»). Voilà pourquoi le soir de l’Émeute on demandera sa tête («Off with the head / Of Campbell, the man without fear!»).

Dans les représentations culturelles de Campbell, c’est une des rares fois où il prend la parole.

Robert Anstey, lui, a réuni vingt-sept chansons dans le recueil Songs for the Rocket (2002), en les encadrant d’une longue introduction, de notes et de commentaires. Le compositeur ne s’en cache pas : voici l’œuvre d’un fan, et d’un fan systématique : il fallait s’attendre à ce qu’une de ses chansons porte sur l’Émeute; c’est la huitième du recueil, «The Rocket’s Riot», qu’il a écrite en 2000. Le compositeur fait reposer la responsabilité de l’Émeute sur les seules épaules de Campbell. Les fans du Rocket n’arrivaient pas à croire ce qu’il avait fait («they couldn’t believe what Campbell had done»). Quand ils l’ont vu prendre son siège, c’est l’arme du crime qu’ils ont aperçue («he was like a smoking gun»). Dans le «Commentaire» qui suit la chanson, Anstey parle de «provocation» de la part de Campbell. Dans la section «Campbell and the Rocket» de son introduction, il le disait déjà. Plus loin, on lira une chanson sur «Campbell and the Rocket», laquelle parle expressément de la volonté du président de la ligue d’entraver la marche de Maurice Richard, de lui couper les ailes («to clip his wing») :

Campbell tried to get the Rocket
in any way he could.
(Campbell s’en prenait au Rocket
de toutes les façons possibles.)

Rien de mieux, pour un vrai admirateur, qu’une opposition tranchée: un bon, un vilain.

Fire and Ice, le documentaire de Brian McKenna (2000) accorde à Clarence Campbell une place plus grande que le font la plupart des commentateurs. Le cinéaste accuse Campbell de malhonnêteté. Il considère que l’unanimité est faite aujourd’hui, dans les deux langues, pour lui imputer une partie de la responsabilité de l’Émeute. Le fait que Campbell, contrairement à ses habitudes, soit arrivé en retard au match, et qu’il ait par là attiré l’attention de la foule et attisé sa colère, était une provocation, laissent entendre des invités de McKenna, Red Fisher et Dick Irvin junior. L’ex-arbitre Red Storey, aussi interviewé, est catégorique : Campbell était «arrogant» et «égoïste», et il se prenait pour Dieu. Le réalisateur ne se contente cependant pas de ce procès sommaire. Il est une des très rares personnes à essayer de comprendre un peu mieux Campbell, au lieu de simplement le diaboliser. Ce portrait ne va pas jusqu’à la sympathie, mais il refuse également la caricature.

Qui était Clarence Campbell selon McKenna ? Né dans les Prairies canadiennes, il était «résolument britannique» («resolutely british»). Il a reçu la prestigieuse bourse Rhodes pour étudier à Oxford en Grande-Bretagne. Il a joué au hockey et il a été arbitre. Héros de guerre, il a été décoré pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il était de l’équipe d’avocats au procès de Nuremberg contre les criminels de guerre nazis. Le film pousse à penser qu’il est solitaire, mais sa solitude n’était pas celle du Rocket, bien que le film les représente l’un et l’autre dans une posture identique : seuls, debout sur la glace du Forum. Richard est coupé des autres parce qu’il ne sait pas répondre à leurs demandes : on le voit deux fois dans le film, le 11 mars 1996, à la fermeture du Forum, ne pas savoir comment réagir devant la très longue ovation que lui réservent ses supporters, trente-six ans après qu’il a cessé de jouer. La solitude de Campbell ? Hauteur, arrogance, obsession de la règle, incapacité à se rapprocher de l’autre (littéralement : il ne parle pas français). Bref, sur tous les plans, Campbell est l’antiRichard, et vice versa. C’est une des lectures que l’on peut faire du titre du film. Fire on the Ice, avait dit Herbert Warren Wind le 9 décembre 1954 dans Sports Illustrated pour qualifier Richard. Fire and Ice, dit McKenna : le feu, c’est Richard; la glace, Campbell. Voilà, pour lui, le nœud de l’Émeute : entre eux, cela ne pouvait pas ne pas exploser («A confrontation is brewing. When it comes, it will shake the whole country»).

 

Clarence Campbell sur la glace du Forum

Les historiens du hockey — les historiens culturels du hockey — auraient intérêt à travailler bien plus précisément qu’ils ne l’ont fait sur Clarence Campbell. On sait trop peu de choses sur lui, et ces choses ne sont pas toujours les mêmes selon qu’on les présente à partir du Québec ou du reste du Canada.

[Ce texte reprend des analyses publiées dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]

 

[Complément du 5 mars 2021]

Qu’en est-il, sur le plan factuel, de la participation de Clarence Campbell au procès de Nuremberg ?

Gerald Redmond, dans l’article qu’il consacre à Campbell dans l’Encyclopédie canadienne (2015), décrit ainsi son rôle :

À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il devient membre de l’unité d’enquête canadienne sur les crimes de guerre et, à ce titre, il fait partie de l’équipe commandée par le lieutenant-colonel Bruce Macdonald qui met en accusation et condamne le général SS Kurt Meyer.

Le procès de Meyer a lieu à Aurich, non à Nuremberg.

Par ailleurs, le nom de Campbell n’apparaît pas dans «Les minutes du procès Nuremberg».

Les discours mythiques sur Richard n’ont que faire de pareilles précisions : «le procès de Nuremberg» leur suffit.

 

Références

Anstey, Robert G., Songs for the Rocket. A Collection of Notes and Comments with the Song Lyrics for Twenty-Seven Original Songs About Maurice «The Rocket» Richard, Sardis, West Coast Paradise Publishing, 2002, viii/144 p.

Bujold, Michel-Wilbrod, les Hockeyeurs assassinés. Essai sur l’histoire du hockey 1870-2002, Montréal, Guérin, 1997, vi/150 p. Ill.

Chassay, Jean-François, les Taches solaires. Roman, Montréal, Boréal, 2006, 366 p.

Farrow, John, la Dague de Cartier, Paris, Grasset, coll. «Grand format», 2009, 619 p. Pseudonyme de Trevor Ferguson. Traduction de Jean Rosenthal. L’original anglais a paru deux ans après sa traduction : River City. A Novel, Toronto, HarperCollins, 2011, 845 p.

Fire and Ice. The Rocket Richard Riot / L’émeute Maurice Richard, documentaire de 60 minutes, 2000. Réalisation : Brian McKenna. Production : Galafilm.

Gélinas, Pierre, les Vivants, les morts et les autres, Montréal, Cercle du livre de France, 1959, 314 p. Rééd. : Notre-Dame-des-Neiges, Éditions Trois-Pistoles, 2010, 324 p. Préface de Jacques Pelletier.

Germain, Jean-Claude, Un pays dont la devise est je m’oublie. Théâtre, Montréal, VLB éditeur, 1976, 138 p.

Laurendeau, André, «Blocs-notes. On a tué mon frère Richard», le Devoir, 21 mars 1955, p. 4. Repris dans le Devoir les 29-30 janvier 2000, p. E9, le 29 mai 2000, p. A9 et le 17 mars 2015 (édition numérique).

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Pellerin, Jean-Marie, l’Idole d’un peuple. Maurice Richard, Montréal, Éditions de l’Homme, 1976, 517 p. Ill. Rééd. : Maurice Richard. L’idole d’un peuple, Montréal, Éditions Trustar, 1998, 570 p. Ill.

Peut-être Maurice Richard, documentaire de 66 minutes 38 secondes, 1971. Réalisation : Gilles Gascon. Production : Office national du film du Canada.

Redmond, Gerald, «Clarence Campbell», l’Encyclopédie canadienne, texte numérique, article de 2008 mis à jour en 2015 par Tabitha Marshall.

Reid, Scott M., «Maurice Richard’s legacy still felt, 60 years after riot», Orange County Register, 13 mars 2015.

Richard, Maurice et Stan Fischler, Les Canadiens sont là ! La plus grande dynastie du hockey, Scarborough, Prentice-Hall of Canada, 1971, vii/296 p. Ill. Traduction de Louis Rémillard.

«Saga of Maurice Richard», 1955, 2 minutes 53 secondes. Interprétation : Bob Hill and his Canadian Country Boys. Paroles : Bob Hill. Disque 78 tours. Étiquette : Sparton 136R.

Salutin, Rick, avec la collaboration de Ken Dryden, les Canadiens, Vancouver, Talonbooks, 1977, 186 p. Ill. «Preface» de Ken Dryden.

Ullman, Robert et Jeffrey Brown, «Libérez le Rocket», dans Old-Timey Hockey Tales, Volume One, Greenville, Richmond et Minneapolis, Wide Awake Press, 2011, s.p.

Wind, Herbert Warren, «Fire on the Ice», Sports Illustrated, 1, 17, 9 décembre 1954, p. 32-36, 70-75.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Divergences transatlantiques 035

Publicité pour la station CIBL (le Devoir, 5 avril 2011, p. B8)

Ni le Petit Robert (édition numérique de 2014) ni le Petit Larousse (édition de 2003) ne connaissent le verbe poigner / pogner.

Le Trésor de la langue française informatisé, en revanche, le présente ainsi :

Pogner, poigner, verbe trans. a) Empoigner, prendre, saisir. […] Là, on se met à l’abri, tard, l’automne, quand les gros vents vous poignent pendant qu’on chasse ou ben donc qu’on pêche sur les battures (Guèvremont, Marie-Didace, 1945 ds Rogers 1977). Pogner les nerfs. «S’emporter, se fâcher» (Fichier TLFQ). Empl. pronom. réciproque. «En venir aux coups; se battre, s’engueuler» (Fichier TLFQ). b) Arg., empl. pronom. réfl. «Se masturber». […] 1res attest. a) 1582 poigner «toucher avec le poing, empoigner» (Ch. et privil. des .XXXII. mét. de la cité de Liège, p. 81 ds GDF.) — XVIIe s. dans le domaine wallon, v. GDF. et a survécu dans certains parlers région. au sens de «prendre à pleines mains, prendre violemment», v. FEW t. 9, p. 515, b) 1935 arg. se pogner «se masturber» […]; de pogne arg. «main», v. poigne.

Comme ce passage l’indique, le verbe pogner / poigner, s’il ne pogne pas en France, pogne beaucoup au Québec. Les vents peuvent y pogner. On peut y pogner les nerfs. On peut se pogner avec un joueur de l’équipe adverse; au hockey, c’est le rôle des goons.

On a déjà vu ici même qu’il est possible, dans la Belle Province, de se poigner le moine, quand ce n’est pas le beigne, ou de pogner les gros poissons.

D’autres sens existent.

Qui saisit le sens d’une blague (d’une djoke) la pogne. Pour s’en assurer, on lui demandera la pognes-tu ?

Qui est coincé ou pris est pogné : «Pognés entre un boss crosseur, un syndicat menteur et un gouvernement…» (le Poulpe, p. 18).

Qui a du succès pogne. Voilà qui explique l’existence de la publicité suivante, récemment repérée par @revi_redac.

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L’Oreille tendue ne prétend pas avoir repéré tous les sens de pogner. On pourra facilement la pogner en flagrant délit d’oubli.

P.-S. — On l’aura noté : sauf par volonté de dérision, on prononce bien plus volontiers pogner que poigner.

 

[Complément du 31 janvier 2015]

Comme le fait remarquer la même @revi_redac, il y a aussi «ce grand classique de la chanson québécoise» :

 

[Complément du 1er février 2015]

Oups ! Le Petit Robert (édition numérique de 2014) ne connaît pas poigner, mais pogner, si — et il en donne plusieurs excellentes définitions et illustrations. L’Oreille s’en mord les lobes, d’avoir parlé trop vite.

 

[Complément du 26 janvier 2016]

Et en Belgique, demandez-vous ? Oui, aussi, mais en usage intransitif.

Poigner […]

Poigner (dans qqch.) loc. verb. intr.

1. Fam. Prendre (qqch.) à pleine main. […]

2. Fam. Puiser (dans un contenant) pour remplir sa main. […]

Remarque

Ce verbe a pu également se construire transitivement (poigner qqch. «saisir qqch.; empoigner qqch.»), mais ce type de construction est aujourd’hui sorti de l’usage.

Vitalité peu élevée et décroissante en Wallonie, où ces constructions restent toutefois plus usuelles dans les provinces de Namur, de Liège et de Luxembourg. Quasi inusité à Bruxelles. — Également employé au Québec et en Louisiane (surtout dans la variante pogner) (Dictionnaire des belgicismes, p. 284).

 

[Complément du 29 avril 2018]

Sur le site Correspondance du Centre collégial de développement de matériel didactique, Louise Desforges propose plusieurs autres sens de po(i)gner. C’est ici.

 

Références

Dolbec, Michel et Leif Tande, le Poulpe. Palet dégueulasse, Montpellier, 6 pieds sous terre Éditions, coll. «Céphalopode», 12, 2004, 89 p. Bande dessinée.

Francard, Michel, Geneviève Geron, Régine Wilmet et Aude Wirth, Dictionnaire des belgicismes, Louvain-la-Neuve et Paris, De Boeck et Duculot, coll. «Langue française – Ouvrages de référence», 2010. Ill. Préface de Bruno Coppens.