Volière du jour

Pigeon. Contribuable hexagonal fortuné qui refuse de se faire plumer par les mesures fiscales du gouvernement socialiste de François Hollande. Niche dans Facebook et Twitter (et parfois en Belgique). Synonyme : geonpi. Exemple : «Des “pigeons” à l’assaut du gouvernement français» (la Presse, 6 octobre 2012, p. A28).

Au carré

La nomenclature de la Base de données lexicographiques panfrancophone ne connaît pas le mot, non plus que le Dictionnaire de la langue québécoise (1980) de Léandre Bergeron et son Supplément (1981) ou le Petit Robert (édition numérique de 2010).

L’Oreille tendue l’a néanmoins entendu dans la bouche de @MadameChos à l’émission la Sphère de la radio de Radio-Canada le 8 septembre. Et elle l’a lu récemment sur Twitter chez @mpoulin, @kick1972 et @EmmaG.

Ce mot ? Malaisant.

Il s’emploie pour désigner un sentiment de malaise chez celui qui parle. On peut trouver malaisant de regarder un film ou une émission de télévision, d’entendre une conversation, d’assister à un événement.

Ce sentiment de malaise est toutefois redoublé devant le mot lui-même. D’où vient-il ? De France ? Le Glossaire de l’ancien parler gâtinais répertorie le mot, en un sens différent («malaisé, difficile»), mais pas le verbe malaiser; malaisant n’en serait donc pas le participe présent. Est-il construit sur le modèle de dérangeant, dont il partage le sens («Qui dérange, provoque un malaise moral, une remise en question») ?

Un mot du malaise, donc, qui crée un malaise étymologique. Un malaise au carré.

 

[Complément du 2 janvier 2014]

Dans le cadre de la revue télévisée annuelle Bye bye (télévision de Radio-Canada, 31 décembre 2013), on a prononcé (au moins) deux fois le mot malaisant au cours des quatorze premières minutes. Mise en abyme ?

 

[Complément du 7 juin 2014]

L’Oreille tendue avait l’impression que le mot était surtout en usage au Québec. Elle vient de l’entendre dans la bouche de Jean-Marc Lalanne, critique de cinéma à l’émission radiophonique le Masque et la plume de France inter (livraison du 1er juin 2014). Elle a maintenant un petit doute.

 

[Complément du 17 juillet 2014]

Dans le plus récent numéro de la revue Québec français (2014) , Ludmila Bovet retrace le parcours historique de malaisant et réfléchit à son sens. Conclusion : «Il n’y a pas de doute, malaisant est un mot utile; plus rapide, plus expressif qu’une périphrase du genre de “qui crée un malaise” ou “qui met mal à l’aise”. D’autre part, on ne peut le suspecter d’être un anglicisme. C’est vrai qu’il ne figure pas dans les dictionnaires français, mais le verbe malaiser a bel et bien été en usage dans l’ancien français; malaisant l’a été aussi dans certaines régions de France. Ce qui est intéressant, c’est qu’il resurgit avec un sens différent de celui qu’il avait autrefois. Ce nouveau sens est tout à fait conforme à ceux du verbe : “incommoder”, “gêner”, “tourmenter”, qui découlent de malaise, un état contraire à l’aise. […] Malaisant est peut-être malsonnant. On s’y habituera ou on l’oubliera» (p. 11).

 

[Complément du 29 décembre 2018]

Titre d’un article d’un grand quotidien belge : «“Malaisant” sacré nouveau mot de l’année par les lecteurs du “Soir”» (26 décembre 2018).

Explication de ce choix :

Pour Michel Francard, linguiste de l’UCL [Université catholique de Louvain], chroniqueur dans ces colonnes et président du jury du nouveau mot de l’année, la fortune de malaisant tient à son caractère «aisément compréhensible et facile à retenir». «En matière d’innovation lexicale, les jeunes jouent un rôle important, souligne Michel Francard. Le succès de malaisant l’illustre une nouvelle fois. De façon plus générale, je dirais que le terme a aussi l’avantage d’être bien en phase avec les temps que nous vivons, marqués par l’incertitude, la précarité, la violence. D’où le profond malaise que cela engendre dans notre société», ajoute-t-il.

Étymologie :

Il est à noter à cet égard que le terme est d’abord apparu au Québec où il s’est implanté avec la signification qu’on lui connaît désormais de ce côté de l’Atlantique. À l’époque, plusieurs linguistes s’étaient interrogés sur cet usage neuf avant de conclure notamment qu’il était lié à une économie, à une ellipse dans le jargon : il est en effet plus rapide et plus direct d’employer malaisant que de parler de situations «qui créent un malaise» ou qui «mettent mal à l’aise». «La diffusion de malaisant de ce côté de l’Atlantique est presque un retour aux sources, explique pour sa part Michel Francard. À l’origine de cet adjectif, il y a le verbe malaiser qui signifie “incommoder, gêner, tourmenter”. Il était connu dans l’ancienne langue française et il a survécu jusqu’à l’époque moderne dans certaines régions de France.»

Commentaire de Michel Francard sur Twitter :

 

[Complément du 10 septembre 2019]

Il existe une hésitation chez certains devant l’emploi du mot. La typographie en est le signe.

Guillemets : «Or, ce rappel du principe “dura lex, sed lex” était à côté de la plaque. Le projet de loi 21 ne relevait ni du droit criminel ni du droit pénal. La police n’avait rien à faire là-dedans. De la part de la ministre de la Sécurité publique, c’était “malaisant”» (le Journal de Québec, 10 septembre 2019).

Italiques : «Malaisant, comme disent les jeunes» (Miniatures indiennes, p. 12).

Malaise, encore.

 

[Complément du 10 janvier 2021]

Variation sur le même thème : «Les résultats peuvent souvent être inquiétants et très divertissants et/ou mal à l’aisant et/ou complètement dangereux et/ou simplement stupides» (J’ai bu, p. 162).

 

[Complément du 29 août 2022]

Puisqu’il y a malaisant, il doit y avoir malaisance. Exemple tiré de la Presse+ du jour : «“Le mème “Dark Brandon” est mort d’un cas de malaisance extrême” (Le magazine Rolling Stone).»

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Bovet, Ludmila, «“Malaisant” : intrus ou revenant ?», Québec français, 172, 2014, p. 10-11. https://id.erudit.org/iderudit/71999ac

Hébert, François, Miniatures indiennes. Roman, Montréal, Leméac, 2019, 174 p.

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.

Jeu(x) de mains…

En France, chez @fbon : «puits caillou ciseaux papier».

En France toujours, chez @hjeanney : «pierre-ciseaux-feuilles».

Au Québec, chez @JeanSylvainDube comme chez l’Oreille tendue : «roche-papier-ciseaux».

Il y aurait aussi, selon le site GoldenMap : «papier-caillou-ciseaux», «pierre-papier-ciseaux», «feuille-caillou-ciseaux», «shifumi» et «janken».

Wikipédia est encore plus riche :

Pierre-feuille-ciseaux est un jeu effectué avec les mains et opposant un ou plusieurs joueurs. Il existe de nombreuses variantes régionales et appellations : papier-caillou-ciseaux ou chifoumi en France, roche-papier-ciseaux au Québec, pierre-papier-ciseaux en France et Belgique, feuille-caillou-ciseaux en Suisse, Schnick-Schnack-Schnuck en Allemagne, Rock-Paper-Scissors ou Rochambeau aux États-Unis, morra cinese (mourre chinoise) en Italie, Kawi-Bawi-Bo en Corée, Jan-Ken au Japon, Yan-Ken-Po au Pérou.

Tout cela pour un seul et même jeu de mains.

Divergences transatlantiques 024

Les médias aiment souligner, une fois l’an, que les dictionnaires font entrer de nouveaux mots dans leur nomenclature.

Le Petit Larousse 2013 a retenu le belgicisme bobette (le féminin de bob) : «Conducteur acceptant de ne pas boire d’alcool afin d’être en mesure de reconduire ses compagnons.»

Le Petit Robert du même millésime ouvre ses colonnes aux bobettes québécoises : «Sous-vêtement masculin ou féminin qui couvre le bassin.»

Il est recommandé, dans la mesure du possible, de ne pas confondre.

Ne dégagez pas, y a à voir

«Charest dégage.»
Pancarte, Verdun, 24 mai 2012

Laurent d’Ursel est un artiste belge. On lui droit le dégagisme, une «sorte de mouvement qui promeut la manifestation comme forme d’art contemporain», explique le site OWNI.

Afin de parvenir à ses fins, d’Ursel a édicté des «règles très précises : il faut des flics, une autorisation, un slogan et des concepts. Il faut que ça soit un peu chiant, comme toute manif.»

Cela s’applique parfaitement à la situation actuelle au Québec et à sa passion subite pour les casseroles frappées en public.

Les percussionnistes en extérieur sont souvent encadrés de policiers.

En vertu de la loi 78, ils auraient dû donner à ceux-ci l’itinéraire de leur manifestation, afin d’obtenir une autorisation.

Ils ont un slogan : «La loi 78, on s’en câlisse

Ils s’appuient sur des concepts : non-violence, participation populaire, nécessité de se faire entendre (littéralement) de leurs dirigeants, volonté de changer la politique, etc.

Leurs sonorités et leurs déplacements peuvent, à l’occasion, faire chier le badaud.

Cela étant, on casserolerait pour la bonne cause. Pour le dire comme Sartre, le dégagisme — donc le casserolisme — est un humanisme.

P.-S. — C’est, encore une fois, comme pour les verbes et les fleurs de rhétorique, une affaire de fesses. On n’en sort pas.